mercredi , 11 décembre 2024

Informatique quantique : 5 questions pour tout comprendre

Par Camille Wong journaliste

Le terme vous chatouille les oreilles depuis quelques années. Vous l’entendez par-ci, par-là, sans vraiment comprendre de quoi il ressort vraiment. Pourtant, l’Elysée a annoncé récemment de passer à la vitesse supérieure et lance un « plan quantique » d’1,8 milliard d’euros sur cinq ans. Objectif : passer de la phase recherche à la phase d’industrialisation. « Le quantique est un domaine qui va apporter de très fortes transformations. Si nous ne sommes pas positionnés dans les cinq à dix prochaines années, il va y avoir un enjeu majeur de perte de souveraineté face à des pays qui, évidemment, investissent beaucoup dans ces domaines », précise-t-on à l’Elysée. A savoir : les Etats-Unis, la Chine, voire le Royaume-Uni, tous impliqués dans la course au quantique. Au-delà des chiffres et des enjeux de compétitivité, quelles seront les applications concrètes de cette technologie, qui pourrait s’inclure dans un marché de 1.000 milliards de dollars en 2035, selon le cabinet Mckinsey.

De quoi parle-t-on ?

Attention, on s’accroche : un ordinateur classique a une réflexion binaire. Dans les circuits, une information peut prendre la forme d’un 0 ou d’un 1. C’est ce qu’on appelle un bit, qui est égal à 0 ou 1. En revanche, dans l’informatique quantique, on parle de bit quantique (qubit) qui peut être de n’importe quelle valeur entre 0 et 1 (l’infiniment petit). N’ayant pas une lecture binaire, un ordinateur quantique va pouvoir superposer les qubit, donc les valeurs, et ainsi permettre, en permanence, d’avoir toutes les combinaisons/hypothèses possibles.

Une machine quantique peut alors exécuter des calculs à vitesse grand V. « Il est un million, dix millions, voire cent millions de fois plus performant qu’une machine classique », indique Olivier Hess, expert et ambassadeur quantique chez IBM France. Et plus il y a de qubit sur un ordinateur, plus l’ordinateur pourrait (en théorie) être performant. L’idée du quantique est d’aller sur des problèmes que l’ordinateur d’aujourd’hui n’est pas capable de résoudre. Seul bémol : cette méthode de calcul, très complexe, est encore source de nombreuses erreurs.

A quoi ça sert ?

On parle de puissance de calcul astronomique qui va permettre de réaliser des choses qu’on ne sait pas faire aujourd’hui. Les applications sont légion. « Les machines quantiques permettront demain, de prévoir des réactions moléculaires plus importantes, grosses, permettant d’envisager la conception de nouveaux médicaments ou de nouveaux matériaux. Si on avait déjà la capacité à simuler très vite des molécules, on aurait sans doute pu développer plus rapidement des remèdes contre le Covid », souligne Olivier Hess. Et de prédire des épidémies.

La capacité de calcul (et de stockage d’information) des ordinateurs quantiques se révèle être aussi un atout dans la finance pour analyser les risques, gérer les portefeuilles ; dans la logistique pour optimiser les parcours ; dans la mobilité pour gérer les flux et la voiture autonome ; dans l’internet des objets pour gérer la masse importante de données. Sans oublier la météo, où l’on pourrait mieux prédire des événements climatiques. « Si l’on arrive à mieux comprendre le phénomène de la pousse des plantes, on pourrait mieux produire et avoir de meilleurs légumes bio, par exemple. On pourrait aussi comprendre pourquoi tel ou tel fruit ne s’est pas bien développé », imagine Cyril-Alexandre Pachon, directeur du cursus d’ingénierie en intelligence artificielle d’Hexagone, une école d’informatique.

On peut aussi noter les communications quantiques, presque inviolables. Ou encore la cryptographie, qui, une fois que la technologie quantique sera vraiment développée, permettra de crypter des informations de manière beaucoup sécurisée qu’aujourd’hui. Des garanties encore plus nécessaires quand on sait que l’informatique quantique, une fois opérationnelle, pourrait être capable de faire sauter nos clés chiffrement actuelles (paiements, communications, données personnelles, etc.). « Aujourd’hui, il n’y a aucun risque de casser une clé de cryptographie. Mais le problème va pointer le bout de son nez dans les quinze années à venir. On développe des solutions pour contrecarrer cela, des algorithmes résistants au quantique, des clés quantiques qui par nature pourraient être inviolables », ajoute Olivier Hess d’IBM.

Et pour les particuliers ?

Nous ne sommes qu’aux prémices du quantique et pas encore dans la phase d’industrialisation. Selon les estimations, celle-ci pourrait arriver d’ici à cinq ans et donc répondre aux besoins des professionnels. Vous ne devriez pas posséder d’ordinateur quantique dans votre appartement avant un petit moment. L’informatique quantique promet de tout chahuter, transformer et de rendre obsolètes les ordinateurs classiques que nous connaissons. « Si l’on veut aller dans un système grand public, il faudra changer l’achat des machines », ajoute Cyril-Alexandre Pachon. Au-delà des enjeux économiques, les caractéristiques techniques (température, notamment) empêchent aujourd’hui un usage personnel.

Qui sont les acteurs ?

La Chine et les Etats-Unis dominent le secteur, avec des investissements massifs. Du côté des acteurs privés, on trouve les géants : Google, IBM, Intel, Microsoft, Tencent, Baidu… Mais la France, qui peut s’enorgueillir d’avoir plusieurs prix Nobel de physique quantique, n’est pas en reste : les industriels Thales et Atos développent des technologies dans le domaine. Les laboratoires C2N à Saclay, l’Institut Néel à Grenoble ou encore le laboratoire Kastler Brossel à Paris, accueillent les meilleurs chercheurs sur ces questions. Enfin, l’écosystème regorge de start-up, comme Pascal, Candela, CryptoNet, Aquemia, Alice & Bob, etc., et d’un fonds d’investissement spécialisé dans l’informatique quantique : Quantonations. Avec son plan quantique, la France devrait « passer à la troisième place mondiale au niveau des investissements », précise l’Elysée. Et de se féliciter : « Un effort absolument majeur. » Le plan prévoit par ailleurs d’accompagner la formation dans ce secteur et de financer environ 150 thèses de jeunes chercheurs.

Ça existe déjà ?

Plus ou moins. IBM par exemple, met à disposition une vingtaine d’ordinateurs quantiques en service cloud. Une partie est à destination du grand public, l’autre de ses clients pour faire leurs premières expérimentations. Mais aujourd’hui, ces machines restent moins performantes que les ordinateurs classiques et sources de nombreuses erreurs. A date, les machines d’IBM peuvent aller jusqu’à 65 qubit. L’entreprise prévoit d’atteindre une performance de 1.000 qubit d’ici à 2023. Au Canada, D-Wave reste pionnière et met depuis peu sa technologie à disposition des entreprises, à travers « Advantage », un ordinateur quantique, accessible en cloud, de 5.000 qubit. Et en théorie, à chaque qubit supplémentaire, un ordinateur quantique double sa puissance.

Par Camille Wong journaliste

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