L’erreur, la cigale et les fak news.
juillet 1, 2021
tribune libre
L’humaine erreur.
Nous avons tous appris un jour, après bien d’essais et d’échecs, que nous ne serions pas ce que nous sommes aujourd’hui si nous n’avions pas d’abord commis des erreurs. Et c’est exactement l’un des sens de « l’erreur est humaine » qu’on pourrait volontiers traduire par l’erreur égale l’humain. Ou encore que le propre de l’Homme est de se tromper. Ou enfin que l’erreur est féconde et fertile puisque humain veut dire également généreux.
A l’opposé de l’humain dont le cheminement est jalonné d’errements et d’égarements, l’animal et le végétal ne connaissent ni erreur ni mensonge, ni oubli ni manquement non plus. Puisque depuis quel l’abeille est abeille, elle produit à la perfection du miel, rien que du miel, sans jamais faillir. De même, un oranger offre, à merveille et avec fidélité, des oranges rien que des oranges et jamais des citrons par approximation ni des mandarines par oubli ni même des pamplemousses par distraction…
Evidemment toutes les erreurs ne se valent pas, puisqu’il y’en a d’anciennes très légendaires et des récentes très comiques, comme il y’en a d’innocentes, naturellement pardonnables, et de mensongères qui le sont moins. Et pour ces dernières, il y en de fabuleuses !
Or le mot erreur, qui vient de « errer » veut dire tout simplement « aller », dont les temps futur et conditionnel gardent encore une trace de cette origine lointaine bien cachée. Ne conjugue-t-on pas par exemple, le verbe « aller » au futur : « j’irai », « nous irons » ? Et nous écrivons bien au conditionnel « il irait » et « vous iriez » … ces deux temps qui qui expriment le futur réel ou éventuel, ne nous rappellent-ils pas que l’avenir de l’Homme est parsemé d’erreurs. Mieux encore, que pour aller à cet avenir qui se conjugue au futur ou au conditionnel, il faudrait bien payer en erreurs sonnantes et trébuchantes. Sonnante ou chantante et trébuchante ou errante, telle la cigale qu’on verra quelques lignes plus loin.
Des erreurs insoupçonnables.
Nous propageons entre nous, tout naturellement, certaines erreurs insoupçonnables comme si elles n’étaient pas des aberrations. Et puis nous finissons même par les transmettre de génération en génération sans la moindre attention.
Deux exemples, déjà vus précédemment dans Lte magazine N° 26, sont bien révélateurs des erreurs courantes qui sont véhiculées comme si elles ne l’étaient pas. D’abord la méthode mathématique, dite de régression linéaire, qui représente des phénomènes en progression et qu’on continue à lui attribuer l’appellation « régression » comme si elle ne peut décrire que les apparences décroissantes et régressives. La même méthode, qui est tout à fait capable de modéliser des phénomènes indépendants, est pourtant dite linéaire comme si elle n’était faite que pour traiter les tendances proportionnelles. Vous le remarquerez au passage, pour ce dernier cas, l’erreur est réfugiée au cœur des sciences les plus exactes, puisque les mathématiques est la discipline la plus rigoureuse de toutes les autres.
Ensuite, nous avons vu que « l’Intelligence Artificielle » que toutes les langues bégayent dans tous les dialectes, est au moins un abus de langage sinon une erreur scientifique qui se serait introduite lors de la traversée de l’Atlantique. Car par intelligence, les américains insinuent renseignements et traitement des données en quantité, les fameux Big Data… et que, pour désigner la vraie intelligence, les mêmes américains utilisent le terme : « smartness ». Terme qu’on retrouve d’ailleurs dans les téléphones intelligents dit justement « smartphones » ou encore dans « smart cities » pour les villes intelligemment connectées…
Restons toujours aux USA pour relever une autre erreur et peut-être la plus partagée sur le globe. Il s’agit de « OK » qui exprime l’accord et l’acquiescement, et qui implique que « tout est dans l’ordre » ou que « tout est correct ». Certes, les deux lettres inversées d’OK donnent KO et cela laisserait dire que ce qui est dans l’ordre et qui reflète l’organisation, c’est-à-dire ce qui est OK est du moins l’inverse du désordre et de la confusion donc du KO. Probable mais sans preuve aucune. Les deux lettres O et K, d’après certaines sources comme the Saturday Review of Literature ou Boston Morning Post, ne sont que les premières lettres, respectivement, de « Oll » et « Korrekt », une transcription graphique maladroite c’est-à-dire erronée de « all correct » abrégée phonétiquement, mais faussement. Encore une erreur à l’internationale…
Une erreur fabuleuse.
Et ce n’est pas tout, car une autre erreur ou plutôt plusieurs erreurs cumulées dans une même fable sont transmises de générations en générations sans la moindre correction ni aucune mise en garde. Directement dictée par des fables dans tous les dialectes, la cigale et la fourmi est une des fables qu’on continue à enseigner dans les écoles pour célébrer, à chaque séance et pour chaque génération, les vertus de l’effort et ses récompenses. C’est l’effort continu et non la distraction qui finit par payer… et bien d’autres leçons de ce genre qu’on fait véhiculer…
Mais, au passage, dans une société de plus en plus créative, on aurait pu déprécier plutôt les activités routinières de la fourmi et ses tâches répétitives. Et on aurait pu en même temps, puisque nous vivons bien dans des sociétés devenues complètement et mondialement spectaculaires et théâtrales, célébrer la prestation de la cigale. Et pourquoi nous ne voyons pas dans la cigale la liberté et l’indépendance : n’importe quel petit enfant peut enfermer des fourmis dans un bocal… alors que la cigale reste toute libre et inaccessible, même pour les grands ?
Une fourmi à terre écrasable à l’envi est désignée comme la plus vertueuse des créatures, par contre la cigale qui prône la liberté, le recul et la hauteur, serait un modèle à ne pas suivre.
Plus sérieux encore, et c’est le cœur de notre sujet, les fabulistes, en copiant certainement Esope qui lui-même en plagiant ses prédécesseurs, ont oublié par exemple que les fourmis sont plutôt carnivores, et que l’histoire des grains à mettre sous la dent ne tient pas la route. Ainsi, la cigale en question qui part demander à la fourmi des graines à becter ne mange pas de ce pain-là, elle non plus ! Après le spectacle, notre cigale est payée en liquide puisqu’elle se nourrit exclusivement de la sève !! Alors pourquoi la cigale crie-t-elle aussi haut et n’arrête pas de produire tant de bruit ? Et pourquoi invente-t-elle l’histoire des graines ?
De la rumeur aux fak news.
En occupant l’espace par ses bruits, la cigale qui a gagné sur tous les plans comme on vient de le voir, ne ressemble-t-elle pas ainsi à certains médias, traditionnels ou numériques, qui occupent toutes les ondes et toutes les antennes, jour et nuit. La cigale serait-elle la première à avoir inventé les hauts parleurs des infatigables publicitaires et des annonceurs ?
Par ailleurs, la cigale qui ne mange pas de graines par nature, nous fait croire, tout de même, qu’elle est en manque de subsistance. Première fausse information, puisqu’elle prend le meilleur de l’arbre, sa sève et sa quintessence, et elle nous le dissimule.
Elle nous fait croire, mais croire uniquement, qu’elle est sans provision, tout en criant le plus fort possible : 150 décibels ! Des stridulations de cette puissance, son original stratagème, font fuir les prédateurs les plus féroces dont l’oreille ne supporte pas ces sifflements.
Deuxième feinte : elle ne chante pas pour chanter, mais elle crée un tumulte de rumeurs et de cris à longueur de journée pour faire fuir, à coup sûr, des curieux qui chercheraient à connaître son secret de nourriture. Elle occupe l’espace par ses chants pour séduire des oreilles attentives et distraire des regards inquisiteurs et tenir tout le monde loin de son butin.
Dans le tumulte de cette rumeur furieuse, elle détourne les regards vers la fourmi et réussi à se faire passer pour une victime en simulant sa faim; voilà sa troisième ruse. Au final, elle nous donne des informations trompeuses et mensongères pour manipuler la fourmi et tout le monde autour. Elle passe son temps à occuper les ondes sonores et ne s’arrête que pour désinformer et propager les bruits. Serait-elle la première à avoir inventé la rumeur et les fausses informations ou fake news ?
Or les fake news sont justement « des fausses nouvelles ou des informations fallacieuses c’est-à-dire des informations mensongères diffusées dans le but de manipuler ou de tromper le public ». N’est-ce pas de la désinformation quand la cigale s’adresse à la fourmi et lui fait croire, ainsi qu’à nous, qu’elle manque de provisions céréalières alors que ces graines ne font pas partie de son régime alimentaire. Et d’autre part, en chantant ne fait-elle pas diversion pour que personne ne soupçonne son vrai salaire : la sève.
Enfin, une dernière information que cette fable passe sous silence, ce qui prouve bien que le stratagème a parfaitement fonctionné : face à une fourmi insensible et inhumaine, notre pauvre cigale non seulement elle a gagné la sympathie de certains d’entre nous, mais personne n’ose du coup lui demander de baisser le ton et de cesser de souiller l’ambiance et de polluer l’environnement par ses nuisances acoustiques insoutenables.
Par Ata-Ilah Khaouja