Par Ata-Ilah Khaouja
De quoi s’agit-il ?
Avant de prendre le volant, fut un temps où on vérifiait soi-même l’état de son véhicule : pneumatique, niveau d’huile, carburant, éclairage… Maintenant, les temps sont révolus, comprenez par cette phrase : aujourd’hui, nous déléguons cette résolution à une instance virtuelle, que les fabricants ont bien installée quelque part dans nos voitures, et nous nous abandonnons à ses décisions. Avant c’était nous qui décidions et du départ et de la destination, maintenant, c’est à la techno-logicielle de nous autoriser à prendre la route… ou non.
Tesla ne répond pas ou l’autonomie dépendante
Et de nos jours, pour entamer la route, nous nous installons dans nos véhicules et nous attendons le feu vert qui sera délivré par les différents systèmes de contrôles informatiques embarqués à bord. Et c’est exactement la mésaventure que va vivre cette conductrice californienne, lors de l’actualisation logicielle de sa voiture, en cette journée ensoleillée du 11 avril 2024. Bien installée dans sa tesla, portières verrouillées et vitres électriques fermées, ceinture de sécurité bouclée, rétroviseurs ajustés, le fonctionnement de la climatisation validé, l’état de l’airbag contrôlé, moteur en parfait état de fonctionnement mais condamné à l’arrêt par la mise à jour… la conductrice était sur le point de démarrer quand elle se voit obligée d’accepter une actualisation, plusieurs fois reportée, mais cette fois-ci imposée par le système électro-informatique. Une mise à jour qui, promesse de tableau de bord, n’allait prendre que quelques misérables minutes…
… et au bout de plus de quarante longues et interminables minutes, la voiture, devenue déjà une prison, s’est transformée en un four à 46°C et la vie de la propriétaire, qui ne peut plus s’en extraire, s’est retrouvée complètement piégée et doublement immobile !
Comment comprendre cette dernière phrase ? La voiture, symbole de mobilité et d’indépendance, se trouve paralysée, en position de statue ; et la femme, être libre, par essence, la voilà internée telle une esclave dans une forteresse technologique lourdement sophistiquée et asphyxiante.
Est-ce qu’il s’agit d’une mise à jour exceptionnelle et rare ? Non, du tout, puisque depuis l’ère informatique, nous sommes habitués, à des mises à jour à longueur de journée et à tout va, à des actualisations de logiciels de toute nature qui nous réduisent à l’état de zombis : nous attendons, vidés et privés de nos substances et de nos volontés. Nous sommes sommés de nous mettre à jour nous-mêmes, nuit et jour, en mettant à jour téléphones, télévisions, ordinateurs, montres… et toutes sortes d’appareils connectés. Et en agissant ainsi, nous exécutons des ordres aliénants imposés par des programmes, pour notre bien, pensons-nous, et pour notre confort, jugeons-nous. À y réfléchir de près, tout en reprenant l’exemple de l’automobiliste qui a vu sa vie en danger, on peut se poser la question : qui des trois est réellement, véritablement et confortablement bien installé : est-ce la conductrice dans sa caisse comme une marchandise, ou bien le logiciel dans son système, ou enfin, le véhicule sur sa place de parking là où il est ? Ce dernier aurait pu être piégé par des inondations, un incendie de forêt, un tremblement de terre…
À l’image de cette femme qui s’est retrouvée complètement vidée de décision et de liberté, réduite à l’état de statue, nous ne sommes plus souverains de nos actions même si nous pensons le contraire. Nous ne le sommes plus comme l’ont été nos aïeuls qui n’ont pas attendu l’autorisation d’un programme pour prendre le volant de leurs voitures.
Autopsie d’une voiture
Contrairement aux produits naturels, tout produit artificiel ne naît pas à partir d’une graine encore moins du néant. Les objets artificiels ou technologiques modernes, que nous avons entre nos mains, nous ont été légués par nos ancêtres. Chaque objet est le fruit d’une longue histoire parsemée d’adaptations. Autrement dit, chaque produit fabriqué à l’époque actuelle est, à lui seul, une histoire des sciences et des inventions. Et la voiture, n’échappant pas à ce constat, traîne derrière elle, comme une queue de comète, toutes les stations ou dates marquantes de son évolution.
La voiture du 18ème siècle n’a ni l’apparence ni la forme de la toute récente : aucune ressemblance, certes, mais de forme et superficie uniquement. Par contre, les deux voitures sont identiques au fond et en profondeur. Et si nous examinions cette même voiture toute récente ? Elle reste une synthèse disparate et composite d’une foule de découvertes scientifiques, issues d’époques lointaines éparpillées dans l’histoire ; elle est le témoin et la manifestation de toutes les adaptations technologiques qui, elles-mêmes, renvoient à différentes périodes.
Disséquons-là, alors : la roue date du néolithique, le cycle de Carnot qui assure le mouvement est déjà vieux d’exactement deux cents ans (1824)… la ceinture de sécurité a été brevetée en 1885. Le siècle dernier a entendu l’avertisseur sonore (le klaxon), pour la première fois, en 1908 ; la fermeture centralisée a été déjà actionnée en 1914 ; la climatisation a rafraichi l’air de l’habitacle un jour d’été de 1939 ; les vitres électriques datent de 1941. Continuons : l’Airbag s’est déclenché lors du premier choc tout au début de 1953 ; l’ABS a assisté les premiers freins dès 1978 ; le GPS a guidé la première voiture en 1995…
La voiture n’est récente que par assemblage de produits qui plongent, majoritairement, leurs racines dans des passés lointains. Véritable phénomène complexe et hétéroclite, elle n’est moderne que par la forme ou le design, et elle reste pour l’essentiel, un amas de parties vieilles et anciennes, même si la publicité expose le moderne et le nouveau.
Une panne technolo-gicielle
Dit autrement, la voiture du 18ème siècle et celle d’aujourd’hui, sont intimement identiques quant à leur finalité qui est la mobilité, quant à leur essence qui est le mouvement horizontal, mais méconnaissables accessoirement. Et les défauts des accessoires emboîtés, époque après époque, ont multiplié les pannes et les arrêts des voitures.
Depuis le 18ème siècle, jusqu’à la fin du siècle dernier, la voiture, qui était un agglomérat de mécanique, de thermodynamique, de dynamique, de cinématique, d’aérodynamique, d’électricité… elle tombait défectueuse de ses éléments et de ses constituants tous d’ordre du repérable et du visible. Ainsi les pannes étaient plus ou moins facilement repérables et on diagnostiquait aisément un défaut d’allumage, de surchauffe “moteur”, d’électrique ou de transmission…