vendredi , 29 mars 2024
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Les réseaux sociaux : nature et culture.

Les réseaux sociaux : nature et culture.

Contemporains de la révolution numérique, nous nous glorifions d’avoir inventé les réseaux sociaux. En réalité, de ces réseaux en toile d’araignée, nous, les humains, nous n’en sommes pas aussi originels que nous le pensions, et en tant que modernes, nous n’en sommes pas, non plus, si pionniers que nous le prétendions.

Les réseaux : nature.

Secouée de tous bords en pleine mer, ou encore, emportée le long d’une rivière, ou enfin, en détente dans un étang à l’abandon, une gouttelette d’eau est attirée par l’œil solaire, vers les hauteurs du ciel. Là-haut, déjà transformée en nuage et toujours sous pression, à basse ou à température élevée, et poussée par un vent fort ou faible, notre vedette de gouttelette d’eau nous revient, ailleurs ou ici, sous forme de pluie, de grêle, de neige… Liquide, gazeuse ou solide, embarquée dans un cycle météorologique, 100% nature, cette goutte d’eau ne quitte jamais cette boucle, entamée bien avant l’arrivée de l’espèce humaine. Elle le restera toujours sans interruption ni trêve, et sans faille ni lacune, tant que la Terre poursuit sa carrière. Quand elle tombe après son long voyage, cette même larme d’eau vient arroser tel champ de céréales ou tel autre d’arbres fruitiers, elle abreuvera tel humain, tel animal ou, tout simplement, elle retournera, d’où elle est partie, en mer, rivière ou lac… une véritable et éternelle itération naturelle depuis l’aube de l’existence : un programme qui tourne tout seul le long de ce réseau planétaire dans l’indifférence totale de l’Homme.

Dans un de ces champs d’arbres fruitiers, un autre travail réticulaire commence : après le passage de l’eau, les fleurs d’arbres attirent des abeilles qui,  instinctivement et pour notre bonheur, réalisent cette pollinisation sans laquelle nous manquerions de fruits… avec du miel en prime… Une fois avalée, cette cuillerée  de miel entamera alors un de ces  voyages de décomposition chimique au beau milieu d’un système digestif et curatif : un véritable réseau microscopique.

Des voyages en chaînes de ce genre, c’est-à-dire en réseaux, la nature les réussi à la perfection : depuis la nuit des temps, en silence, en nombre, en mieux, en plus rapide, en plus grand, en plus petit… en plus … !

Les réseaux sociaux : culture.

A l’image de notre goutte d’eau, nous avons voyagé cet été pour nous reposer après une année studieuse et laborieuse. Avons-nous pensé, un seul instant, à tous ces tissus d’échanges engagés dans un autre réseau d’une autre nature, subis par la perle de pétrole, depuis des millions d’années jusqu’au démarrage des moteurs de voiture, de bateau, d’avion…qui ont permis le voyage ? Peu importe, certains d’entre nous, donc, ont visité, par exemple, Marrakech, Barcelone, Paris…ou autre grande métropole. Pour un bien-être assuré aux visiteurs venus de partout, ces métropoles proposent des spectacles de rue pour bien animer les centres villes et les places publiques. Quelle qu’elle soit, la prestation de l’acteur doit être captivante, de même, le thème doit être séduisant, avec un titre tentant et appétissant, les propos bien distillés, le mystère entretenu et le suspense garanti. Pour cela, l’assistance jouira de récits comiques et tout le monde s’emportera de joie ; d’histoires tragiques où coulera du sang… ; de pathétique empoignant et saisissant déversant de la pitié, de la passion et de  l’émotion. Une fois la présentation terminée, les applaudissements tonnent, la générosité du public suscitée, la foule se disperse… Et au suivant spectacle… ainsi va le monde du spectacle sur la place. Ceci se passe encore parmi nous aujourd’hui et pratiquement dans toutes les grandes villes, principalement touristiques, petites ou grandes.

Mais, tout cela ne date pas de ce matin comme on serait tenté de le penser. Déjà sur la place publique, appelée agora pour les grecs anciens, un certain aède racontait les péripéties vécues par Homère… Cet aède qui n’est, en réalité, que l’ancêtre de notre animateur de rue de nos villes et  l’homologue de notre griot africain qui, de même, enchantait et enchante toujours des yeux écarquillés et des bouches bées sur une quelconque place publique : un forum.

Les scènes se ressemblent comme nos gouttes d’eau de tout à l’heure : le personnage choisit une place, s’y installe et commence à débiter quelques boniments rodés, quelques passants commencent à s’agglutiner avant que la foule ne prenne forme. Partout les mêmes thèmes, le même nombre, seuls diffèrent les personnes, les langues et les costumes. De ces scènes se tissent des liens sociaux insoupçonnables : pour aller assister au spectacle organisé sur la place publique, on y va en famille…, il faut bien prendre un moyen de transport…, traverser la ville, se garer, prendre une glace ou une boisson… prendre un repas dans restaurant… des fois des nuitées à l’hôtel… Et au prochain voyage, sous l’indulgente bienveillance de notre gouttelette d’eau qui se trouve au cœur de tous les réseaux et au nœud de tous les échangeurs. Car sans elle, pas de nature ; et sans nature, aucune culture, au moins humaine.

L’asocial des réseaux d’aujourd’hui.

A lire cet aperçu, certes nous plongeons dans un passé récent, mais nous oublions probablement que nous décrivons notre quotidien numérique : les You tube, Face Book… et autres. Reprenons : entre le conteur de la place « Jamâa El Fnâa » marrakchi, le ventriloque de la « Rambla de cataluña » barcelonaise, le jongleur de la « place Beaubourg » parisienne… un point en commun se dégage de toutes ces scènes : une personne, homme ou femme, plus précisément un personnage disons, un (PIN), occupant une place centrale donc une adresse (IP), une communication bien rodée ou improvisée mais avec maîtrise soit un (contenu) et enfin des passants ou des visiteurs ressemblant aux (nombre de vues). Et une fois le spectacle terminé, des applaudissements, bien ou moyennement nourris selon la qualité du spectacle et une gratification pour l’artiste mesurée à l’aide de ( ), généreuse ou non selon la satisfaction de l’auditoire lue dans les  (commentaires). Autrement dit, les deux scènes se ressemblent à s’y méprendre : entre, d’un côté, l’agora présentielle d’hier ou celle d’aujourd’hui, et, d’autre part, le forum virtuel où se déroule notre quotidien numérique, la ressemblance est sidérante.

Au-delà du professionnel, nous feuilletons donc les réseaux sociaux à la recherche du rare, du sublime, du captivant, du tragique, du mordant… pourquoi pas, puisque c’est notre nature d’humains, du sanglant même et du mortifère. Sur You Tube par exemple, qu’est ce qui rafle le maximum de vues ? D’abord le titre. Rien qu’à lire certains titres de certaines vidéos, rédigés avec un art suspensif, c’est-à-dire où le suspense et le mystère sont soigneusement bien travaillés, et comme cela ne suffisait pas, on y joint la scène du crime crapuleux, sang et arme, châtiment et passions basses… Et certains, de véritables génies !, n’hésiteront pas à pratiquer le mensonge dans le titre et la rumeur dans le contenu juste pour augmenter leur popularité. Ne reculant devant rien, et pour attirer plus de foules, ils useront et abuseront du mensonge, de la calomnie et de la diffamation. Et les réseaux sociaux deviennent alors, ainsi, asociaux : ils risquent, de ce fait, pour eux-mêmes des procès et des peines. Ils risquent également la désertion et le boycotte de leurs contenus. Ils portent ainsi atteinte à la réputation de certains sites…

Résumons : des exemples de réseaux et de collaboration en chaînes, où la nature se révèle pionnière, à l’échelle astronomique, macroscopique et microscopique, sont incalculables. Notre vedette de gouttelette d’eau embarquée dans cette aventure à l’échelle planétaire est le nœud ou plus exactement le nerf de tous les réseaux naturels et culturels : sans cette larme d’eau pas de vie, pas de société et pas de social non plus : dans le silence total, elle arrose tous les réseaux de la vie naturelle et culturelle ! Cette belle nature le fait à la perfection pour notre bonheur social sans le moindre résidu asocial : ni mensonge ni rumeur. La place publique ou l’agora est remplacée par une adresse IP et où la foule et la gratification y sont représentées par le nombre de vues.

Par Khaouja Ata-Ilah

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