mercredi , 25 décembre 2024

Sagesse de la main

Par Ata-Ilah Khaouja

De quoi s’agit-il ?

-Est-il vrai que les trois singes, tous en position assise, nous donnent-ils vraiment, ce que l’immense foule pense, les clés du bonheur ou de la sagesse ? Pas si sûr.

-Pourquoi la sagesse simiesque, venant des singes, s’est-elle uniquement intéressée à la parole, à la vue et à l’ouïe ? A-telle naïvement oublié l’odorat ?  Ou bien a-t-elle, volontairement, évité le nez et les narines ?

-Et si cette sagesse voulait plutôt orienter notre regard sur les mains et attirer notre attention sur les miracles de la main ou des mains : manipuler ou manufacturer ou encore manifester… autrefois et maintenant. Probable

Lecture « néolithique » des trois singes

Les trois braves singes nous interpellent et souhaiteraient, probablement, nous interpeler sur les finalités de la vie : que faut-il voir, que faut-il entendre et que faut-il dire pour mieux vivre, ou bien, pour vivre heureux ? Ceci est une version moins fréquemment partagée.

L’autre, la plus couramment admise, fait dire aux trois statuettes : pour vivre heureux alors il faut faire semblant de rien dire, rien entendre ni rien voir. Et comment est-ce possible d’accéder, au bonheur supposé, si l’on doit vivre aveugle, sourd et muet ? Et pourtant, c’est cette lecture dépassée et discutable qui est communément partagée. Elle pourrait être revue de manière approfondie comme suit : ne rien voir certes, cependant, regarder plutôt le vif ; ne rien entendre mais écouter du moins le vrai ; ne rien dire toutefois révéler, de préférence, le vital. Sauf qu’à cette aube de l’humanité, l’homme s’appelait encore homo faber.

Et toutes ces considérations étaient totalement étrangères à ses préoccupations de chaque instant. Ses seules obsessions du moment immédiat étaient uniquement de produire et de survivre du fruit de ses mains.

A cette période de son histoire, l’homme devait donc se concentrer sur son quotidien et éviter de se distraire. Cette sagesse recommandait donc à l’homme, à cet instant de son existence, de se concentrer uniquement sur ce qu’il façonnait manuellement ou ce que manipulaient ou encore ce que manufacturaient sa main ou ses mains. Condamné à des travaux de manutention, un manœuvre n’a pas à manigancer ! Sinon, pourquoi donc manifester six mains ?  Pourquoi, en disant cela on oublie les six mains engagées durant cette scène !

Lecture émancipée des trois singes

Se soustraire à la main d’un tuteur se dit émanciper. Et depuis que l’homme s’est soustrait à la mainmise de sa main, depuis qu’il est mis à produire indépendamment de sa main, il est passé à d’autres occupations qui ne relèvent pas uniquement de la manufacture ou de la manœuvre, alors il s’est mis à écouter autre chose que le grondements des tonnerres ; il s’est intéressé à regarder de l’autre côté de la clôture de sa demeure et à parler à des voisins et des inconnus très lointains.   

On pourrait donc comprendre, du geste des trois singes, que les mains posées respectivement sur les oreilles, sur les yeux et sur la bouche ne sont que des indications où allaient être placés des objets qui allaient sortir justement des têtes de l’homo informaticus : des écouteurs avec ou sans fil pour boucher l’ouïe ; des casques de réalité virtuelle pour aveugler la vue et des smartphones pour ne rien dire au proche et dialoguer avec le lointain…

Un quatrième oublié

La parole commente ce que l’espace offre à voir et ce que la rumeur du monde fait entendre à l’oreille. C’es inévitable. Par contre rien ne concerne les narines, chez nos trois singes héroïques.

En effet, les trois singes transformés trois sages, utilisent des mains (donc le toucher) pour obstruer une paire d’oreilles (ouïe) ; pour cacher un doublet d’yeux (vue) ; pour museler une bouche seule (goût) ; les quatre sens sont représentés sauf un.  Il leur échappe l’odorat ou plus précisément, le flair reste inaccessible aux mains.

Ainsi, indirectement, en passant sous silence ce quatrième sens, les trois statuettes renvoient vers l’essentiel, l’essentiel qui échappe aux mains et qu’elles ne peuvent ni arrêter ni bloquer : l’odorat ou la respiration. Si, selon une interprétation, les trois statuettes préconisent qu’on puisse vivre heureux sans voir, sans entendre et même sans parler, alors comment est-il possible de juste vivre, sans respirer ?

Les trois singes nous disent que l’important n’est pas de parler, puisque les machines le font depuis longtemps ; le plus important n’est pas de voir mais de regarder puisque des caméras le font également depuis autrefois ; et écouter n’est pas le propre de l’homme puisque des micros individuels à peine visibles ou étatiques gigantesques à l’image de la NSA, des oreilles artificielles et manufacturées, sont semées presque partout sur le globe.

L’essentiel c’est ce qui n’est pas représenté et c’est l’odorat qui échappe à la représentation ; c’est le sentir, dont un sens est de percevoir les odeurs, qui englobe les autres sens.

Pour finir : et maintenant

Et maintenant. Que faut-il tenir en main pour approcher le bonheur que nous suggère les trois sages ? La vraie leçon à retenir de cette sagesse est que l’essentiel échappe à toute main.  La vie, la vraie vie n’a pas besoin d’accessoires.

PAR ATA-ILAH KHAOUJA

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