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L’Humanité : une civilisation de Prothèses

L’Humanité : une civilisation de Prothèses

Depuis la nuit des temps, l’humanité a connu trois sortes de prothèses. D’abord, celles dites de « remplacement » qui ont toujours existé et qui servent justement à remplacer une partie du corps, d’un organe ou d’une articulation dans le but d’en restaurer la fonction qui est compromise. Ensuite, une deuxième sorte de prothèses dites « de soutien »  qui permettent à l’homme de faire face à ses diverses déficiences face à la nature. Enfin, une troisième sorte de prothèses dites «prothèses algorithmiques »  apparues récemment avec l’avènement de l’intelligence artificielle (IA).

Prothèses de remplacement

Concernant tout d’abord, les prothèses de remplacement, elles se développent grandement, de nos jours, grâce aux nouvelles technologies. On constate aujourd’hui que les sciences liées aux prothèses de remplacement font aussi de grand progrès (implants, organes imprimés en 3D).  Mieux encore, grâce à la technologie bionique, le corps humain tend à devenir partiellement artificiel, constitué de prothèses contrôlables par la pensée. L’exemple le plus intéressant est celui de l’Américain Jesse Sullivan qui a perdu ses deux bras suite à une électrocution. Aujourd’hui, il porte des prothèses de bras bioniques qui peuvent répondre à beaucoup de gestes de sa vie quotidienne, par la pensée, comme attraper un verre d’eau. Pour parvenir à ce résultat, les ingénieurs biomécaniciens ont connecté la prothèse au cerveau, à l’aide d’électrodes, qu’ils ont placées aux extrémités nerveuses des organes manquants. Des nerfs, des signaux sont transmis à un micro-ordinateur situé dans le bras bionique.

Oscar Pistorius, amputé des 2 jambes à 11 ans.

Premier athlète amputé à concourir et à

avoir gagner une médaille dans un championnat

du monde pour les valides avec prothèses 

Prothèses de soutien.

En ce qui concerne les prothèses de soutien, l’homme a toujours cherché à les concevoir pour faire face aux contraintes de la nature ou pour atteindre la performance que la vie exige. Comme si l’homme avait toujours possédé un organisme déficient et qu’il avait été contraint de chercher des prothèses pour le soutenir. Jadis, l’homme chasseur, pêcheur et cueilleur, vivait dans un monde proche de ses moyens de survie. Il devait chaque jour se procurer les sources de son énergie, et pour se faire aider dans ces taches, il utilisait divers outils en bois, en os, ou en pierre, ainsi que des récipients en terre cuite.

Quand on étudie les séquelles de son activité à travers l’histoire, on constate qu’il a fallu beaucoup de temps à l’homme pour passer de simple prédateur à producteur, grâce à l’agriculture et à l’élevage. Le succès de ce passage l’a encouragé à évoluer et à tenter de dominer davantage la nature et à la transformer pour mieux l’exploiter Mais pour dominer cette nature, il a dû utiliser son intelligence, dans le cadre du progrès (1) et concevoir d’autres outils ou prothèses afin de maîtriser cette transformation, y compris en tant que sédentaire.

Un peu plus tard, l’homme est entré dans des phases plus évoluées dans l’utilisation de prothèses de soutien. Il a ainsi utilisé la voiture comme moyen d’aller plus loin et plus rapidement, l’avion en tant que prothèse d’ailes et la boite de conserve comme prothèse d’énergie.

Ces prothèses de soutien sont devenues, avec le temps, si indispensables à l’homme qu’elles apparaissent comme si elles l’avaient toujours accompagné par le passé. Aujourd’hui, il est difficile d’imaginer notre existence sur terre sans voiture qui est considérée comme le prolongement naturel de notre corps. L’homme était pourtant cantonné dans un déplacement à pied et en pleine nature par le passé. Aujourd’hui, il se trouve dans l’obligation d’innover constamment pour être toujours plus performant et pour réussir parfois à chasser l’ennui conjoncturel. Dans son livre «30 Ans de téléphonie mobile » de Bruno Salgues, remarque que ce souci de se débarrasser de l’ennui conjoncturel est facile à remarquer, entre autres, dans l’usage excessif que nous faisons, aujourd’hui, des smartphones. Et il ajoute que parce que l’homme moderne s’ennuie, il a, par conséquent, besoin de ces smartphones qui deviennent plus que de simples prothèses de soutien nécessaires, mais des orthèses (2) ! Dans le cas du smartphone, il précise que la fonction absente ou déficitaire chez l’utilisateur serait entre autres l’occupation et la lutte contre l’ennui conjoncturel. Remarquons qu’au-delà de ce côté cité par B. Salgues, les smartphones ont joué par exemple un rôle très important lors des périodes de confinement ou de semi-confinement avec le covid-19 et ce pour renforcer les différents liens sociaux ou pour assurer le télétravail ou le téléenseignement!  Sur le plan de la Philosophie, le philosophe allemand Arthur Schopenhauer, a affirmé vers la fin du XIXe siècle, que l’ennui a été toujours la voie royale vers la créativité et l’invention. Il ajoute que l’ennui est fécond et permet à s’ouvrir à la création d’autres prothèses utiles.

Prothèses algorithmiques ou cognitives

Les prothèses cognitives ou algorithmiques (3), sont apparues avec l’avènement de l’intelligence artificielle (IA), qui a apporté de l’aide dans leur conception et ont permis d’externaliser certaines de ses fonctions cognitives. Ainsi et selon les experts en IA, les prothèses cognitives devraient être, dans les décennies à venir, plus performantes que les hommes dans plusieurs domaines tels que, la traduction des langues, la rédaction des essais d’ici 2025, la conduite des divers engins d’ici 2028 ou encore le commerce et la vente d’ici 2030. D’ici 2050, ces mêmes prothèses cognitives seront capables d’écrire des best-sellers ou même de se lancer dans la chirurgie. En somme, il faut s’attendre à un dépassement de l’homme par ces prothèses cognitives dans tous les domaines dans moins de 40 ans.

Humanoïde   astronaute russe lancé en aout 2019

(1)Selon le philosophe Bergson « l’intelligence humaine, envisagée est la faculté de fabriquer des objets artificiels, en particulier des outils à faire des outils, et d’en varier indéfiniment la fabrication » dans le cadre du progrès. Un progrès qui ressemble parfois à la bouteille de Coca-Cola dans le film sorti en 1980 « Les Dieux sont tombés sur la tête ».

(2) Orthèse : Une orthèse est définie, dans la littérature, comme un appareil qui compense une fonction absente ou déficitaire chez l’être humain.

(3) Prothèses cognitives ou algorithmiques : Un concept conçu, dans cet essai par l’auteur, pour désigner toute prothèse utilisant l’intelligence artificielle pour atteindre des objectifs de manière autonome en tenant compte des contraintes qu’elles peuvent éventuellement rencontrer. Exemple : les astronautes humanoïdes.

Référence :

https://www.techniques-ingenieur.fr/actualite/articles/implants-protheses-organes-artificiels-jusquou-reparer-le-corps-32737/

– livre «30 Ans de téléphonie mobile » de Bruno Salgues. Edition Lulu.com juillet 2013. 

https://www.courrierinternational.com/article/philosophie-la-pandemie-nous-eclaire-sur-nos-frustrations-permanentes

(*) : Ahmed Khaouja est ingénieur télécom et directeur de Lte magazine.

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