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Les technologies numériques au service des personnes âgées et d’un vieillissement en bonne santé

Les technologies numériques au service des personnes âgées et d’un vieillissement en bonne santé

Par Ahmed Khaouja (*)                                              

Le 17 mai de chaque année, l’Union Internationale des Télécommunications (UIT), organisme spécialisé de l’Organisation des Nations Unies (ONU), célèbre la journée mondiale des télécommunications et de la société de l’information.

Le thème de cette année 2022 est intitulé  » Les technologies numériques au service des personnes âgées et d’un vieillissement en bonne santé « .

L’objectif du choix de ce thème est de sensibiliser tous les pays membres de l’ONU sur l’importance de dédier les technologies numériques au service des personnes âgées. Le but étant, bien évidemment, de contribuer à leur vieillissement en bonne santé.

La transformation numérique est issue de l’innovation disruptive :

Précisons que la transformation numérique est un nouveau paradigme issu de l’innovation disruptive, qui consiste à révolutionner la façon d’offrir des services ou de vendre des produits grâce à Internet. Quant à la santé numérique, qui concerne aussi nos aînés, c’est l’ensemble des technologies de l’information et de la communication appliquées à toutes les activités en lien avec la santé. Le numérique facilite la communication à distance avec les personnes âgées, en leur permettant notamment un meilleur suivi médical, ainsi que l’opportunité d’entretenir des liens sociaux et familiaux.

La situation de l’utilisation du digital de la part des personnes âgées diffère entre les pays développés et ceux en voie de développement :

Dans les pays développés, les personnes âgées utilisent relativement plus les nouvelles technologies. Ceci est au dû à deux raisons principales : d’une part, le numérique dans ces pays est plus avancé. D’autre part, l’analphabétisme y est moins présent, tant sur le plan informatique que linguistique.

Ainsi, le digital dans les pays développés permet entre autres à une personne âgée de se renseigner sur les produits et services dont elle a besoin ou de consulter divers sites utiles. Les services qui sont offerts par les réseaux numériques lui permettent aussi d’entretenir ses liens sociaux avec sa famille et avec ses amis. Généralement, les personnes âgées qui utilisent Internet au quotidien se sentent socialement intégrées et moins isolées. La télécommunication aide également les personnes âgées à acquérir une certaine autonomie, leur facilitant par exemple un meilleur suivi de leur santé. Néanmoins et étant donné que dans ces pays développés l’espérance de vie est relativement plus importante, le taux d’incapacité croît à mesure que la personne vieillit. En franchissant le seuil des 80 ans, par exemple, la moitié des espagnols commencent à avoir des problèmes pour réaliser leurs activités quotidiennes, y compris celles relatives à l’accès au numérique. Cette situation s’est illustrée fin janvier 2022, quand le retraité Carlos San Juan âgé de 78 ans, excédé par les difficultés pour accéder à ses comptes via des applications numériques, a lancé une pétition contre « la déshumanisation » des banques avec ce slogan : « Je suis peut-être vieux, mais je ne suis pas idiot ! ». Ces problèmes sont d’autant plus aigus dans les cas où les personnes concernées sont analphabètes, comme c’est le cas du Maroc. En France et selon une étude française réalisée par l’Institut CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) et l’association des Petits Frères des Pauvres, 4 millions de personnes âgées de 60 ans et plus n’utilisent jamais Internet, soit 27 % de cette tranche d’âge. 14 % des 60-70 ans sont aussi en situation d’exclusion numérique. Cette exclusion touche plus particulièrement les plus de 80 ans- soit plus d’1.7 million de personnes- et les personnes au revenu inférieur à 1 000 euros.  Cette exclusion numérique est un facteur aggravant d’isolement social et de maladie.  Cet isolement social s’est accru avec la pandémie du Covid-19 chez les personnes âgées. L’association Petits Frères des pauvres tire la sonnette d’alarme dans un rapport, publié jeudi 30 septembre 2021.  Le rapport alerte sur le risque de renoncement aux soins qui découle de cette solitude. « Plus les relations sociales, et surtout familiales, sont bonnes, plus le risque de renoncer à des soins est réduit », indique-t-il en renvoyant à une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques en France, publiée en juillet 2021 qui portait sur le renoncement au soin. La proportion de seniors qui se déclarent privés de contacts avec leurs famille et amis a grimpé de 122 % entre 2017 et 2021. L’étude des Petits Frères des pauvres se fonde sur une enquête réalisée du 6 au 20 avril 2021 par l’institut CSA Research auprès de 1 503 personnes de 60 ans qui vivent à 99 % à domicile. Cette rupture en partie expliquée par les difficultés des plus de 65 ans à utiliser les outils numériques, à une époque où de plus en plus de démarches s’effectuent par ce biais.

Concernant les pays en voie de développement, ils commencent aussi à être concerné par le vieillissement de leur population. Citons dans ce sens la Turquie, qui devra faire face, dans un avenir proche, à un accroissement de sa population âgée. Dans ce pays, ce sont les plus de 65 ans qui connaissent l’expansion la plus rapide sur le plan démographique au niveau national. Selon l’Institut Statistique de Turquie, la population âgée, qui dénombrait 6.651.503 individus (8,3 %) en 2016 est montée à plus de 9% en 2020. De plus, selon ce même rapport, on estime qu’en 2023, la part de la population âgée représenterait 21 % de la population totale turque. Cette population croissante fait face à des barrières qui l’empêchent de s’adapter aux besoins de la société de l’information et au numérique. Par ailleurs, les références statistiques de l’usage d’internet selon les différentes catégories d’âge nous permettent de prévoir cette fracture numérique : 84,3 % des jeunes âgés de 16 à 24 ans déclarent avoir utilisé un ordinateur ou Internet au cours des 3 derniers mois, contre seulement 8,8 % de la population de 65 ans et plus. Prenant en considération les difficultés d’intégrer la population âgée à l’usage actif de l’Internet, le travail vise à souligner le risque de négligence d’une partie importante de la population dans la société d’information.

Au Maroc, les personnes âgées de 60 ans et plus (au nombre de 2.4 millions de personnes) représenteraient 12% de la population nationale en 2021. Selon le HCP (le Haut-Commissariat au Plan), cette part devrait atteindre 15,4 % et compter 5,8 millions d’individus de plus de 60 ans en 2030. Selon le Rapport du Conseil Economique, Social et en Environnement (Maroc 2015) , il s’est avéré que les personnes âgées se caractérisent, dans l’ensemble, par de faibles capacités en termes de niveaux d’instruction, de situation socio-économique et de santé : plus de 7/10 sont analphabètes, la plupart ont un revenu très bas, plus de la moitié souffrent d’au moins une maladie chronique et n’ont pas accès aux soins et près du tiers d’entre elles sont en situation de dépendance. La couverture sociale et médicale ne bénéficie qu’à 1/5 des personnes âgées. La population âgée marocaine se caractérise par une proportion élevée de personnes âgées analphabètes (72%). Ce taux est plus élevé en milieu rural (86%) qu’en milieu urbain (62%). Tous ces maux contribuent à compliquer davantage l’accès au numérique par ces personnes âgées.

Les personnes âgées et les plateformes numériques :

L’utilisation des réseaux sociaux se répand mondialement dans toutes les tranches d’âge. Mais pas assez chez les personnes âgées, même si ces réseaux sociaux leur permettent souvent de prouver à leur famille qu’elles sont toujours en bonne santé et actives. Néanmoins, en dépit de l’utilité de ces réseaux sociaux très peu de personnes âgées les utilisent au niveau mondial. Selon le magazine français ‘Micro pratique’ de janvier 2022, seuls 8% des personnes âgées de plus de 65 ans utilisent Facebook sur les 2,9 milliards d’utilisateurs. Sur les 4,2 milliards de likes d’Instagram, on retrouve seulement 1,2 % d’hommes et 0,9% de femmes âgées.

L’UIT et le E-santé :

L’UIT contribue à la réalisation des 17 Objectifs du Développement Durable (ODD) fixés par l’ONU à l’horizon 2030 et en particulier à l’objectif suivant : mettre les technologies numériques au service de la santé et du bien-être de tous les citoyens du monde, y compris les personnes âgées. La déclaration de l’UIT à ce sujet est : « L’interaction directe avec le patient, l’informatique au service de la santé et la télémédecine peuvent être améliorées grâce à une meilleure connectivité. Le partenariat santé numérique pour l’Afrique lancé en 2017 par​ l’UIT et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), a permis de mener une campagne ​​afin de renforcer les capacités de direction dans le domaine de la santé numérique au profit de plus de 15 pays d’Afrique. L’initiative « la mobilité c’est la santé », un autre projet collaboratif de l’UIT et de l’OMS, vise à mener à bien des projets dans plusieurs pays dans le domaine de la santé sur mobile et à tenir à jour un centre pour les connaissances et l’innovation dans le domaine de la santé sur mobile en Europe (mhealth-hub.org). ​​Les normes actuelles et futures de l’UIT pour les systèmes multimédias, élaborées en collaboration avec d’autres organisations, appuieront le déploiement généralisé des applications de cyber-santé, notamment dans le domaine de la télémédecine et de l’imagerie médicale à distance ». Rappelons que le thème fixé par l’UIT pour l’année 2020 était  » les TIC au service des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) ».

Les sept recommandations à propos  » des technologies numériques au service des personnes âgées et d’un vieillissement en bonne santé  » :

  • Des mesures adéquates sont nécessaires à prendre dans tous les pays afin de faciliter la vie numérique aussi aux personnes âgées. En Suède, pays où le numérique se substitue grandement à l’utilisation de cash, une décision a été prise via l’adoption d’une loi pour obliger les commerçants à accepter momentanément l’argent liquide à la demande des personnes âgées, qui n’arrivent pas encore à s’habituer l’utilisation des nouvelles technologies en la matière. Pour rappel en Suède seuls 2% des paiements se font en liquide actuellement surtout avec la pandémie du Covid-19.

  • Encourager les personnes âgées à utiliser le numérique par des mesures adéquates, en leur facilitant par exemple la livraison des commandes faites sur internet à des jours et à des heures qui les arrangent.

  • Prévoir une formation pour ceux qui le désirent sur le numérique.

  • Mettre en place des mesures permettant de protéger les personnes âgées contre les mauvaises pratiques commerciales.

  • Prévoir une assistance de proximité et de confiance aux personnes âgées qui le désirent.

  • Lancer une sensibilisation au niveau de chaque pays pour faciliter la vie aux personnes âgées notamment via le numérique.

  • La confiance numérique (protection des données personnelles et cybersécurité) doit être garantie aussi aux personnes âgées.

(*) Ahmed Khaouja directeur de PTT Maroc et expert de l’UIT.

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