Al Qaraouiyine gnomonique.
L’UNESCO atteste la double particularité d’Al Quaraouiyine : elle est la plus ancienne université au monde toujours en activité. Elle est l’unique à continuer à former des étudiants venus de partout et à promouvoir des diplômés, continuellement tous les ans et sans interruption, et ce depuis le IXème siècle. Un léger rappel, tout de même, à nos lecteurs d’ailleurs : Al Quaraouiyine est située au nord du Maroc, plus exactement, dans la ville de Fès. Elle est connue pour sa grande bibliothèque riche de quelques 4000 manuscrits vieux de plus de 1200 ans. Elle est célèbre également pour son architecture, pour ses dix-sept portails, ses fontaines d’eau… et, tout particulièrement, pour son esplanade au cœur de laquelle on peut admirer un splendide et authentique cadran solaire minutieusement sculpté sur un de ses murs. Le cadran solaire, est une invention empruntée au babylonien, et que les grecs appelaient miraculeusement « gnomon », permettait non seulement de lire l’heure mais, bien davantage, puisqu’il permettait d’observer et de lire les positions des parties du globe.
En effet, fabriqué soigneusement de mains d’homme, en marbre blanc, en terre cuite ou à l’aide de sable, et telle une page blanche, ce cadran reçoit un rayon lumineux que la tige inclinée intercepte au passage et transforme en une ombre projetée sur la surface du cadran. Il écrit sur la surface une ombre, noire, plus ou moins longue selon les heures de la journée et suivant les mois de l’année, et indique, par conséquent, latitude et fait savoir équinoxe et solstice. Fabriqué ou façonné, donc artificiel, il mime tout naturellement et à merveille la position de l’arbre en pleine journée. Ainsi, un rien d’artificiel déborde d’intelligence qualitative puisqu’il permet de lire, c’est-à-dire de prendre connaissance, des éléments de l’espace : latitude, et d’apprécier ceux du temps : équinoxes et solstices, le tout de manière complètement autonome ou automatique, sans opérateur ni énergie à part la lumière solaire. Al Quaraouiyine, Gnomon et lire, nous y reviendrons.
Intelligence artificielle ou renseignement artificiel ?
L’adage populaire répète à qui veut l’entendre, que toute traduction est une trahison. Et notre « intelligence artificielle » n’y échappe pas, car emprunté à l’américain : « artificial intelligence », elle a perdu son vrai sens lors de son passage de l’anglais au français. En effet, le mot intelligence insinue, en anglais, beaucoup plus renseignement que véritable intelligence. Et d’ailleurs, l’agence CIA, pour Central Intelligence Agency, veut tout simplement dire Agence Centrale du Renseignement et non celle de l’intelligence. En plus et curieusement, nos téléphones portables à 4G et bientôt à 5G, ne sont pas appelés intelligent phones mais smartphones, et les smartcities… comme pour distinguer l’intelligence au sens français du renseignement au sens anglais : ce qui confirmerait que lors du transport de l’anglais vers le français, le mot « intelligence » a été déformé et trahi. Est-ce la première fois où cette trahison s’opère sur la traduction ? Pas du tout, et il est impossible de dresser, ici, la liste de tous les mots dénaturés par la traduction. Un seul autre exemple très connu : le modèle mathématique dit « régression linéaire » introduit par le britannique Francis Galton, n’a dans la plupart des cas rien de régressif ni rien de linéaire. Même en modélisant des phénomènes à tendance croissante et donc progressive et même si leur courbe n’a rien à voir avec la proportionnalité, on persiste à écrire méthode de « régression linéaire » et à la nommer ainsi depuis 1886.
Une Intelligence Artificielle inintelligente.
Quand nous lisons les définitions de l’IA, dans pratiquement tous les supports, nous sommes frappés d’apprendre qu’il s’agit, d’abord et avant toute chose, comme nous venons de le voir, de renseignements et de données donc de Big Data et d’algorithmes mathématiques. D’autre part, tous les termes qui définissent cette IA sont au pluriel. Autrement dit, l’IA est quantitative ou comme on préfère répéter actuellement : datavore, c’est-à-dire qu’elle est dévorante de données. Et cette activité de l’IA, très dépendante des données, est sujette facilement à l’erreur, à la mauvaise information et même à la manipulation.
Et c’est exactement ce qu’a réussi à démontrer, le 03 février dernier, l’artiste allemand Simon WECKERT en compilant 99 téléphones, des smartphones d’occasion, dans une brouette. Ce simple geste ridicule et stupide, pour quiconque doté de la moindre intelligence, la vraie, c’est-à-dire l’humaine, cette brouettée de téléphones, donc, a été interceptée à coup sûr par des satellites et traduite par une certaine IA googléenne, comme une route à forte densité de trafic, et du coup, elle a suggéré à Google Maps de rediriger les automobilistes vers d’autres itinéraires. Est-ce encore de l’IA quand une brouette et une centaine de téléphones créent une route virtuellement embouteillée ? Cet exemple tout banal qui n’est ni isolé ni unique en son genre, montre bien que celle qu’on nomme faussement intelligence artificielle est inintelligente : à l’aide d’un engin datant du IIIème siècle, l’art et l’intelligence humaines ont mis à mal la technique dite à tort intelligence artificielle. De la haute technologie pour succomber à des pratiques archaïques !
Un autre exemple a été révélé le 20 février par des « hackers » qui ont posé sur un panneau de limitation de vitesse un bout de scotch noir, long d’à peine quelques centimètres, et qui ont réussi à faire croire à « l’autopilot » de « tesla », la voiture la plus autonome et la plus truffée de technologies dernier cri, une limitation de vitesse incroyable : par une légère déformation du chiffre 3 du panneau « 35mph » (environ 56km/h) l’autopilot a réussi à lire « 85mph » (environ 136km/h). Facile d’imaginer les conséquences d’un tel monstre, artificiellement intelligent, aux abords d’une agglomération urbaine, en pleine heure de pointe. Une intelligence factice certes mais folle.
En conclusion.
Le mot intelligence ne connaît pas d’autre origine que le verbe lire, via legere, et c’est exactement ce que nous faisons quand nous lisons la trace ou l’ombre du soleil sur la table du gnomon : la vraie intelligence, fulgurante et intuitive, qui ne relève pas de trompeurs renseignements.
Le mot gnomon, en grec, voulait dire discerner, distinguer, racine que nous pouvons facilement repérer dans diagnostiquer, ou encore dans gnostique ou enfin dans ignorant quand on manque justement de discernement. D’ailleurs, le mot connaissance lui-même découle directement et justement du mot gnomon, et qui veut dire discernement et désignation, mot à rapprocher de « knowledge » qui a presque gardé intacte la racine mère.
Enfin, pourquoi résister à la tentation d’ouvrir le mot magique « Al Quaraouiyine ». Certes, il est la déformation du pluriel « Kairouanais » en référence aux habitants de Kairouan, la ville tunisienne qui a vu se construire la sœur jumelle d’Al Quaraouiyine. Mais, Al Quaraouiyine signifie littéralement villageois ou ruraux, c’est-à-dire ceux qui habitent le cœur de la pure nature aux gisements de marbre, aux amas de terre et aux dunes de sable, ingrédients indispensables à la fabrication de notre gnomon dont nous sommes partis.
Par ATA-ILAH KHAOUJA