samedi , 27 juillet 2024
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Entretien avec M. Mohammed Daoud expert en informatique quantique

Entretien avec M. Mohammed Daoud expert en informatique quantique

Mohammed Daoud qui est Professeur de physique théorique et coordonnateur national du Réseau Marocain dex Recherches en Informatique Quantique (*), a accordé un entretien à Lte Magazine (Khaouja) sur l’avènement de l’ordinateur quantique.

Question de Lte magazine : Pouvez-vous nous dire l’origine de cet intérêt pour qui est communément appelé dans la littérature spécialisée « ordinateur quantique » ? 

Réponse de Si Mohammed Daoud : Depuis quelques années est en train de se préparer une seconde révolution de la physique quantique. Beaucoup de projets sont en cours d’expérimentation dans les coulisses des laboratoires à travers le monde et nul doute ses travaux de recherches apporteront des résultats qui révolutionneront le domaine des technologies de l’information. Mais avant de parler de ce qu’on appelle aujourd’hui les nouvelles technologies quantiques ou les sciences de l’information quantique, il est intéressant de faire remarquer que le grand public ignore parfois que c’est grâce à la première révolution quantique que les progrès actuels dans le domaine des technologies numériques ont été possibles.  Au fait ces progrès n’auraient jamais été possibles sans la mécanique quantique qui offre une description bien particulière des lois de la nature qui gouvernent le monde microscopique (atomes, noyaux, électrons, …). En expliquant la conduction électrique dans les matériaux, elle a donné naissance à l’industrie des semi-conducteurs et des transistors qui peuplent par millions les puces électroniques de nos téléphones et ordinateurs. Cette physique a conduit à l’invention du laser dont on connait maintenant ses applications multiples dans beaucoup de domaines. La physique quantique est basée sur deux piliers fondamentaux : le concept de la superposition et le postulat de la mesure. La superposition autorise un système quantique (un électron par exemple) à exister simultanément dans plusieurs « états » différents. En d’autres termes il peut être dans différents états à la fois. Il y a aussi le postulat de la mesure qui rend impossible d’effectuer une mesure sans perturber l’état du système. L’informatique moderne s’est donc crée en exploitant en grande partie les propriétés physiques du monde microscopique. Il est inutile de rappeler le rôle des transistors des microprocesseurs dans les ordinateurs pouvant laisser passer un courant électrique ou à l’inverse l’empêcher de circuler et ainsi retenir une information binaire de type 1 ou 0. .  Cette information est incarnée dans les états de la matière et toute transformation est gouvernée par des lois physiques qui sont de nature classique dans les ordinateurs actuels. Cependant, Il se trouve que les ordinateurs actuels vont rapidement atteindre leurs limites lorsqu’il s’agit d’effectuer des calculs assez volumineux comme par exemple dans le domaine de la chimie théorique et de la physique du solide (systèmes à plusieurs corps).  Il est donc indispensable de chercher des solutions et c’est dans cet esprit que le grand physicien et prix Nobel Richard Feynman a été un des premiers en 1980 à suggérer l’idée de profiter les lois de la mécanique quantique   pour simuler et mieux comprendre des systèmes quantiques complexes à l’aide d’autres systèmes quantiques. Depuis beaucoup de chercheurs se sont penché sur les avantages de coder de l’information dans les états quantiques de la matière et utiliser les propriétés étranges et contre intuitives du monde microscopique comme la superposition ou l’intrication qui est un type particulier de corrélations entre deux systèmes quantiques. Pour coder  et traiter l’information  quantique,  on doit utiliser des bits quantiques   comme par exemple la polarisation d’un photon ou le spin d’un électron,  implémenter  des portes logiques quantiques qui opèrent sur ces qubits et  se doter d’outils pratiques pour contrôler la superposition quantique et le phénomène de l’intrication quantique qui pourraient nous  aider à traiter un grand volume de données en des temps relativement acceptables à l’échelle humaine.  La machine dont on parle le plus souvent à ce propos et qui en mesure d’effectuer   un grand nombre de calculs en parallèle est l’ordinateur quantique.

Question de Lte magazine : Pouvez-vous nous donner le principe de fonctionnement d’un ordinateur quantique ? 

Réponse de Si Mohammed Daoud : Dans un ordinateur quantique les supports physiques de l’information sont des bits quantiques (qubits) comme par exemple les états de spin d’un électron (up/down).  Le principe de superposition autorise un qubit de se présenter comme une combinaison linéaire des états quantiques (up/down) du système choisi pour coder l’information.   Dans un ordinateur quantique, les qubits sont agencés sous forme de blocs pour constituer des registres de façon plus ou moins similaire aux ordinateurs actuels. La manipulation des qubits et les différentes opérations effectuées sur ces qubits sont gouvernées par les lois de la physique quantique, alors qu’un ordinateur classique manipule des bits d’information, qui sont soit des 0 soit des 1 avec des opérations régies par la physique classique. C’est donc grâce aux phénomènes de superposition et d’intrication que l’ordinateur quantique serait en mesure d’effectuer une série d’opérations en parallèle et avoir tous les résultats possibles d’un calcul en une seule étape pour ne retenir que la bonne.  C’est cette capacité de faire plusieurs opérations simultanément qui constitue un atout avantageux de ces ordinateurs par rapport aux machines conventionnelles.   Le fonctionnement opérationnel et physique d’un ordinateur quantique dépend la mise en œuvre pratique   des qubits. Cette dernière est intiment dépendante de la nature des algorithmes quantiques que l’on faire exécuter et donc du type de calcul que l’on veut faire. En fait,   les architectures des ordinateurs quantiques dépendent des caractéristiques des qubits choisis comme vecteur de l’information (ions, atomes, photons) et les algorithmes utilisées ne sont pas forcément les mêmes selon les architectures.   Pour le fonctionnement d’un ordinateur, il faut disposer de qubits dont les caractéristiques sont bien connues et dont on peut contrôler les propriétés quantiques durant l’opération de calcul. Les transformations des qubits sont réalisées par un jeu de portes quantiques universelles avec des temps d’activation qui doivent être largement supérieurs aux temps de calcul. Il est important de faire remarquer que l’architecture physique des qubits conditionne la nature des portes quantiques qui agissent sur les qubits. Il faudrait signaler qu’à l’heure actuelle de nos connaissances les ordinateurs quantiques sont mis en œuvre comme des coprocesseurs d’ordinateurs conventionnels qui les alimentent. Un ordinateur quantique est toujours un coprocesseur d’un ordinateur traditionnel comme peut l’être un GPU (Graphic Processing Unit) pour les jeux vidéo par exemple.  L’ordinateur traditionnel pilote de près le fonctionnement de l’ordinateur quantique en déclenchant les opérations à effectuer et donc exécuter les programmes destinés aux processeurs quantiques pour les traduire en opérations physiques à réaliser sur les qubits et à extraire les résultats.  

Question de Lte magazine : Où en est-on de la maitrise des technologies de la génération des qubits et l’implémentation des portes logiques ?  

Réponse de Si Mohammed Daoud : Cette   maîtrise est essentielle pour aboutir à la réalisation technologique d’un ordinateur quantique.  Mais, ceci n’est le cas au stade où sont les recherches actuelles dans ce domaine. Aujourd’hui le fait de savoir produire des systèmes quantiques individuels (photons, ions, ..) est encourageant pour les applications futures dans le domaine de l’information quantique.  Toutefois, beaucoup de travail reste à faire en matière de contrôle et manipulation de ces qubits.  Le fait même d’observer un système quantique le perturbe et génère des erreurs nécessitant des conditions de stabilisation extrêmes comme par exemple pour une certaine classe de qubits solides pour lesquels la stabilisation requiert  l’utilisation des températures de − 273 °C environ  avec un dispositif de refroidissement très encombrant.  Un certain nombre de défis et contraintes technologiques sont donc à surmonter et nous ne sommes qu’au début d’une aventure scientifique et technologique qui laisse présager à l’horizon une nouvelle ère numérique avec   des progrès technologiques gigantesques (comme pour les premiers transistors).  Les chercheurs dans ce domaine en sont persuadés. Par exemple, l’ordinateur quantique   serait une menace pour les systèmes de cryptage actuels comme le protocole RSA largement utilisées dans les transactions bancaires. Ses capacités de calcul pourraient aider à casser facilement tous les codes secrets et il faut donc se préparer à cette éventualité. On  parle déjà de cryptographie post-quantique qui est devenue en si peu de temps une thématique intensivement étudiée afin de  disposer des moyens pour prévenir contre les attaques cybernétiques qui pourraient être conduites à l’aide  d’un ordinateur quantique.  Il est indiscutable que les performances des technologies de l’information quantique se verront boostées pour atteindre des capacités dont personne ne peut prédire aujourd’hui les limites et les implications.

Question de Lte magazine : On sait que la physique quantique est basée sur des processus non déterministes. Alors comment peut-on faire confiance à la probabilité pour faire fonctionner un ordinateur  

 Réponse de Si Mohammed Daoud : Dans un ordinateur quantique, les qubits sont agencés sous forme de blocs pour constituer des registres de façon plus ou moins similaire aux registres 32 ou 64 bits des processeurs classiques actuels. Dans un registre de n qubits l’information peut être manipulée de façon simultanée. Cette simultanéité est possible dans le cas quantique grâce au principe de superposition qui autorise un qubit de se trouver dans un état combinaison linéaire des états 0 et 1. C’est la superposition qui offre donc la possibilité de faire des calculs à combinatoire exponentielle. Il est indispensable de noter que les 2n états ne correspondent pas à une capacité de stockage d’information plus grande que dans le cas conventionnel. Mais le registre de qubits offre  une capacité de superposition d’états auxquels on applique ensuite un ensemble d’opérations et de traitements  pour faire ressortir les combinaisons que l’on recherche selon un algorithme donné.  L’utilisation  des qubits permet donc de vérifier simultanément une multitude d’hypothèses pour atteindre la meilleure solution dans des délais très réduits en comparaison avec les  algorithmes classiques. Aussi, l’information pertinente est celle que l’on extrait après l’exécution du calcul et qui se présente sous la forme d’un registre classique de bits. Le caractère probabiliste intervient lors de   la combinaison des états des n qubits pour assurer un traitement parallèle pendant le calcul. Mais il n’intervient ni en entrée ni en sortie.  En d’autres termes, un algorithme quantique va créer un état de superposition de valeurs dans un registre quantique. Les états superposés des registres vérifient une loi de distribution probabiliste.  Un calcul quantique va faire évoluer dans le temps la probabilité de chacune des combinaisons d’états de qubits pour atteindre  certaines et en faire ressortir une en particulier qui est la réponse à la question posée. Donc à la sortie, le résultat récupéré n’est donc pas 2valeurs, mais n bits.

Question de Lte magazine : Quelle est la valeur ajoutée de l’ordinateur quantique ? C’est-à-dire par rapport à un ordinateur classique ? Que pourrait réaliser un ordinateur quantique de plus ? 

Réponse de Si Mohammed Daoud : Une des principales motivations des recherches actuelles en information quantique est la conception nouveaux outils de traitement de l’information et de se doter des outils théoriques et pratiques qui permettraient de résoudre des problèmes que les ordinateurs traditionnels ne peuvent pas résoudre ou seraient incapables de résoudre. On pense aux problèmes dont la complexité augmente exponentiellement avec la quantité des données à traiter où les algorithmes classiques trouvent leurs limites sur les ordinateurs traditionnels. Les temps de calculs de problèmes exponentiels resteraient exponentiels même si on arrive à doubler la puissance des machines dont le fonctionnement est régi par les lois de la physique classique. Coder de l’information dans des systèmes quantiques et faire évoluer les états de ces systèmes selon des opérations gouvernées par les lois quantiques offre la possibilité de réduire drastiquement ces temps de calculs exponentiels. Un ordinateur quantique pourrait permettre par exemple la mise au point de nouveaux médicaments à l’aide la simulation de la synthèse de nouvelles molécules, la simulation du comportement de nouveaux matériaux ou des réactions chimiques ou encore la résolution des problématiques liées à la logistique et l’optimisation les systèmes de transports.  Mais avant de pouvoir utiliser ces machines un jour, beaucoup de chemin reste à parcourir et beaucoup de barrières technologiques restent à franchir.

Question de Lte magazine : A quelle étape on est aujourd’hui pour la conception d’un ordinateur quantique fiable et à quel moment on aura des ordinateurs quantiques dans le commerce ? 

Réponse de Si Mohammed Daoud : La recherche sur les possibles applications offertes par l’information quantique en général et   l’ordinateur quantique et les calculs quantiques en particulier s’est bien développée depuis une dizaine d’années.  Mais il y a encore quelques confusions qui subsistent dans les médias au sujet de ce qui est possible à faire   avec des ordinateurs ou des calculateurs quantiques. Tout d’abord, ordinateur quantique et calculateur quantique sont différents et ne désignent pas la même chose. Un ordinateur quantique devrait être en mesure d’exécuter n’importe quel type d‘ algorithme quantique tandis qu’un calculateur quantique (qui n’est pas une machine de Turing universelle programmable en théorie pour pouvoir effectuer n’importe quel algorithme) est conçu pour exécuter une seule classe d’algorithmes.  Il n’est pas programmable pour effectuer n’importe quel type de calcul.  Quelques ordinateurs quantiques ont été mis au point   mais ils sont    très élémentaires. Aussi, beaucoup de physiciens pensent que seuls des calculateurs quantiques conçus pour   la résolution de problèmes bien particuliers pourraient concurrencer des ordinateurs classiques. Un grand effort est dédié à la fabrication de calculateurs quantiques mais ceci est conditionné par la capacité de dompter et contrôler les propriétés quantiques que sont la superposition et l’intrication. Il faudrait limiter l’influence des perturbations de l’environnement qui dégrade rapidement les propriétés des qubits impliqués dans un calcul surtout lorsque celui-ci utilise un grand nombre de qubits. Aujourd’hui, on ne sait pas comment s’affranchir ou au moins limiter les effets de ces perturbations et les experts les plus optimistes pensent que la fabrication d’ordinateurs quantiques fiables ne serait pas possible avant 2050.

Question de Lte magazine : Mais dans la presse, nous lisons de temps à autre des annonces sur la réalisation d’ordinateurs quantiques. Qu’en est-il ? 

Réponse de Si Mohammed Daoud : Effectivement, dans la presse, nous lisons de temps à autre des annonces sur de nouvelles réalisations battant les records atteints par les concurrents.  Au fait, de grandes firmes internationales s’intéressent à ce sujet et cherchent à atteindre la suprématie quantique qui est définie comme étant le seuil à partir duquel l’ordinateur quantique devient une technologie opérationnelle, capable de réaliser des tâches qu’aucun ordinateur classique ne pourra jamais accomplir.  Plusieurs projets pour agencer des bits quantiques viables dans des registres pour mettre au point des processeurs quantiques sont en cours.  Une course est lancée et les géants de l’informatique comme   Google, Microsoft et IBM en sont de la partie.  En 2019, Google avait annoncé la fabrication d’un calculateur quantique de 54 qubits, appelé « Sycamore ».  Les qubits qui sont maintenus à une température proche… du zéro absolu (−273,15° C) à l’aide d’un équipement cryogénique.  Il semblerait que ce nouveau calculateur aurait permis d’effectuer un calcul complexe en une durée de 200 secondes au lieu de 10 000 ans  si ce même calcul était effectué sur un supercalculateur classique. Ce résultat difficile à vérifier a été vite contesté par les concurrents de Google, en particulier IBM. Toujours dans cette course pour occuper le haut du podium, la société américaine Honeywell avait annoncé courant Mars 2020 la fabrication de son premier calculateur quantique doté de 64 qubits. Selon les responsables de cette firme, les performances de cette machine seraient actuellement en train d’être testées par quelques entreprises qui font leurs calculs sur l’ordinateur quantique d’Honeywell. Faute de modèle commercial, personne n’est en mesure de vérifier si cette machine fonctionne selon les lois de la mécanique quantique ou il s’agit uniquement d’un supercalculateur dont le fonctionnement est identique aux ordinateurs classiques.

Question de Lte magazine : Quels sont Les obstacles techniques à surmonter et peut-on espérer les vaincre dans un avenir proche ?

Réponse de Si Mohammed Daoud : IL faut reconnaitre que le défi majeur pour espérer un jour disposer d’un ordinateur quantique est la limitation des effets de la décohérence qui tendent à dégrader les propriétés (cohérence et intrication) des qubits indispensables pour exécuter des protocoles quantiques de manières plus volumineuse et rapide que dans le cas conventionnel.  Ce problème devient plus important lorsqu’il s’agit de manipuler et contrôler une centaine et plus de qubits car plus est grand le nombre de qubits plus d’opérations seraient menées en parallèle et donc plus rapide sera le calcul à effectuer.  La décohérence engendre des erreurs.   Pour la protection des propriétés des qubits au cours d’une tâche quantique, les recherches vont bon train en déployant des méthodes expérimentales nouvelles ultra sensibles comme les cavités électrodynamiques utilisées par Serge Haroche et ses collaborateurs pour piéger des photons.   Le choix de la nature des qubits est capital pour la réalisation pratique de calculateurs quantiques.  De nombreuses voies de développement technologique sont retenues aussi bien dans le monde académique qu’industriel pour générer des qubits et les disposer dans un circuit tout en veillant à protéger leurs propriétés quantiques.   Parmi les perspectives prometteuses, on peut citer les projets relatifs aux circuits supraconducteurs avec jonction Josephson ou encore les circuits avec des ions piégés, ….  Les circuits supraconducteurs ou des boîtes quantiques, présentent un intérêt pratique avantageux   car il est possible de disposer les qubits en grand nombre sur une puce, comme on le fait actuellement pour les processeurs (circuit intégré). Mais ces systèmes sont très sensibles à la décohérence (les qubits supraconducteurs à base de jonctions Josephson doivent être maintenus à une température proche du zéro absolu). Il est aussi possible de retenir la perspective avec les ions piégés ou les centres colorés du diamant qui fonctionnement à température ambiante et peuvent résister aux perturbations de l’environnement. Par contre, pour faire fonctionner un ensemble de cette catégorie de qubits, il faudrait les intégrer dans une puce, ce que l’on ne sait pas faire actuellement.

Question de Lte magazine : On a évoqué dans les médias le lancement d’un satellite conçu sur la base d’une cryptographie quantique. Quel est l’intérêt d’une cryptographie quantique ?   

Réponse de Si Mohammed Daoud : Il est communément admis que la cryptographie et les communications quantiques constituent les applications phares de l’information quantique.  La cryptographie quantique, dite aussi distribution de clés quantiques (QKD : Quantum Key distribution), offre une méthode physique pour distribuer une clé secrète tout en garantissant la sécurité de façon inconditionnelle.  Un protocole de cryptographie ne requiert aucun cryptage de l’information échangée. Ce sont les lois de la physique qui imposent une borne sur la quantité d’information qui serait accessible à un espion en fonction des paramètres de la transmission quantique.  Bien sûr il faudrait que l’information échangée soit codée dans des états des qubits et l’échange de clés de chiffrement, en général symétriques, peut se faire par voie optique (fibre optique, liaison aérienne ou satellite).  Durant les deux dernières décennies, les    expériences de la mise en œuvre des protocoles de cryptographie quantique se sont multipliées aussi bien à l’air libre que sur fibres optiques.

En Europe, beaucoup de progrès a été accomplie comme par exemple la démonstration de QKD réalisée par une équipe dirigée par Anton Zeilenger en 2007 puis en 2010. Il s’agissait d’établir une distribution de clés quantiques   sur une distance de 144 km reliant les iles de La Palma et de Tenerife aux Canaries. La portée de la transmission des QKD sur fibre s’est aussi améliorée et beaucoup d’opérateurs dans le domaine des télécoms accordent un intérêt spécial à des modes de confidentialité exploitant les propriétés du monde microscopique. On peut citer par exemple la société suisse IDQ qui offre des services de transmissions sécurisées utilisant les protocoles de QKD ou le groupe français Orange   qui avait annoncé  en mai 2019 lancer les tests d’une communication protégée par QKD.  D’autres projets sont en cours comme celui du consortium européen Open-QKD vise à expérimenter sur le continent un réseau de QKD terrestre.

Aux USA, un réseau QKD était expérimenté dans l’Ohio en 2013, et des tests ont été aussi été réalisés en 2015 au MIT pour relier entre eux deux sites distants de 43 km.
Un déploiement commercial de QKD sur un réseau de fibre optique inutilisé de 800 km reliant Boston à Washington DC est aussi en déploiement pour connecter des sociétés financières de Wall Street avec leurs bureaux dans le New Jersey. Une installation de 85 km était aussi déployée à Chicago en 2019. En juillet 2020, le Département de l’Energie US annonçait élargir ce réseau de QKD pour relier tous les sites de ces laboratoires de recherche.

En Chine, un déploiement avait été réalisé pour une liaison par fibre optique sécurisée par QKD entre Shanghai et Beijing, faisant 2000 km.  Cette ligne est exploitée par les banques et les services gouvernementaux du secteur financier. La Chine envisage un réseau de QKD sur un réseau supplémentaire de 33 000 km qui sera fin prêt d’ici 2025. Mais la performance chinoise marquante dans ce domaine concerne la QKD par satellite pour la téléportation d’états quantiques de photons par voie optique à 1400 km de distance entre le satellite Micius et la Terre. Bien que cette première expérience présente des limites, la Chine continue à développer la QKD par satellite et donc s’assurer une maîtrise des communications du futur qu’offre la seconde révolution quantique.

Aujourd’hui l’investissement dans les QKD est un choix stratégique pour les pays développés pour des raisons évidentes de souveraineté et pour une protection meilleure des données secrètes et des communications sensibles

Question de Lte magazine : En plus de la cryptographie, que peut nous apporter un ordinateur quantique ? De la puissance ?  

Réponse de Si Mohammed Daoud : Ce qui semble facile aujourd’hui, dans le domaine de la physique quantique, ne l’était guère il y a quelques années. En effet, même les fondateurs de la mécanique quantique pensaient que la réalité microscopique ne pourrait être expérimentée qu’à l’aide des effets collectifs induits à l’échelle macroscopique. Ce n’est qu’à partir de 1970, que les chercheurs ont commencé à produire, étudier, contrôler et se servir de systèmes quantiques individuels.  Cette maîtrise de plus en plus fine du monde microscopique conduira sans aucun doute à de nouvelles applications autres que celles très familières aujourd’hui comme le laser, le transistor, la résonance magnétique nucléaire…. Les recherches menées actuellement en physique quantique offrent des perspectives nouvelles enthousiasmantes pour réaliser des machines qui exécuteraient des tâches hors de portée des machines classiques (non quantiques). En plus de la cryptographie les communications quantiques, il existe d’autres applications futures très prometteuses de l’information quantique. On peut citer par exemple (i) le calcul quantique qui pourrait aider à résoudre certains problèmes complexes, (ii) les simulateurs quantiques qui et (iii) la métrologie quantique. En effet avec des objets quantiques uniques, il est possible d’aller de plus en plus près de l’objet à mesurer et ceci nous permettra de réaliser des capteurs extraordinairement petits.  Ainsi en exploitant les propriétés quantiques de ces systèmes microscopiques on peut améliorer la précision de nos mesures et aller au-delà de la limite quantique standard. Une meilleure exploitation des ressources quantiques pour des tâches complexes et variées permettra d’avancer vers des systèmes de traitement de l’information quantique pratiques intégrés et flexibles qui offrent des garanties de sécurité, rapidité et précision maximales.  Beaucoup de chercheurs sont convaincus que les travaux de recherche en cours dans ce domaine aboutiront certainement à une riche gamme d’applications au-delà de celles attendues.

(*) : Mohammed Daoud est professeur de physique théorique au département de physique de la faculté des sciences de l’Université Ibn Tofail (Kénitra-Maroc). Il est aussi le coordonnateur national du Réseau Marocain de Recherches-Information Quantique et vice-président de la Société Marocaine de Physique Mathématique. Ses travaux récents portent sur les aspects mathématiques et physiques de l’information quantique. Mohammed Daoud a été élu, en 2009, membre associé régulier au centre International de Physique Théorique (ICTP-Trieste-Italie) et a été nommé, en 2012 et puis en 2017 par le ministre de l’enseignement supérieur, expert au Centre National de la Recherche Scientifique et Technique. Il a été invité comme chercheur, professeur ou membre associé par plusieurs universités ou centres de recherches à l’étranger. Mohammed Daoud est membre de plusieurs comités d’experts scientifiques (CNRST-Maroc, CONICYT-Chile, CNCS-Roumanie). Il est membre éditeur et rapporteur pour le compte de nombreux journaux internationaux de physique théorique, physique mathématique et physique quantique.

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