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Le professeur M. Mustapha Ouladsine répond à toutes les questions que vous vous posez à propos de l’intelligence artificielle (IA).

Le professeur M. Mustapha Ouladsine répond à toutes les questions que vous vous posez à propos de l’intelligence artificielle (IA).

En marge de la conférence «la révolution de l’intelligence artificielle (IA) », assurée le 28 novembre 2017 à Rabat au Med-It

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Professeur M. Mustapha Ouladsine

2017 par M. Mustapha Ouladsine(*), Professeur classe exceptionnelle à Aix Marseille Université et actuellement Directeur du Laboratoire des Sciences de l’Information, LTE Magazine (khaouja) a saisi l’opportunité de la présence du Professeur Mustapha Ouladsine pour lui poser quelques questions pertinentes sur le sujet, dont celle se rapportant  aux enjeux de l’IA .

 C’est quoi l’intelligence artificielle ? :

D’un point de vue scientifique, l’Intelligence Artificielle (IA) peut être définie comme étant la science dont le but est de faire faire par une machine des tâches que l’homme accomplit en utilisant son intelligence. Créer une nouvelle intelligence, nous amène à s’interroger sur le sens même de l’intelligence. Selon Cédric Villani, mathématicien et médaille Fields en 2010, l’intelligence est multiple. C’est la capacité à trouver d’excellentes réponses à des problèmes complexes, c’est aussi ordonner les choses, c’est aussi la capacité à apprendre et tirer les leçons de ses erreurs etc. quoi qu’il en soit plusieurs définitions de l’IA existent dans la littérature. En exploitant les définitions les plus populaires, nous pouvons les classer en deux parties : celles dont le but est la création de systèmes dont les comportements ressemblent à l’humain (Cette idée rejoint le test de Turing) et d’autres qui assimilent l’IA à des systèmes qui pensent rationnellement. C’est une logique qu’approfondissent les scientifiques. On peut également donner une classification aux définitions de l’IA. Celle qui me paraît la plus aboutie est celle qui fait apparaitre une classification matricielle autour de l’intelligence et la rationalité en faisant la distinction entre l’intellect et le comportement.

Pouvez-vous nous rappeler l’histoire de l’IA :

L’histoire de l’IA peut remonter à 350 ans avant JC où on trouve les premières approches de la logique formelle par Aristote et les premières méthodes de raisonnement formels par Euclide. Néanmoins les fondements de l’IA ont vu le jour dans les années 1950 après la publication du test de Turing qui place les critères de définition pour l’intelligence d’une machine et surtout après 1956 où l’IA devint une science lors de la conférence à Dartmouth sous l’instigation de John McCarthy et Minsky. Ainsi, une nouvelle discipline a été créée en indiquant quelques pistes de recherche, comme les réseaux de neurones, l’apprentissage machine et l’étude de la créativité, etc. Mais c’est qu’en 2006 que l’IA va connaître un développement inattendu, après que le chercheur Hinton propose le Deep Learning, l’apprentissage profond qui est une extension des réseaux de neurones. Le développement de l’IA a été aussi favorisé par la vitesse des processeurs, la disponibilité de la mémoire et des données, la miniaturisation des capteurs, des actionneurs et des sources d’énergie. Ainsi, des applications deviennent possibles dans plusieurs domaines soit pour remplacer les humains, soit pour assister et servir les humains soit pour réhabiliter/augmenter les humains.

L’IA aurait-elle une conscience ?

A première vue l’ordinateur existe, à la base, uniquement grâce ou à cause de l’homme. Il est donc de prime abord, absurde de se demander si l’IA a une conscience. Néanmoins plusieurs chercheurs travaillent sur le sujet cela veut dire qu’il n’est pas exclu, dans les années à venir, d’avoir des modèles représentatifs de la conscience humaine qu’on introduira dans les machines d’intelligence artificielle. Dans ce cas on parlera de l’IA forte. Mais lorsqu’une machine possède une conscience, elle aura le choix de faire ou de ne pas faire ce pourquoi elle a été créée et l’homme en perdra le contrôle. Mais la technologie actuelle ne permet pas aux machines de s’émanciper, car elles sont dépourvues d’imagination et l’ordinateur ne simule que la partie la plus mécanique de la pensée humaine. N’oublions pas que l’humain est à la base de cette potentielle pensée de l’ordinateur.

Un cerveau humain artificiel ?

Je pense personnellement que nous sommes encore très loin de rivaliser avec le cerveau humain. Mais plusieurs travaux sont en cours sur le sujet. A ma connaissance, le plus important, à l’échelle européenne est le projet «The Human Brain Project» (le projet du cerveau humain) qui a pour objectif la simulation sur ordinateur du fonctionnement d’un cerveau humain complet en s’inspirant des réseaux neuronaux. Le premier modèle développé est un réseau à 2,5 millions de neurones, considéré comme le plus puissant de sa catégorie pourtant il possède très peu de neurones par rapport au cerveau humain qui en compte 100 milliards et à sa création. En 2012, ce modèle mettait 3 heures pour simuler une seconde d’activité cérébrale. Les chercheurs ne perdent pas espoir, car il a depuis été amélioré, devenant 100 fois plus rapide. Ils sont également convaincus, que ce projet pourrait permettre de mieux comprendre le cerveau humain et que l’on pourrait ainsi y réaliser des expériences dans le but de soigner des maladies cérébrales, aujourd’hui encore incurables et tout cela grâce à cette simulation du cerveau humain.

Faut-il avoir peur de l’intelligence artificielle ?

Les développements observés à ce jour en IA se sont révélés être très utiles à l’humanité. Ceci nous laisse penser que l’IA ne représentera pas de danger si elle est utilisée pour le bénéfice de l’humanité entière et non pour le bénéfice d’un petit nombre aux dépens des autres. Mais beaucoup de grands scientifiques redoutent les conséquences de la création d’une IA qui pourrait égaler ou dépasser les humains. Parmi lesquels le plus célèbre astrophysicien Stephen Hawking qui a déclaré en 2014 que le développement d’une IA complète pourrait mettre fin à la race humaine en justifiant ses propos par le fait que les hommes, limités par une lente évolution biologique, ne pourraient pas rivaliser et seraient dépassés. A mon avis, nous sommes encore très loin de cela, car l’analyse des dernières avancées en IA, montre que produire une machine qui simule le comportement total d’un cerveau humain a encore du chemin à faire (je ne dis pas que c’est impossible).

L’IA représentera une opportunité pour l’homme tant que ce dernier ne perd pas le contrôle sur les outils et les machines qu’il développe. Un bon usage de l’IA accompagné par une éthique, améliorera et aura une incidence importante sur nos vies et permettra de nous rendre plus productif et facilitera notre travail. Les transports, la santé, la sécurité ou encore l’éducation sont tout autant de secteurs concernés par les avancées en matière d’intelligence artificielle (je dirai que ceci est possible si l’homme qui délèguera un processus de décision à une machine définit au préalable les limites). Le vrai danger apparaitra quand l’IA aura une conscience et pourra décider par elle-même de ce qu’il faut faire ou pas. Ainsi, pour éviter la perte de contrôle de l’IA, des comités de réflexion éthiques ont été créés. Ils sont indispensables. Les spécialistes les plus influents de l’intelligence artificielle ont adressé le 21 août 2017 une lettre ouverte aux Nations Unies afin de les alerter sur les dangers des armes autonomes.

Quels sont les enjeux de l’IA ?

Plusieurs études ont été faites sur le sujet. Une étude menée par plusieurs experts invités par Dell et publiée en 2017 affirme que 85% des emplois de 2030 n’existent pas aujourd’hui. D’autres études montrent quand une délocalisation permet d’économiser jusqu’à 65% sur le coût du travail, une robotisation peut réduire ce coût de 90%. Plusieurs chercheurs pensent, à juste titre, que les impacts du développement de l’IA seront positifs, mais transformeront profondément le marché de l’emploi et de la société. C’est pour cela que je pense que les législateurs et les scientifiques doivent coordonner leurs réflexions et faire en sorte que le bénéfice de l’IA soit largement partagé par tous. Une IA/robotisation qui ne fait que détruire des emplois au bénéfice de certains producteurs et décideurs, sans alternatives pour ceux qu’elle remplace, n’aura pas d’accueil favorable par la population, et ceci aura une influence sur les conséquences. Le plus inquiétant à mon sens est que l’IA représentera peut-être une opportunité de nouveaux emplois en occident mais pourrait être une réelle menace pour l’emploi dans les pays en émergences, car ils ne se sont pas préparés à reconvertir leur population. Les nouveaux emplois crées par l’IA seront de haut niveau de qualification et nécessiteront des compétences différentes. C’est pour cela qu’il faut repenser et revoir nos offres de formations afin de bien préparer cette transition qui va, comme je l’ai déjà dit, bouleverser notre mode de travail.

La robotisation et l’IA sont entrées dans une phase de développement très rapide. Il faut aussi que nos hommes politiques réagissent vite pour s’adapter à la vitesse de ces développements technologiques qui menacent le marché de l’emploi actuel. Certains experts prédisent des tensions sociales dans les pays qui ne se prépareront pas à cette évolution.

(*) : Mustapha Ouladsine est Professeur classe exceptionnelle à Aix Marseille Université et actuellement directeur du Laboratoire des Sciences de l’Information et Système (LSIS UMR CNRS 7296) depuis 2008 et directeur à partir de janvier 2018 du laboratoire d’Informatique et Systèmes d’Aix Marseille université et du CNRS. Ce laboratoire va fédérer plus de 370 chercheurs, enseignants chercheurs et doctorants. Les activités de recherche du laboratoire recouvreront les domaines de l’Informatique, de l’Automatique et de l’Image. Ces activités de recherche à caractères fondamental et appliqué sont valorisées par plusieurs contrats industriels avec les plus grandes sociétés (EADS Airbus Hélicoptères, STMicroelectronics, DCNS,…) et sont principalement autour des systèmes d’aide au diagnostic et à la décision par analyse de données et intelligence artificielle. Créateur du Master professionnel Science de l’information et des systèmes qu’il a dirigé pendant plus de 8 ans. Il a été responsable du thème traitement de l’information de l’institut Carnot STAR. Il est expert ANR (Agence nationale de la recherche) et ANRT (Association nationale de la recherche et de la technologie) sur le thème diagnostic et pronostic des systèmes complexes. Membre du Comité d’Orientation Scientifiques de l’ONERA. Il est éditeur associé et vice-président de plusieurs conférences internationales. Responsable scientifique de plus de 15 contrats de recherche et auteur de plus de 160 publications scientifiques de rang A.

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