mercredi , 16 octobre 2024

Comprendre l’organisation et le rôle d’une autorité de régulation. Cas de l’ANRT (Agence Nationale de Réglementation des Télécoms) du Maroc

Par Mohammed Taher SBIHI (*)

Le présent article a pour objet de présenter brièvement l’organe de régulation des télécommunications au Maroc, à savoir l’Agence Nationale de Réglementation des Télécommunications (ANRT) et quelques réflexions sur les perspectives de son développement.

L’ANRT est un Etablissement public créé en vertu de la loi n° 24-96 et le décret n° 2- 97- 813 du 25 février 1998 et soumis à la tutelle du Chef de gouvernement. Elle est assujettie au contrôle financier de l’Etat, en application de la loi n° 69-00.

Cette Agence a été créée pour assurer les missions de régulation juridique, technique et économique du secteur des télécommunications et participer comme force de proposition à la préparation des actes législatifs et réglementaires devant régir ce secteur.

Depuis sa création, le marché de la téléphonie et de l’internet mobiles a beaucoup évolué. Plusieurs réseaux fixes, mobiles et satellitaires sont déployés, dont les réseaux mobiles 2G, 3G, puis 4G, par les opérateurs, et ce, pour offrir non seulement des services de téléphonie, mais aussi un accès à l’internet.

Ces réseaux d’échanges jouent désormais un rôle essentiel dans l’activité économique et sociale du pays, ainsi que dans la transformation digitale du Maroc.

Les autres autorités de régulation au Maroc:

-La Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA) : La HACA découle de la décision de mettre fin au monopole de l’Etat dans le secteur de la communication audiovisuelle. C’est une Autorité Administrative Indépendante instituée par le Dahir n°1-02-212 du 31 août 2002. la HACA, qui a accompagné le processus de libéralisation du secteur, a pour mission d’assurer une cohabitation harmonieuse entre liberté, responsabilité, diversité, qualité et complémentarité dans le domaine de l’audiovisuel.

-L’Autorité nationale de régulation de l’électricité (ANRE) : La principale mission de cette instance est de surveiller la relation entre les opérateurs publics (ONEE et les différentes régies publiques de distribution) et le secteur privé, composé à la fois des concessionnaires producteurs (Taqa Morocco ou encore Théolia), des distributeurs (Lydec, Redal, Amendis) ainsi que d’autres auto-producteurs (Lafarge, Ciments du Maroc…) et les producteurs privés (Nareva, UPC Renewables, etc.). 

-Autorité marocaine du marché de capitaux (AMMC) :

L’Autorité marocaine du marché des capitaux ou AMMC a remplacé le Conseil Déontologique des Valeurs Mobilières ou CDVM avec un périmètre plus large indépendance. C’est un établissement public qui a pour missions de veiller à la protection des épargnants et veiller au bon fonctionnement et à la transparence des marchés de capitaux et des valeurs mobilières au Maroc.

-L’Autorité de Contrôle des Assurances et de la Prévoyance Sociale (ACAPS) : Conformément à la loi 64-12 , l’Autorité de Contrôle des Assurances et de la Prévoyance Sociale, l’ACAPS a été créée. Le cas de l’ACAPS est en conséquence de la mutation de la direction rattachée au ministère de l’Économie et des finances qui s’est muée en une agence de réglementation autonome : ACAPS. L’ex-Direction des assurances et de la prévoyance sociale (DAPS) est devenue l’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale. 

Quelques dates clés :

-L’adoption en 2005 de la loi n° 55-01 a contribué, entre autres, à mieux clarifier les mécanismes du service universel télécom au Maroc et à contribuer à la création d’un fonds spécial consacré à ce service et d’un comité de gestion qui lui est dédié, présidé par le Chef du gouvernement.

-l’adoption de la loi n°121-12 en 2019, modifiant et complétant la loi n°24-96 relative à la poste et aux télécommunications, qui a été publiée au Bulletin Officiel, dans son édition du 18 février 2019 s’articule autour de trois axes principaux :

  • Le développement du haut et très haut débit, par la mise à jour de la définition du service universel et de la notion d’aménagement numérique du territoire, ainsi que l’encadrement du déploiement des infrastructures, tant par les opérateurs que par les lotisseurs et aménageurs, en ce qui concerne les lotissements et les nouvelles constructions ;

  • Le renforcement des leviers de régulation, tels que notamment le partage et de l’accès aux infrastructures, le roaming national, l’adoption de mesures objectives, proportionnées, transparentes et non discriminatoires, visant à faciliter l’introduction de nouveaux services et à favoriser l’adaptation des marchés de télécommunications aux évolutions technologiques ;

  • La protection du consommateur à travers, notamment, l’information des usagers sur les conditions générales et contractuelles des offres et des services des opérateurs télécommunications, la mise à jour régulière des engagements en termes de qualité de service et la publication des cartes de couverture par les opérateurs de télécommunications.

Les attributions de l’ANRT :

  • Sur le plan de la régulation juridique :

L’Agence est chargée entre autres de :

  • Préparer et tenir à jour, en liaison avec les autres départements ministériels concernés et les organismes de sécurité publique, le texte du cahier des charges fixant les droits et obligations des exploitants des réseaux publics de télécommunications. ;

    • Fixer la procédure de sa saisine en cas de litiges relatifs à l’interconnexion, ainsi que celle relative à leur règlement. ;

    • Arrêter les conditions d’agrément préalable des équipements terminaux. ;

    • Déterminer les modalités de dépôt des déclarations d’exploitation commerciale des services à valeur ajoutée.

    • Fixer les modalités de gestion et de surveillance du spectre des fréquences radioélectriques.

  • Sur le plan de la régulation technique :

L’ANRT est chargée entre autres de :

  • fixer les spécifications techniques et administratives d’agrément des équipements terminaux et installations radioélectriques ;

    • fixer les règles techniques ou méthodologiques applicables aux réseaux de toutes natures, pouvant être raccordés aux réseaux publics de télécommunications et à tout autre réseau de télécommunications ouvert au public ;

    • déterminer les catégories et les conditions techniques d’utilisation des réseaux et des installations radioélectriques, exclusivement composées d’appareils de faible puissance et de faible portée. ;

  • Sur le plan de la régulation économique :

L’ANRT est chargée, notamment de :

• valider les différents tarifs des services de télécommunications ;

  • suivre les études concernant la valeur économique du spectre des fréquences ;

    • veiller au respect des dispositions économiques relatives aux conditions de l’interconnexion et à la résolution des litiges y relatifs.

L’ANRT comprend les organes d’administration et de gestion ci-après :

  • Un Conseil d’Administration : Il est présidé par le Chef du gouvernement et comprend des représentants de l’Etat et des personnalités nommées intuitu personae.

Conformément à l’article 34 de la loi n° 24-96 précitée, le Conseil d’Administration de l’ANRT exerce tous les pouvoirs et attributions nécessaires à la réalisation des missions de l’Agence.

  • le Comité de Gestion : Il est chargé de régler, par ses délibérations, les questions pour lesquelles il a reçu délégation du Conseil d’Administration et notamment celles relatives au règlement des litiges liés à l’interconnexion. Ses membres sont nommés par le Conseil d’Administration.

  • le Comité des Infractions : Il est présidé par le  directeur  de  l’ANRT  et  comprend  trois membres à savoir un magistrat désigné sur proposition du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire et deux personnalités choisies dans les secteurs public et privé pour leur compétence technique, juridique ou économique dans le domaine des télécommunications et des technologies de l’information et n’ayant aucun intérêt dans ce secteur.

Les membres du Comité des Infractions sont nommés par le Conseil d’Administration pour une période de cinq ans renouvelable une seule fois. Le comité des sanctions se prononce sur les infractions commises par rapport à deux textes légaux, en plus de leurs textes réglementaires : la loi n° 104-12, consacrant le droit de la concurrence (notamment la prohibition des pratiques anti-concurrentielles, dont les ententes illicites) et la loi n° 24-96 régissant le secteur.

  • La gestion de l’Agence : Le Directeur Général, qui est nommé par Dahir,

    est chargé d’accomplir ou d’autoriser tout acte et opération relatifs à l’objet de l’ANRT, dans le respect des décisions du Conseil d’Administration et du Comité de Gestion. Il détient tous les pouvoirs et attributions nécessaires à la gestion de l’Agence

La note d’orientation générale pour le développement du secteur des télécommunications à l’horizon 2023 a été adoptée par le dernier Conseil d’Administration de l’ANRT. Cette note prévoit, entre autres actions, la mise en œuvre de la mutualisation des infrastructures dans le but d’accélérer le développement des infrastructures fixes et mobiles à très haut débit. L’amélioration de la qualité des services mobiles et fixes sur la base d’une approche orientée vers l’expérience client, en préservant la valeur dans les différents segments de marché, en veillant à y promouvoir la concurrence et le développement harmonieux de tous les acteurs. La promotion de la concurrence sur le marché des services fixes et en particulier dans le segment des entreprises et, enfin, l’adaptation du cadre réglementaire afin de préparer l’introduction de nouvelles technologies susceptibles d’être des sources de croissance pour le secteur et permettant d’encourager et de mettre en place un environnement favorable à l’innovation.Depuis pratiquement un quart de siècle, l’ANRT a enregistré à son actif plusieurs réalisations, en relation avec les missions qui lui sont dévolues par les textes. Nul ne peut nier que, depuis sa création, elle a accompagné le secteur des télécommunications dans les avancées louables qu’il a réalisées, tant sur le plan technologique et du réseau, sur celui du taux de couverture et de pénétration du marché, qu’en ce qui concerne la qualité de service. Toutefois, vu la forte  technicité qui caractérise le secteur des télécommunications, son niveau technologique élevé et le foisonnement qu’il connait à l’échelle internationale, en raison de son rythme d’évolution rapide, l’ANRT, en plus de la mise à jour régulier de son cadre juridique spécifique, opérée déjà à deux reprises, devrait aussi progresser sur le plan institutionnel et opérationnel, pour être au même diapason des opérateurs et avoir une certaine indépendance, une flexibilité et une meilleure réactivité au sein de son environnement immédiat. En effet, le statut actuel d’Agence de l’ANRT, qui reste celui d’un Etablissement public, a été avantageux par le passé du moment qu’il a fait ses preuves pendant 22 années d’existence. Or, force est de constater, aujourd’hui, qu’il n’est plus tout à fait approprié pour les considérations développées par ailleurs et à la veille de la préparation de l’entrée en vigueur du réseau mobile 5G, prévue probablement pour l’année prochaine.   Pour ce faire, la restructuration à laquelle devrait aspirer l’ANRT, devrait lui permettre de s’affranchir des pesanteurs administratives qui ralentissent son action et d’avoir un statut d’autonomie tout à fait compatible avecles impératifs d’un suivi plus dynamique et plus rapproché des acteurs, au sein d’un marché en pleine mutation. Plus concrètement, la meilleure manière, à mon sens, d’opérer une restructuration institutionnelle de l’ANRT est de la soustraire de l’emprise de l’Etat, plus spécifiquement en ce qui concerne 1/ la suppression de la tutelle du Chef de gouvernement, 2/ la révision de la composition, du  fonctionnement et de la périodicité des réunions de son Conseil d’Administration (devant être plus rapprochées en l’occurrence), 3/ le renforcement des attributions du Comité de Gestion et 4/ l’affranchissement de l’Agence du contrôle financier classique de l’Etat, exercé par le Ministère chargé des finances.  En effet, cette formule de refondation consisterait à ériger cette Agence en une Autorité indépendante de régulation, à l’image de l’Autorité Marocaine des Marchés de Capitaux (AMMC), qui avait jadis un statut d’Etablissement Public, au même titre que l’ANRT, de l’Autorité Nationale de Régulation de l’Electricité (ANRE), qui a été créée en cette forme dès le début de son existence et même de l’Autorité de Contrôle des Assurances et de la Prévoyance Sociale (ACAPS), qui était auparavant une structure administrative sous forme d’une direction centrale relevant du ministère chargé des finances.  C’est dire que le statut d’Autorité, qui pourrait être demain celui de l’ANRT, est loin d’être une proposition inédite, en présence de ces antécédents.  Ainsi, cette nouvelle Autorité serait une structure indépendante, administrée par un Conseil d’Administration recomposé, à créer dans les mêmes formes que les quatre Autorités précitées et comportant aussi bien des administrateurs publics et privés ayant des compétences et une expérience confirmées dans le secteur des télécommunications, en plus d’administrateurs indépendants dûment certifiés. Ce nouveau Conseil devrait se réunir suivant une cadence plus fréquente. Cette nouvelle Autorité serait aussi dotée d’un schéma organisationnel plus adapté, le cas échéant. Elle serait également suivie par un Comité de Gestion ayant des attributions plus renforcées et serait dirigée par un président nommé par Dahir, à l’image des autres Autorités existantes. Elle disposerait d’un budget plus autonome dont le président serait ordonnateur et serait soumise à un contrôle à postériori, sous forme notamment d’un audit des comptes annuel à effectuer par des commissaires aux comptes, régulièrement inscrits au tableau de l’Ordre des Experts comptables. En plus de cet audit, le Conseil d’Administration pourrait, éventuellement, diligenter tout autre type d’audit externe qu’il jugerait nécessaire. Outre les avantages indéniables rattachés à cette nouvelle forme d’organisation, le nouveau statut d’Autorité à conférer à l’ANRT aurait aussi le mérite de lever le conflit d’intérêt qui prévaut actuellement par le fait que, d’une certaine manière, le Chef de gouvernement préside l’organe d’administration de cette Agence alors que l’Etat détient en même temps des intérêts au sein de l’un des opérateurs télécoms.

(*) Par Mohammed Taher SBIHI EX responsable au ministère des finances est universitaire, économiste et chercheur en gestion financière

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