mercredi , 16 octobre 2024

Justes TICs et jusTICe

Toutes les inventions ne se valent pas et certaines d’entre elles, malgré les riches services qu’elles rendent à l’humanité, paraissent, à peine, banales et insignifiantes. Certes, elles ont traversé l’épaisseur de plusieurs millénaires et pourtant, leur portée universelle demeure méconnue. Certes, elles ont remarquablement bercé et bercent toujours nos vies quels que soient nos âges : enfance, adolescence… et pourtant elles sont discrètes et silencieuses. Par exemple, qui peut imaginer un seul instant un monde sans vélo ? Bien évidemment, il date du XIXème siècle, mais, nous oublions souvent qu’un vélo est, d’abord et avant toute chose, deux roues. Et, d’après les historiens, la roue a été inventée en Mésopotamie, l’actuel Irak, il y a plus de cinq mille ans. Rouler à vélo, le corps entièrement sur les deux roues sans chute ni aide extérieure, pour parcourir plus de distance en peu de temps, a été un inégalable exploit historique réalisé par notre ancêtre. Une première même, comme jamais cela n’était arrivé auparavant dans l’histoire : l’humain venait d’économiser du temps et de la sueur tout en renonçant aux dos des bêtes domestiquées et soumises à sa guise. Et sans la moindre énergie extérieure ! Le vélo est une invention vitale, c’est-à-dire qu’il rappelle et symbolise la vie, à l’image du mythe de Sisyphe, où il faut toujours faire, projeter, avancer, se dépasser, se surpasser… : suspendre l’effort de pédaler et étouffer la lutte contre le déséquilibre reviendraient à risquer la chute. Et chacun de nous se souvient, encore aujourd’hui, de ses propres moments d’initiation, inoubliablement mémorables, où comme un magicien, au prix de dix coups de pédale et de trois chocs et autant de blessures, il s’est mis sur les deux roues et a continué sa route sur quelques mètres, en parfait équilibre, admirablement droit et en toute liberté, s’élançant vers la découverte du monde. Exactement la même sensation de confiance que nous avons gagnée, quand nous avons dû quitter les secours des bras doux maternels et l’appui ferme du sol pour nous mettre debout et marcher ensuite à la conquête de l’extérieur. Tous ces apprentissages que nous avons, hélas, déjà oubliés, nous ont initiés à l’autonomie et à la liberté et sans lesquels nous serions restés enfermés à jamais, comme des bêtes, dans nos instincts primaires.

Or, la particularité de la personne qui se maintient sur un vélo, adroitement et qui roule, librement, en parfait équilibre rappelle, par les deux roues, la balance et ses deux plateaux. Sauf que, d’une part, le mot « équilibre » comme équation ou égalité, dont la racine est bien enfouie dans « ex-aequo », révèlent l’équité qui est la finalité noble et suprême de la justice. Et d’autre part, le mot « justice », dont l’emblème est, justement, la balance et ses deux plateaux, rappelle, certes, « jus-juris » qui veut dire le droit, mais, curieusement, d’après une autre racine, indo-européenne celle-ci, donc très lointaine, justice renvoie au joug. Or qu’est-ce qu’un joug ? Une pièce en bois qui permettait d’atteler donc de lier entre eux, deux ou plusieurs animaux, et de répartir justement, c’est-à-dire équitablement, la force d’attraction entre les bêtes. Et par miracle, nous apprenons que roue et joug, ont été inventés en même temps et au même endroit, rappelons-les : en Mésopotamie et il y a plus de cinq mille ans. Cette roue et ce joug, renvoient naturellement, à l’équilibre et à l’équité ou encore à la justice et au droit : le joug pour le lien et la loi ; la roue pour l’équilibre et le droit. Cet aperçu historique, donc muet dans le temps, n’empêche pas de constater que la justice actuelle, comme toutes les grandes institutions d’ailleurs, est en train de muter considérablement grâce à la révolution des technologies des télécommunications. Nous y reviendrons.

Qu’en est-il, d’abord, de l’histoire de la justice avant qu’elle n’ait fait appel aux technologies des télécommunications ? En réalité, avant l’advenue des télécommunications, la justice vivait, ainsi paisiblement, dans une époque rythmée de lenteur et de lourdeur : lenteur de temps et lourdeur des procédures. C’était et c’est le point commun entre tous les systèmes juridiques, puisque, partout, on parle effectivement de temps judiciaire pour évoquer cette pesanteur et rappeler cette perte de vitesse. D’ailleurs, la toile nous apprend que l’histoire des tribunaux, dans le monde entier, depuis bien longtemps et sous toutes les latitudes, a été marquée par des affaires délictueuses et criminelles, qui sont restées, injustement, muettes à jamais et qui ont été abandonnées pour toujours. Rien qu’au siècle dernier, des milliers d’affaires sérieuses, criminelles pour la plupart d’entre elles, n’ont jamais été élucidées, malgré toutes les investigations. Et ce n’est pas par défaut de moyens, tout au contraire, partout dans le monde, en dépit de la bonne volonté et au mépris de dépenses financières colossales, des coupables courent toujours ou sont morts sans jamais être arrêtés et jugés. Sans compter tous les renvois pour des questions techniques tels que les vices de procédure…questions qui accablent et enchaînent, temporellement, la justice. Inutile de rajouter, enfin, à tout cela, la destruction mystérieuse des preuves matérielles ou la disparition douteuse des témoins humains. Bref, ces procédés, utilisés jusqu’à très récemment et jugés trop chronophages et démesurément budgétivores, paraissent, de nos jours, complètement désuets au regard des nouvelles technologies.

Parmi la multitude des exemples, qu’il est impossible d’énumérer, arrêtons-nous sur trois précédents qui vont nous révéler que l’absence des technologies des télécoms, à l’époque, a été excessivement onéreuse et, en même temps, sans résultats pour la justice et injustement dommageable pour le justiciable. Autrement dit, si on avait assaisonné de quelques soupçons de télécoms toutes ces scènes, où il y allait de vies humaines, la justice aurait pris un autre tournant et abouti à l’issue juste et rapide avec, en prime, des économies budgétaires.

Un. A la veille de la seconde guerre mondiale, un très grand physicien Italien, du nom d’Ettore Majorana, spécialiste de la physique des particules fait une disparition curieuse et parsemée d’intrigues. Porté disparu, il était par conséquent recherché par toutes les polices italiennes, et vue la sensibilité nucléaire de ses recherches, il l’était jusqu’au plus haut niveau de l’état. Disparition réussie et définitive : aucune trace de sa vie ni de son corps depuis et jusqu’à l’heure. Et selon l’adage des enquêteurs policiers, les cadavres des morts sont toujours retrouvés ; seuls les vivants réussissent leur disparition et se rendent invisibles. A-t-il mené, par conviction personnelle, une vie retirée pour ne pas être mêlé à la bombe atomique ? Certains historiens le pensent bien. Pour la justice, malgré tous les moyens gigantesques mis à sa disposition, c’est un échec accablant puisqu’elle n’a apporté, à aujourd’hui, aucune réponse à cette disparition demeurée mystérieuse pour toujours. Bien évidemment, tout en regrettant cette disparition, certains diraient : quelle idée de sortir de chez soi ce beau matin du 26 mars 1938…sans son smartphone !

Les deux autres cas sont beaucoup plus proches de nous, puisqu’il s’agit de l’affaire Raddad et de celle de Grégory. Le premier est considéré le témoin clé dans la disparition de son richissime employeur dont il entretenait la villa et l’autre a été retrouvé sans vie, mains et pieds ligotés au fond d’une rivière. Le premier est en liberté sans jamais être totalement acquitté ni définitivement innocenté, puisqu’il est juste « déclaré innocent ». Et les proches de l’autre sont de temps en temps convoqués pour encore prouver un alibi ou vérifier un calendrier. Et dans les deux cas, et à aujourd’hui, la justice n’a apporté aucun jugement décisif ni définitif. Imaginons les mêmes événements se reproduire de nos jour et jetons, au milieu de chaque scène, rien qu’un portable ; imaginons en plus, un ou deux radars, sur les chemins qui mènent à  la villa ; imaginons, mieux encore, quelques reconnaissances faciales perchées sur deux ou trois poteaux plantés sur les routes qui convergent vers la rivière ; imaginons, toujours, quelques yeux de caméras suspendus à quelques drones en hauteur ; imaginons, enfin,  les deux scènes des crimes où les victimes auraient eu chacune au poignet, par exemple, une montre connectée ; imaginons… les choses auraient complètement pris d’autres tournures qui auraient évité l’inculpation des innocents, et il y en a eu, et les douleurs des familles, et elles sont immenses… Et nous dirions :  quelle idée de ne pas avoir équipé la villa de caméra ce 23 juin 1991 ! Et nous rajouterions :  quelle idée encore de ne pas avoir interrogé le GPS de la voiture qui a servi au crime, au bord de la rivière, ce 16 octobre 1984 !

Ce constat amer, ne concerne pas uniquement le tribunal, le vrai en pierres et en béton, lieu imposant où siègent les avocats et les juges ; lieu solennel où sont prononcées les sentences. Afin d’éviter toute décision arbitraire, l’appel à l’utilisation des moyens télécoms, pour trancher, s’étend à d’autres lieux d’arbitrage. Dans les stades, par exemple, qui sont de véritables tribunaux à ciel ouvert, deux équipes adverses, supportées par des dizaines de milliers de spectateurs, se disputent pour gagner un procès à coup de buts marqués, c’est-à-dire, attribués, par un arbitre, qui est le seul et véritable juge de cette cérémonie sérieuse. Très sérieuse même, sinon elle ne ferait pas déplacer des foules entières qu’on installe dans des tribunes !

D’abord jugées discutables et inadmissibles avant de s’imposer comme institution aujourd’hui, des caméras généralisées lors d’événements sportifs ont contribué à faire évoluer la manière de décider. Les arbitres, redisons-le, qui sont de véritables juges sur le terrain, et pour mieux voir les angles morts et constater les erreurs éventuelles à sanctionner, recourent de plus en plus aux moyens technologiques d’observation rapprochée.  Qui pensait un seul instant, il y a à peine quelques années, que des rencontres internationales aient pu être annulées faute de VAR (Video Assistant Referees) ? Referees, vous le savez, voulant dire arbitres, alors qui imaginait, un seul instant, qu’un juge de terrain de jeu aurait eu besoin d’assistance vidéo ? Et pourtant !

Et savons-nous que dans certains cas, les chaussures des athlètes sont équipées de puce, comme lors de marathon par exemple, ce qui permet, ainsi, qu’à l’arrivée, le mérite et le classement s’attribuent électroniquement en fonction des différents bornages de la puce tout le long du parcours ? Le ballon à puce, détecté par l’électronique enterrée sous la ligne de but, testé au Pérou en 2005, puis abandonné, reviendra-t-il pour aider à éviter ainsi des erreurs aux arbitres et les conséquences qui en découlent?

D’autres avis suggèrent que soit étendu, aux forces de l’ordre, le port des moyens technologiques embarqués afin d’éviter toute bavure policière. Et qu’est-ce que la police, quand elle est garante de l’ordre public et du maintien de la paix, sinon un tribunal ambulant et une justice mobile. Ceci pour les institutions.

Il est inutile d’évoquer ici, tellement la pratique est de plus en plus généralisée, les lieux privés et les individus, simples citoyens, qu’ils soient cyclistes, motards ou automobilistes, qui sont de plus en plus équipés de caméras IP ou pas, pour immortaliser les infractions, délits ou crimes… Toutes ces preuves, quand elles sont irréfutables, sont mises entre les mains de la justice et accélèrent ainsi la réparation des dommages et l’application des peines. Mieux encore, devant une certaine lenteur excessive, des citoyens victimes de délits et d’injustices, se retournent de plus en plus vers Internet, l’autre tribunal virtuel, sans protocoles ni rituel, pour alerter des faits, avec des preuves à l’appui, et permettre à la justice, une fois saisie, de trancher de manière décisive et dans des délais très courts.

Résumons : depuis l’avènement des technologies des télécommunications de plus en plus sophistiquées, de plus en plus efficaces et de plus en plus miniaturisées, la justice ne tarde plus à répondre rapidement, et des fois se garde d’‘’instruire à charge et à décharge dans un délai raisonnable’’. Parce qu’elle est convaincue de la tangibilité des preuves fournies par le bornage d’un mobile, c’est-à-dire d’un téléphone portable, par exemple, elle ordonne, tranche et décide, sans même mettre la main sur le mobile, c’est-à-dire le motif ou la cause, du délit ou du crime… Et qu’il s’agisse de droit social ou de droit pénal, qu’il s’agisse d’affaires impliquant uniquement des humains entre eux ou encore des humains et des biens ou enfin des humains et des animaux, les exemples ne manquent pas où, à peine mises sur les réseaux sociaux, des vidéos ont joué un rôle catalyseur indéniable dans la prise de décision rapide de justice. Des peines lourdes d’amendes et de privation de liberté immédiates s’en sont suivies…

Pour finir, des tribunes aux tribunaux, des arbitres aux juges, les sentences qui doivent être distribuées ou plus exactement attribuées de manière juste, sont dorénavant tributaires des nouvelles technologies des télécommunications, évitant, ainsi, de l’injustice à des citoyens et économisant, de même, des sommes faramineuses aux contribuables ! Autrement dit, par tous les moyens civils, carte de paiement, bornage de téléphone, reconnaissance faciale, géolocalisation, drones, puces RFID incorporées… et sans faire appel à de la haute technologie satellitaire militaire secrète, comme celle-là déployée lors de la libération des otages, les télécommunications apportent des preuves irréfutables pour la justice qui tranche dans des délais meilleurs, générant ainsi un gain de temps précieux pour le justiciable.

Par Ata-Ilah Khaouja

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