samedi , 27 juillet 2024
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Interview avec Mr. John OMO, Secrétaire Général de l’Union Africaine des Télécoms (UAT). L’entretien a été conduit par Ahmed Khaouja (Lte magazine).

Interview avec Mr. John OMO, Secrétaire Général de l’Union Africaine des Télécoms (UAT). L’entretien a été conduit par Ahmed Khaouja (Lte magazine).

1-Pour les lecteurs du magazine Lte, pouvez-vous nous dire en quelques lignes la mission de l’UAT ?

Fondée en 1977, l’Union Africaine des Télécommunications (UAT) est un organe de membres représentant aujourd’hui 51 pays africains et 56 membres associés composés d’opérateurs de télécommunications fixes et mobiles, d’entreprises technologiques et d’organisations de la société civile.
L’UAT joue un rôle important dans l’espace africain des TIC et notre principale responsabilité est de comprendre et de répondre aux besoins et aux défis en constante évolution de nos membres, de développer des stratégies efficaces et de faire progresser des relations solides au sein du secteur des télécommunications.
L’UAT sert de forum de partage des connaissances, facilitant le dialogue et la collaboration entre les parties prenantes publiques et privées. Nous contribuons à améliorer l’accès aux infrastructures et aux services d’information, à promouvoir l’intégration des marchés régionaux, à attirer les investissements et à soutenir les initiatives de renforcement des capacités.
L’UAT coordonne également avec les pays africains et défend les intérêts africains lors des conférences mondiales de prise de décision, en veillant à ce que la voix de l’Afrique soit entendue dans l’élaboration des politiques mondiales de télécommunications/TIC. Grâce à ces efforts, l’UAT contribue à la croissance et au développement de l’industrie africaine des télécommunications, faisant progresser le progrès socio-économique à travers le continent.

2-Quelles sont les principales caractéristiques de votre programme suite à votre réélection comme SG de l’UAT ?

Au moment de ma réélection, et vraiment dès le début de mon mandat à l’UAT, ma vision a été d’optimiser la valeur de l’Union pour ses membres et d’accélérer la transformation numérique de l’Afrique, en s’engageant et en collaborant activement avec les acteurs des télécommunications et TIC en Afrique et dans le monde.
J’ai choisi d’adopter une approche à deux volets qui a été un véhicule important pour aider à la réalisation de cette vision. Travaillant en étroite collaboration avec les partenaires stratégiques. Ce qui nous a permis à l’UAT de :
i) Promouvoir le déploiement stratégique des programmes et projets africains de télécommunications/TIC qui tiennent compte des réalités pratiques de l’écosystème africain des télécommunications/TIC, pour une croissance accélérée des télécommunications/TIC aux niveaux national, sous-régional et régional.
ii) Diriger l’harmonisation des cadres d’octroi de licences, de politiques et de réglementation en tant qu’initiative stratégique pour accélérer le développement et l’innovation des infrastructures.
Le résultat le plus significatif de cette approche est que nous avons acquis une compréhension et une appréciation plus profondes des problèmes critiques qui affectent l’Union et le secteur des télécommunications/TIC sur le continent et nos capacités de résolution de problèmes et d’établissement d’une vision sont à un niveau record.

3-Selon vous, quels sont les principaux défis que les pays africains membres de l’UAT doivent surmonter pour bénéficier des avancées technologiques internationales dans les télécoms/TIC ?

a) Développement des infrastructures : De nombreuses régions d’Afrique manquent d’infrastructures de télécommunication de base, telles qu’une électricité fiable et une connectivité réseau. L’extension des infrastructures de télécommunications aux zones rurales reste également un défi important en raison des coûts élevés impliqués. Un autre facteur est la faible pénétration du haut débit, qui entrave l’adoption et l’utilisation des services avancés de télécommunications/TIC.
b) Fracture numérique : Il existe une fracture numérique importante entre les zones urbaines et rurales, ainsi qu’entre les différents groupes socio-économiques, limitant l’accès équitable aux télécommunications/TIC. Les femmes et les filles sont également souvent confrontées à des obstacles pour accéder aux télécommunications/TIC et les utiliser, notamment des compétences numériques limitées, des normes sociales et des barrières culturelles.
c) Déficit de compétences numériques : lié à la fracture numérique, il existe une pénurie de professionnels qualifiés dans le secteur des télécommunications/TIC, ce qui entrave le déploiement et la gestion efficaces des technologies de pointe. L’amélioration de la qualité et de la pertinence des programmes d’enseignement et de formation en télécommunications/TIC est essentielle pour créer une main-d’œuvre capable d’utiliser les nouvelles technologies.
d) Cadres politiques et réglementaires : De nombreux pays africains manquent de cadres réglementaires complets et à jour qui encouragent l’investissement, la concurrence et l’innovation dans le secteur des télécommunications/TIC. Cette situation est exacerbée par un problème de gestion et d’attribution du spectre qui entrave le déploiement de technologies sans fil avancées, telles que la 5G.
e) Financement et investissement : Les pays africains ont souvent du mal à obtenir des ressources financières suffisantes pour le développement des infrastructures de télécommunications/TIC et l’adoption de la technologie. L’amélioration du climat d’investissement, y compris la résolution des problèmes liés à la fiscalité, aux droits de propriété intellectuelle et aux obstacles à l’entrée sur le marché, peut attirer davantage d’investissements du secteur privé.

4-Pensez-vous que les actions de coordination menées par l’UAT avec les autres groupements régionaux sont efficaces aujourd’hui ? sinon, quelles mesures peut-on prendre pour les renforcer ?

Très efficace ! Il suffit de regarder les résultats de ces efforts pour justifier cette conclusion. Pour commencer, en seulement cinq ans, nous avons élargi le nombre de membres de l’Union en intégrant cinq États membres et 20 membres associés. Entre 2019 et 2021 seulement, les cotisations des membres ont augmenté d’environ 11 %, parmi de nombreuses autres réalisations.
C’est une démonstration claire de la confiance dans l’Union. Pour renforcer davantage nos actions de coordination, nous disposons d’un mécanisme d’évaluation qui traite les commentaires des membres et des parties prenantes. Cela a permis de renforcer la collaboration grâce à des canaux de communication réguliers, au partage des connaissances et à des événements conjoints.
Nous avons été en mesure d’harmoniser les politiques et les réglementations entre les groupes régionaux, de mobiliser des ressources grâce à des partenariats avec des organisations internationales et le secteur privé et de nous engager dans des programmes de renforcement des capacités pour développer les compétences. Nous pouvons faire plus et nous sommes prêts à le faire.

5-Comment évaluez-vous la contribution des États africains aux Conférences et aux réunions de l’UIT et aux groupes de travail de l’UIT ?

Les États africains ont apporté d’importantes contributions aux conférences et aux groupes de travail de l’UIT, jouant un rôle déterminant dans l’élaboration des politiques mondiales en matière de télécommunications et TIC. Lors des conférences de l’UIT telles que la Conférence de plénipotentiaires (PP), les États africains participent activement aux discussions, proposent des résolutions et présentent leurs points de vue, en veillant à ce que les préoccupations et les priorités régionales soient prises en compte. Notre participation active et nos contributions influentes ont contribué à des résultats positifs et à des avancées politiques.
Dans le cadre des Conférences mondiales des radiocommunications (CMR), par exemple, les États africains ont défendu avec succès les questions d’attribution du spectre qui sont pertinentes pour la région. Grâce à notre précieuse contribution sur les questions liées à la coordination des radiofréquences, aux orbites des satellites et aux sujets connexes, nous avons efficacement protégé nos intérêts et assuré une gestion juste et équitable du spectre.
Lors des Conférences mondiales de développement des télécommunications (CMDT), nous avons activement contribué aux discussions sur la réduction de la fracture numérique, la promotion du développement des infrastructures et l’amélioration de l’accès et de l’abordabilité.
Nous avons également apporté des contributions notables au sein de l’Assemblée mondiale de normalisation des télécommunications (AMNT). Nos contributions garantissent que les exigences uniques et les perspectives régionales des États africains sont adéquatement représentées, créant ainsi un processus de normalisation plus inclusif et pertinent à l’échelle mondiale. Par exemple, nous allons bientôt, avec l’UIT, mettre en place des projets pilotes pour un numéro d’urgence unique pour l’Afrique.
Nous avons fait preuve d’engagement, de leadership et de participation active, et les résultats de nos actions sont visibles.

6-Quels pourraient être vos souhaits pour un engagement encore plus fort du Maroc dans les travaux de l’UAT ?

Il est important que tous les États membres de l’UAT, y compris le Maroc, reconnaissent l’importance de leur engagement envers les travaux de l’Union africaine des télécommunications. L’engagement et l’implication actifs jouent un rôle essentiel dans l’élaboration de l’avenir du développement des télécommunications et des TIC sur le continent africain.
Tout récemment, le Maroc est devenu le 27e pays africain à ratifier la Constitution et la Convention de l’Union africaine des télécommunications. Il s’agit d’une étape importante car elle accorde au Maroc tous les droits conférés aux États membres, y compris le droit de participer à toutes les activités, réunions et conférences de l’Union, d’élire et d’être élu au Conseil d’administration de l’Union et de recommander des candidats aux élections en tant que fonctionnaires de l’Union. La ratification ouvre désormais au pays davantage de possibilités de collaboration avec d’autres États membres de l’UAT dans le développement des télécommunications/TIC. Nous discutons avec le Maroc des opportunités de renforcement des capacités pour certains pays africains, ce qui contribuera grandement à accroître la capacité de ces pays dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques et de réglementations en matière de TIC.
L’UAT, en tant que plate-forme collaborative d’échange de connaissances, permet aux États membres de façonner collectivement les politiques, stratégies et initiatives régionales dans le secteur des télécommunications à travers l’Afrique. La participation active et l’engagement de tous les États membres de l’UAT, y compris le Maroc, sont cruciaux pour réaliser le plein potentiel de l’Union africaine des télécommunications.

7-Aujourd’hui, les télécoms/TIC sont devenus des outils nécessaires pour travailler ou apprendre. Pour réduire la fracture numérique dans nos villages et nos communautés rurales, ne pensez-vous pas qu’il soit utile de trouver d’autres sources de financement en plus des fonds du service universel et des efforts des opérateurs télécoms.

Pour réduire efficacement la fracture numérique dans nos villages et nos communautés rurales, il est impératif d’explorer des sources de financement supplémentaires aux côtés des fonds de service universel et des efforts des opérateurs télécoms.
Une solution consiste à créer des fonds dédiés à la connectivité rurale qui regroupent les ressources des gouvernements, des entités du secteur privé et des partenaires de développement. Ces fonds peuvent être spécifiquement alloués à l’expansion des infrastructures, à l’amélioration de la couverture du réseau et à la fourniture d’un accès abordable dans les zones mal desservies.
La canalisation des ressources financières vers ces initiatives ciblées peut réduire la fracture numérique et garantir que les communautés rurales disposent de la connectivité nécessaire pour l’éducation, l’emploi et le développement social.
Une autre approche viable consiste à encourager les modèles de financement innovants tels que les fonds d’investissement à impact et les obligations à impact social. Ces mécanismes attirent des investisseurs privés qui s’engagent à atteindre des objectifs de développement social et économique tout en générant des rendements financiers.
De plus, les gouvernements peuvent inciter les opérateurs de télécommunications par le biais d’allégements fiscaux ou d’avantages réglementaires pour les encourager à investir dans l’expansion de leur infrastructure de réseau dans les régions mal desservies.
Ces approches, et bien d’autres qui sont proposées, encouragent la participation du secteur privé tout en assurant un développement durable et à long terme de l’industrie.

8-Justement beaucoup d’espoirs étaient attendus des accords de l’OCDE signés en octobre 2021 pour fournir des ressources financières à travers la taxation des géants du numérique. Mais malheureusement, ces accords semblent compliqués pour notre continent. Même le cadre inclusif, qui prévoit une exception pour les petites juridictions, n’est pas assez inclusif. Que pensez-vous de ces accords de l’OCDE ? On sait que, par exemple, le Kenya a choisi de ne pas signer ces accords et d’appliquer une fiscalité directe aux géants de l’internet.

Les accords de l’OCDE s’inscrivent dans le cadre d’un effort visant à relever les défis posés par la numérisation de l’économie mondiale et à garantir une répartition équitable des droits d’imposition.
Nous reconnaissons et apprécions que ces accords constituent une étape positive vers la création d’un système fiscal international plus équitable, car ils visent à résoudre le problème des entreprises numériques qui sont souvent en mesure de générer des revenus substantiels dans des pays sans y être physiquement présents et, par conséquent, en évitant payer des impôts dans ces juridictions.
Cependant, il est important de noter que la mise en œuvre de ces accords peut être complexe et que l’impact peut varier selon les régions et les pays. Certains pays ou régions peuvent éprouver plus de difficultés à s’adapter aux nouvelles règles fiscales ou peuvent avoir des préoccupations spécifiques quant à l’inclusivité du cadre.
Concernant la décision de certains pays africains de ne pas signer ces accords et d’appliquer à la place une taxation directe des géants de l’internet, il convient de noter que les pays ont le droit souverain de concevoir et de mettre en œuvre leurs propres politiques fiscales. Ces pays auraient peut-être choisi de poursuivre leur propre approche pour faire face à la taxation des géants du numérique en fonction de leurs circonstances et priorités spécifiques.
Il est également important de reconnaître que le paysage fiscal mondial évolue et que différents pays peuvent adopter des approches différentes. Cela peut conduire à des différences dans la manière dont ils abordent la fiscalité des géants du numérique, créant potentiellement des difficultés pour parvenir à une approche mondiale pleinement harmonisée et cohérente. Dans l’ensemble cependant, nous sommes d’avis, au sein de l’Union, qu’une taxation supplémentaire a pour effet d’augmenter les coûts d’un produit ou d’un service pour le consommateur final et décourage l’investissement. Un équilibre délicat est donc nécessaire.

Courte biographie de M. John Omo SG de l’UAT :

M. John OMO est le Secrétaire général de l’Union africaine des télécommunications (UAT), l’agence spécialisée de l’Union africaine pour le développement des télécommunications et des TIC en Afrique. Il occupe ce poste depuis janvier 2019 et a été réélu pour un second mandat de 4 ans lors de la Conférence des plénipotentiaires de l’UAT qui s’est tenue à Alger, en Algérie, en juillet 2022. Il dirige l’organisme continental chargé de parvenir à un consensus au sein des pays africains dans le développement des politiques, des systèmes et des services des TIC, ainsi que dans la coordination de la participation africaine aux forums internationaux sur les TIC. M. Omo a 31 ans d’expérience en tant qu’avocat et a énormément contribué à l’élaboration de politiques, législations, accords et traités locaux et internationaux dans tous les domaines de la vie de la fonction publique, mais principalement dans le domaine des TIC. Avant son élection au poste de secrétaire général de l’Union, il a travaillé avec l’Autorité des communications du Kenya, l’organisme de réglementation des TIC du Kenya, où il a assuré la direction des questions juridiques et des stratégies de l’Autorité. Avant cela, il a travaillé dans la fonction publique/civile. Il est titulaire d’une maîtrise en droit international et commercial de l’Université de Sheffield – Royaume-Uni, d’une licence en droit de l’Université de Nairobi – Kenya et d’un diplôme en droit des droits de l’homme du Centre des droits de l’homme des Nations Unies à Genève et de l’OIT. Centre Turin entre autres cours professionnels. M. Omo a récemment reçu les Global Merit Leader Awards 2022 par Telecom Review lors du Telecom Review Leaders’ Summit à Dubaï, aux Émirats arabes unis.

Merci beaucoup à Mr. John OMO, Secrétaire Général de l’Union Africaine des Télécoms (UAT) d’avoir accepté de nous accorder cet entretien. Cet interview a été réaliser en anglais. Voir l’entretien dans sa version en anglais sur le lien : https://lte.ma/interview-project-mr-john-omo-secretary-general-of-atu/

 

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