Entretien de LTE-Magazine avec Dr. Riffi Temsamani M.S spécialiste du Droit et de la Politique de l’Espace (*)
On remercie beaucoup Dr. Riffi Temsamani, M.S d’avoir bien accepté de consacrer le présent entretien à Lte magazine en dépit de son agenda très chargé.
Dr. Riffi Temsamani M.S
Question1 de Lte magazine : Où commence l'Espace ?
Réponse : Tout d’abord, dans le jargon juridique International, le mot Espace, signifie aussi, l’Espace Extra-Atmosphérique (EEA), que la communauté internationale a du mal à définir et à délimiter ! Aujourd’hui il y a plusieurs avis sur la délimitation de l’espace, mais celle qui prend le dessus est fixée à 100 km au-dessus du niveau moyen de la mer terrestre, cette limite est reconnue au niveau international, appelée “ligne de Kármán”. Cette délimitation n’est toutefois pas universellement acceptée. Les États-Unis d’Amérique, par exemple, ont toujours refusé de reconnaître ces frontières.
Cet Espace est régi par une réglementation Internationale qu’on appelle Droit International de l’Espace Extra-Atmosphérique, celui-ci donne un accès libre, pacifique et équitable à tous les Etats.
Question2 : Quels sont les usages des différentes orbites autour de la Terre ?
Réponse : Ils existent plusieurs orbites autour de la Terre, mais trois (03) en sont les plus connues et utilisées, à savoir :
- Orbite Basse (LEO : Low Earth Orbite) d’une altitude comprise entre 100 et 2000 Km, cette orbite permet une étude précise de la terre, ce qui est utilisé en Télédétection (ou Télé-observation de la Terre), on y trouve des sondes, la Station Spatiale Internationale (SSI) et des satellites de petites tailles pour la télédétection et aussi pour des applications d’internet comme c’est le cas de la constellation StarLink de SpaceX.
Dans cette zone, on trouve aussi d’autres orbites, comme les orbites Héliosynchrones (entre 200 et 1680 Km), les caractéristiques de ces orbites sont utiles pour la télédétection (scientifique et militaire). Cette orbite a été utilisée par les Satellites Marocains Mohammed VI A-B.
- Orbite Moyenne (MEO: Middle earth Orbit) d’une altitude comprise entre 2000 et 36.000 Km, elle est aussi appelée Orbite Circulaire intermédiaire. Elles sont utilisées pour les satellites de navigation, comme le GPS, le GLONASS et GALILEO.
- Orbite Géostationnaire (GEO, Geostationary Orbit), orbite circulaire située à 36.000, sa particularité, une vitesse orbitale identique à celle de la Terre. Un objet placé sur une orbite géostationnaire reste en permanence au-dessus du même point de l'équateur. L’orbite géostationnaire est exploitée en particulier par les satellites de télécommunications qui peuvent ainsi servir de relais permanent entre des stations émettrices et des stations réceptrices pour des liaisons téléphoniques, informatiques ou la diffusions de programmes de télévision.
Question3 : Comment l’Espace est régi actuellement ? Existe-t-il un droit de l'espace ?
Réponse : L’Espace est régi par l’ensemble de la législation applicable aux activités spatiales et régissant ces activités. Tout comme le droit international, il comprend plusieurs accords, conventions et traités internationaux, des résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies, ainsi que des règles et réglementations d’organisations internationales.
Le droit de l’Espace existe et il est associé aux, règles, principes et normes juridiques internationaux figurant dans les cinq traités internationaux ainsi que les principes relatifs à l’espace extra-atmosphérique élaborés sous les auspices de l’ONU.
Il existe Cinq traités régissant l’espace extra-atmosphérique ; à savoir :
Le Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes (dit "Traité de l’espace", 27 janvier 1967) ;
L’Accord sur le sauvetage des spationautes, le retour des spationautes et la restitution des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique (22 avril 1968) ;
La Convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux (29 mars 1972) ;
La Convention sur l’immatriculation des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique (14 janvier 1975) ;
L’Accord régissant les activités des États sur la Lune et les autres corps célestes (18 décembre 1979),
Ils ont été élaborés entre 1967 et 1978, ils traitent de toute une série de questions, telles que la préservation de l’environnement spatial et terrestre, la responsabilité pour les dommages causés par des objets spatiaux, le règlement des différends, la protection des intérêts nationaux, le sauvetage des astronautes, le partage d’informations sur les dangers potentiels de l’espace extra-atmosphérique, l’utilisation des techniques spatiales et la coopération internationale.
Les divers instruments du droit de l’espace énoncent un certain nombre de principes fondamentaux pour guider la conduite des activités spatiales, notamment la notion de l’espace comme apanage de l’humanité tout entière, la liberté d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique par tous les États sans discrimination et le principe de non-appropriation de l’espace extra-atmosphérique. C’est au moyen de ces instruments que les États coopèrent pour garantir une utilisation viable de l’espace extraatmosphérique dans l’intérêt de tous les pays.
Question4 : Quelles sont les puissances spatiales ?
Réponse : Selon plusieurs chercheurs et spécialistes du domaine spatial, un Etat est considéré, au sens strict, comme puissance spatiale s’il est capable de fabriquer et de lancer ses satellites avec ses propres moyens et ressources.
Aujourd’hui on peut compter, une dizaine de pays, considérés comme puissances spatiales ; la Russie, les Etats Unies d’Amérique (USA), la Chine, le Japon, l’Europe (représentée par son Agence Spatiale Européenne : ESA), l’Inde, l’Iran, la Corée du Sud et la Corée du Nord.
Question 5 : Quelles sont les enjeux stratégiques de l’espace ?
Réponse : L’Espace vit une révolution qui, bien que porteuse des risques, comme l’arsenalisation et la militarisation, offre de nombreuses opportunités, l’espace est un vecteur de développement sans aucun doute. Mais, plusieurs défis sont en jeu, en effet, l’Espace offre de nouveaux services, plus souples, plus réactifs, plus innovants qui peuvent être utilisées par l’Armée. La communauté Internationale, à travers les organisations internationales spécialisées dans l’utilisation de l’Espace Extra-atmosphérique, doit jouer un rôle primordial dans la pacification de cette utilisation et encourager la coopération Internationale à tous les niveaux en particulier avec les pays en développement afin que l’exploitation de l’Espace soit bénéfique à l’Humanité toute entière.
Question 6 : Qu'est-ce que le New Space ?
Réponse : Le New Space qui veut dire la Nouvelle ère de l’exploration Spatial en français, est une révolution de l’industrie spatiale qui a apparu, il y a un peu plus de dix ans, aux Etats Unies d’Amérique (USA). Cette révolution s’est manifestée par :
- La multiplication des acteurs spatiaux, avec la création de start-up et entreprises,
- Un nouveau modèle commercial fondé sur l’utilisation excessive des données issues du spatiale,
- Innovations technologiques majeures, dites de rupture :
Réutilisation des équipements ;
Miniaturisation des composants ;
Motorisation électrique ;
Impression 3D, moteurs réallumables, etc.
- Financements nouveaux ;
- Baisse du coût de l’espace ;
- Extension du champ d’application des technologies spatiales ;
- Multiplication des projets de méga-constellations de petits satellites en orbite basse (StarLink).
Le New Space se caractérise avant tout par l'intervention d'acteurs privés. Toutefois, l'émergence du New Space a été encouragée par une ouverture du secteur public et des investissements publics.
De l’autre côté, les programmes d’exploration spatiale habités, comme celui USA, ARTHEMIS (2019) et celui du programme conjoint sino-russe ILRS (2021) qui sont actuellement à la recherche de partenaires internationaux pour leurs réussites.
Question 7 : Y-a-t-il une synergie entre l’Intelligence Artificielle et le Spatial ?
Réponse : Oui, il y a une synergie entre l’IA et le Spatial, en particulier, dans la conception des systèmes spatiaux, qui font appel à des environnements intelligents. En effet, pour la conception d’une constellation de satellites et ses stations au sol, considéré comme un système spatial complexe, l’IA est utilisée pour faire face à de multiple contraintes et exigences contradictoires.
L’IA intervient aussi dans l’analyse des données de la Télédétection spatiale, aujourd’hui des capteurs de très haute résolution sont utilisés en télédétection spatiale, produisant des données nécessitant des traitements automatiques de masse à grande échelle.
Question 8 : Quel est l’impact de l’évolution des technologies spatiales ?
Réponse : L’évolution des technologies spatiales à travers le Monde joue un rôle important dans la vie quotidienne d’une population. Les technologies spatiales ont des applications dans plusieurs domaines, comme par exemple ; les communications et la navigation, l’observation de la Terre, les prévisions météorologiques, la sécurité et le traitement de l’information. S’y ajoutent d’autres applications nécessaires au fonctionnement de notre planète. Grâce aux progrès accomplis par ces technologies et leur coût de plus en plus bas, plusieurs acteurs, public et privé, participent aujourd’hui à l’économie spatiale. Cependant, les débris polluant l’espace, l’encombrement du trafic spatial, les pannes des systèmes de communication et une gouvernance en désordre pourraient nuire à la viabilité des activités spatiales dans l’avenir.
Question 9 : Le Maroc est-il devenu une puissance spatiale après le lancement de ses deux satellites Mohammed VI-A et B ?
Réponse : Le Maroc est un Etat de lancement, c’est-à-dire, dans le jargon juridique spatial, un Etat de lancement est un Etat qui procède ou qui fait procéder au lancement d’un objet spatial, ou encore un Etat dont les installations servent au lancement et enfin, un État depuis le territoire duquel le lancement est effectué. Le Maroc deviendra réellement une puissance spatiale une fois il participera à la conception de satellites et une fois il disposera de ses propres lanceurs.
Le Maroc utilise beaucoup les applications spatiales et exploite les deux Satellites Mohammed VI A-B pour les besoins socio-économique du pays. Plusieurs domaines sont touchés par ces applications, comme l’Aménagement du Territoire, l’Agriculture, la gestion des catastrophes Naturelles, l’océanographie et j’en passe.
Le Maroc doit réfléchir à un écosystème spatial est propice à l’innovation, à la création d’entreprise et à l’acquisition des compétences, pour cela, il doit mettre en place une stratégie spatiale étalée sur plusieurs années (10 à 20 ans) afin de préparer le pays à la nouvelle ère spatiale. Cette stratégie doit prendre en compte et en premier lieu,
Le développement de capacités et compétences internes pouvant permettre l’exploitation et le maintien des activités spatiales essentielles.
Le renforcement de la recherche et développement et de l'innovation pour le développement des capacités industrielles,
Le développement d’un secteur privé axé sur l’économie spatiale,
La Coordination des activités spatiales aux niveaux national et International,
La promotion de la coopération internationale pour renforcer et encourager le transfert de la nouvelle technologie de l’Espace.
(*) DR Riffi Temsamani M.S est certifié, Bureau des Affaires Spatiales des Nations Unies (BASNU, UNOOSA) en Droit International de l’Espace à l’intention des Nouveaux Acteurs du secteur spatial en Economie Spatiale et en Durabilité de l’Espace.