samedi , 27 juillet 2024
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Entretien  avec Monsieur David ROGERSON, Expert de l’UIT

Entretien avec Monsieur David ROGERSON, Expert de l’UIT

LTE Magazine a pris part aux travaux de l’atelier sur « Les coûts et la tarification de l’accès aux infrastructures pour la

Mr David ROGERSON, ITU Expert

Mr David ROGERSON, ITU Expert

région arabe », organisé par l’INPT à Rabat en collaboration avec l’UIT du 09 au 12 juillet 2018 et en présence de plusieurs délégations des Autorités de Régulation ainsi que des Opérateurs Télécoms.Le déroulement du séminaire s’est caractérisé par la richesse du contenu, ainsi que par la pertinence et la qualité des études de cas traitées.Les participants ont aussi fait montre d’une grande interactivité lors des groupes de travail en échangeant et en partageant leurs retours d’expériences dans leurs environnements respectifs.LTE Magazine a par ailleurs saisi cette opportunité pour mener un entretien avec Monsieur David ROGERSON, Expert de l’UIT, suite à son excellente et remarquable animation des différents ateliers.

Lte magazine (Question 1) :

Avec la convergence incarnée via des offres quadplay, les nouveaux business model sont centrés de plus en plus sur la forfaitisation et le bundling.De ce fait, les grilles tarifaires deviennent de plus en plus complexes et posent un challenge pour les régulateurs dans leur encadrement de la concurrence par les prix.Dans ce contexte, quelle serait l’approche comptable la plus appropriée à adopter (ex-ante vs ex-post) ?

 C’est effectivement un défi majeur pour les régulateurs. Il s’agit également d’un défi pour les clients devant déterminer parmi les bundles lequel est le mieux adapté à leurs besoins.Mais pour les régulateurs, la question est de savoir si l’un ou l’autre des bundles constitue une pratique anticoncurrentielle.Les questions pertinentes se rapportent ainsi à l’analyse des pratiques tarifaires potentiellement pénalisantes pour le développement de la concurrence. Il s’agit notamment des situations suivantes :Des prix d’interconnexion, d’accès ou de partage d’infrastructure excessifs, combiné à des prix de détail très bas du service dressent une barrière à l’entrée (Effet squeeze) pour de nouveaux compétiteurs aboutissant ainsi à des bénéfices supranormaux pour l’opérateur dominant.Les prix sont ainsi fixés de manière à ce qu’il n’y ait pas suffisamment de marge entre les offres de vente au détail et de gros (compression des marges), pour qu’un fournisseur de services indépendant puisse être compétitif.En revanche, des tarifs de détail inférieurs au coût et délibérément prédateurs, obligent par ailleurs les concurrents à quitter le marché provoquant un effet d’éviction.

Aucun de ces comportements ne peut être évalué avant que les tarifs ne soient proposés, de sorte que la réglementation ex post serait probablement la meilleure façon de procéder – cela signifie que l’organisme de réglementation répondra aux plaintes litigieuses et enquêtera le cas échéant.

Une autre option consiste à ce que l’opérateur informe le régulateur des offres tarifaires avant leur lancement, donnant ainsi du temps pour enquêter avant le lancement.

Cela peut être utile, mais souvent le régulateur n’a pas les informations nécessaires pour prendre une décision rapide, de sorte que la réglementation ex post sera nécessairement la principale forme de régulation des prix pour les offres packagées.

Lte magazine (Question 2) :

Dans le contexte actuel d’ouverture à la concurrence et de gestion de la dominance, quelle serait la méthode à privilégier « pure LRIC ou bien LRIC+, voire une hybridation des approches top down & bottom up en vigueur » ? 

Il n’y a pas d’approche unique préférée pour l’établissement des coûts.

Par exemple, pour le test de prédation, le régulateur cherchera des prix inférieurs au «LRIC pur», alors que pour le test du prix excessif d’un service, la norme de coût pertinente sera TSLRIC+ (Total Service Long Run Incremental Cost dans un modèle bottom-up ‘ascendant’) ou FAC (Fully Allocated Cost dans un modèle top-down ‘descendant’).

Vous pouvez ainsi constater que la flexibilité est importante et, pour cette raison, je recommande l’utilisation d’un modèle bottom-up, car cette conception est plus adaptable, ce qui la rend la mieux appropriée pour une utilisation dans un large éventail de défis réglementaires potentiels.

Lte magazine (Question 3) :

Comment rendre un modèle de comptabilité réglementaire évolutif et adaptable, notamment au niveau des principaux cost drivers ainsi que des paramètres liés aux architectures et configurations des réseaux FTTx et 5G ?

 Les principes de modélisation des coûts restent les mêmes, que l’on utilise des réseaux d’accès mobiles 2G ou 5G, cuivre ou fibre optique.

Le défi dans un modèle de comptabilité top down (c’est-à-dire un modèle descendant) est de répartir les coûts par activités comme vecteur et en cascade sur les services offerts.

Ceci exige que chaque élément de réseau soit analysé pour dégager les coûts qui varient en fonction du nombre d’abonnés ou des volumes de trafic, en plus de coûts fixes sans lien de causalité directe avec ces variables.

Des études empiriques ont rendu ces calculs assez robustes pour les technologies plus anciennes, mais il faudra encore un certain temps avant que la 5G soit suffisamment stable et normalisée pour que cela se produise.

Cela dénote un problème particulier avec les modèles descendants. Ils sont toujours rétrospectifs, construits après coup en utilisant les technologies et les structures de coûts d’un ou deux ans auparavant.

 Lte magazine (Question 4) : 

Quelles sont les clauses techniques particulières et le dispositif comptable nécessaires en vue de la réalisation d’un audit des coûts et revenus des opérateurs ?

Un ensemble de règles claires doit être établi, à titre d’illustration, il convient par exemple de :

  • Définir le mécanisme de répartition des coûts (Cascade de déversement des coûts par activité sur les prestations, matrices de routage et d’acheminement, taux de traversée des segments du réseau …) ;

  • Identifier les catégories de services à utiliser ;

  • Arrêter les formes de dépréciation et d’amortissement des éléments du patrimoine et la durée de vie des actifs ;

  • Etablir un coût raisonnable du capital, etc.

Il n’est en effet pas nécessaire de réinventer la roue, cependant, des lignes directrices ont ainsi déjà été élaborées et utilisées dans toute l’Union Européenne. Celles-ci pourraient constituer une bonne base adaptable pour un déploiement au Maroc ou ailleurs.

 Lte magazine (Question 5) :

Le déplacement de la valeur des réseaux vers les contenus dont bénéficient plutôt les OTT impacte négativement la rentabilité des opérateurs. Dans quelle mesure ce risque pourrait-il être pris en compte dans la détermination du taux de rémunération du capital ?

 Je ne vois pas ces deux problèmes comme étant directement et intimement liés. Oui, la rentabilité des opérateurs de réseau est sérieusement menacée dans une certaine mesure par les OTT, mais cela est plutôt dû à l’exacerbation de la concurrence via les tarifs de détail.

En revanche, le taux de rendement du capital régulé (WACC Weighted Average Cost of Capital) est nécessairement une question de coût des services de réseau.

Les OTT font partie d’une mutation fondamentale vers des réseaux conçus essentiellement pour le trafic de données avec tous les services utilisateurs, y compris la voix, qui sont maintenant acheminés sur le réseau sous la forme de paquets de données.

Les opérateurs ont besoin de déployer des investissements colossaux en capacité réseau suffisante pour assurer ces services de données (Vidéo, navigation Internet, applications mobiles…), et le WACC fait partie du calcul qui convertit cet investissement en un coût annuel ou un besoin en revenus annuels.

Le défi pour les opérateurs est de trouver de nouveaux moyens et relais  appropriés pour obtenir ces revenus étant donné que les utilisateurs ne paient généralement pas de frais d’utilisation pour leurs applications OTT.

Ce sera en partie grâce aux redevances d’abonnement mensuelles. Mais certains fournisseurs de services OTT devraient également effectuer des contributions, en particulier pour les applications gourmandes en bande passante.

Tout cela fait partie du débat sur la « neutralité du Net », et aucune réponse définitive n’a encore émergé à cet effet.

Lte magazine (Question 6) :

Quels sont les leviers de régulation non tarifaires devant aider les régulateurs à assurer la fourniture du service universel en vue de garantir la couverture du territoire ; à sauvegarder les principes de loyauté et de transparence et enfin à respecter les règles de l’équité et de la libre concurrence ?

 C’est une autre grande question. En grande partie, je pense que cela pourrait être résolu par un cadre réglementaire global approprié.

A titre d’exemple, adopter une loi sur les télécommunications qui incorpore des règles de concurrence strictes et donne à l’autorité réglementaire nationale des pouvoirs suffisants pour agir et peser sur les comportements anticoncurrentiels, et des licences qui imposent aux opérateurs, individuellement ou collectivement, de répondre aux exigences du service universel.

Sachant toutefois que les investissements dans les réseaux FTTx et 5G sont très importants, il conviendrait sérieusement de réfléchir à la possibilité d’avoir un seul opérateur national avec des conditions d’accès ouvert, de sorte qu’une concurrence efficace et efficiente dans les applications numériques puisse être mise en place.

(*)L’entretien original a été réalisé en anglais.

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