Tout cela pour ça !
mars 3, 2023
tribune libre
Par Ata-ilah Khaouja
De quoi s’agit-il ?
Sans aucun sentiment de technophobie et sans le moindre délire passionnel d’une certaine nostalgie vieillotte, il est facile de constater que nous nous soumettons comme des esclaves et nous nous jetons mains et pieds liés dans ce qui est censé nous libérer. Au risque de nous rendre à nouveau des victimes d’esclavage, ce que notre humanité a mis des siècles à nous en libérer, nous y succombons en toute spontanéité et tout naturellement. Comment ? La technologie nous asservit à feu doux !
Sans aucun doute, toujours aidés de technologies diverses et épaulés, tout récemment, par le dernier fleuron de la plus puissante découverte qu’est l’Intelligence Artificielle (IA), nous devrions être plus intelligents, plus exactement, nous sommes censés être de plus en plus sensés. Or, à l’aide de ladite IA, nous courons vers notre bêtise. Ce dernier mot, emprunté aux bêtes, exige au moins que nous leur présentions nos excuses pour l’insulte que nous leur proférons : les bêtes n’y sont strictement pour rien…
Laurie l’influenceuse influencée.
… elles n’y sont pour rien car, pour ces bêtes, il est naturel d’être encagées dans des mètres carrés à longueur de journées donc durant toute leur vie. Pour nous, les voir de la sorte confinées, soumises et serviles, nous le jugeons, pour ainsi dire, raisonnable et légitime.
Par contre, nous ne tolérons pas voir un de nos semblables encerclés dans des servitudes ou séquestrés dans des chaînes et, quand, par malheur ou mésaventure, cela arrive, nous jugeons cette situation condamnable et répréhensible. Et tant mieux. Par contre, que dirions-nous alors de cette influenceuse devenue totalement influencée, par ses suiveuses et suiveurs, au point d’avoir décrété de ne plus prendre de décision volontaire ? Voici les faits : Laurie, c’est son prénom, a décidé de ne prendre de décisions que celles qui viennent de ses followers. Imaginons qu’elle aurait envie de dormir d’abord, de sortir ensuite et de jouer enfin, et que, par contre, ses followers en décideraient différemment… elle devrait s’exécuter…
Autrement dit, elle a renoncé à sa liberté de choisir et par conséquent d’agir : elle a abandonné ce qui en soi définit le propre de l’humain. Notre Laurie vient d’inverser la trajectoire que notre humanité a mis des millions d’années à emprunter, et ainsi, ce sont les efforts cumulés de bataillons de générations qui viennent d’être anéantis.
Laurie vient de nous renvoyer aux origines d’où nous sommes partis, à ces profondeurs sombres que nous avons peinées à escalader pour atteindre les degrés hauts et nobles actuels. Avec Laurie, nous avons l’impression de rechuter comme le rocher de Sisyphe et que nous devrions à nouveau retenter l’escalade.
Laurie, elle encore, vient de nous mettre à la porte de notre humanité et nous a repoussés d’où nous nous sommes sauvés : de ces très lointains souvenirs de lieux cauchemardesques où nous avons laissé, derrière nous à la traîne, des espèces encore vivantes sans aucune chance de nous atteindre et d’autres, nombreuses, mais déjà éteintes.
Laurie, enfin, vient de nous faire sombrer dans ce dont nous nous sommes débarrassés : de très tristes cages et de redoutables instincts que nous avons délaissés pour apprendre et voyager, un beau matin. Nous sommes partis très tôt ce matin-là, par peur de rater le départ et par crainte d’arriver trop tard, dans l’obscurité de la préhistoire en tâtonnant par-ci par-là à la recherche d’un bout de chemin pour accéder à la liberté, notre liberté. C’est ainsi que nous nous sommes libérés de toutes les chaînes lourdes et pesantes.
Mais avec l’expérience de cette influenceuse, devenue influencée, manipulée, automatisée, l’homme vient de reprendre une triste place quelque part entre l’animal, en cours de dressage et la machine, en instance de programmation, entre l’instinct animal et l’automatisme machinal que des fois on traite d’intelligence factice ou artificielle. L’expérience de Laurie nous interpelle sur le fondement même de l’humanité : est-ce de la liberté de décider de céder sa propre liberté !
Intelligence factice
Une autre scène, aussi triste, relayée par la presse nationale et internationale, vient de secouer le monde académique. Son théâtre : l’université de Strasbourg ; ses acteurs : des étudiants en histoire du Japon ; son intrigue : l’Intelligence Artificielle ChatGPT ; son genre : le drame de l’intégrité et de l’intelligence ; date de scénario : novembre 2022 ; date de présentation : Février 2023 ; ses spectateurs en première loge : le corps professoral ; ses autres spectateurs : le monde du savoir, de la recherche et de l’apprentissage…
Rappelons que l’IA ChatGPT est devenue, en septembre dernier, ouverte et accessible à tous les usagers de l’internet, et que l’un des fondateurs de cette OpenAI, le célèbre Elon Musk, n’a pas hésité à poster « c’est un nouveau monde. Adieu devoirs à la maison ». Et l’université de Strasbourg, avant de reprendre la main sur l’événement, venait de donner plus que raison à M. Musk : « Étudiants équipés de ChatGPT, adieu examens ».
Reprenons : munis de l’IA californienne ChatGPT en pleine séance d’examen, interdite bien évidemment lors d’évaluation, des étudiants ont brillamment répondu avec des résultats avoisinant les 92% là où, habituellement, les scores ne dépassaient pas les 45%. D’où les soupçons de plagiat confirmés par la suite. Rappelons que le mot plagiat viendrait du grec plagion qui signifiait une personne fourbe et qui désignait les voleurs des esclaves au pluriel.
Comme l’ont rapporté les médias ayant relayé les propos des responsables académiques, les étudiants en question n’ont pas été condamnés pour plagiat, c’est-à-dire pour vol, mais, ils étaient juste condamnés … à … repasser … les examens ! Posons alors la question : est-ce que ce cas de triche est isolé et singulier ou bien est-ce le début d’une ère qui instituerait le plagiat collectif et pluriel ?
Et si la société devenait chatGPTisée !
Ce qui s’est passé à l’université alsacienne, cas isolé, certes, pour le moment, est potentiellement facile à étendre à d’autres universités et aisément et largement transposable à d’autres pays. Si cette « intelligence » devenait généralisée, on assisterait à une société où la triche deviendrait la loi : imaginons des étudiants de médecine en fin d’un parcours où ils auraient chatGPTisé lors de l’examen d’entrée, lors des évaluations en cours de leur cursus et à l’examen final : qui parmi nous abandonnerait son corps à ces médecins-produits de cette IA ? Il ne faut pas oublier de comptabiliser les erreurs médicales, de leurs procès aux tribunaux … à moins que ChatGPT soit présente dans les salles d’opération…
Imaginons des pilotes en formation qui auraient chatGPTisé à tous les étages de la formation, depuis le concours d’entrée jusqu’à l’obtention de la licence : qui prendrait, parmi nous, une place à bord d’un avion piloté par des pilotes-fruits de cette IA ? Après les accidents, il faudrait songer à ouvrir des procès… à moins que ChatGPT fasse partie des indispensables dans les cockpits…
Imaginons, enfin, des capitaines de bateaux, des conducteurs de train, des hauts responsables du monde civil et autres, tous chaPGTisés, alors notre société serait transformée en un grand tribunal à force de voir fleurir des procès de partout. Des palais de justice immenses où les salles d’audience bondées occupées par des fraudeurs, des tricheurs et des plagiaires ; des prétoires dépassés par des ampleurs inouïes de procès, et où les magistrats manqueraient pour traiter tous les dossier… à moins que la ChatGPT soit exigible dans la salle d’audience comme la robe, l’hermine et le rabat…
Par Ata-ilah Khaouja