L’Homme descend du songe!
novembre 2, 2020
tribune libre
Le théâtre des opérations
On pourrait s’imaginer spectateur dans un théâtre, bien installé dans un siège en train de contempler un spectacle tragique, dramatique ou comique. On pourrait même se voir, également dans un amphithéâtre, bien concentré sur la spéculation des théories et le défilement de tout un spectre de théorèmes. Ou bien encore s’envisager, au chaud, chez soi dans le salon devant sa boîte magique appelée télévision bien disposé à suivre la programmation de la soirée… Ou enfin, on pourrait même se voir debout ou assis, en plein jour ou à n’importe quelle heure de la nuit, chez soi ou ailleurs dans un véhicule, devant le petit écran de son smartphone et suivre à distance tout ce qu’un théâtre ou un amphithéâtre pourraient offrir. Dans tous ces cas cités ci-dessus, nous n’aurions pas quitté la vision, la fiction et l’illusion, le rêve et le songe.
Dans tous ces cas, nous n’aurions quitté ni le fictif ni l’abstrait, ni l’éventuel ni le possible, ni le fabuleux ni l’illusoire. En effet, les mots tels que théâtre et amphithéâtre ne désignent rien de matériel ni de concret mais plutôt le lieu où on voit la fiction pour le cas du théâtre, ou bien, le lieu où on a la vue tout autour et des deux côtés pour l’amphithéâtre (amphi = deux). De même, théorie et théorème renvoient vers ce qui permet de voir c’est-à-dire vision et apparition à distance qu’on retrouve dans télévision et écran. Et de même pour spectacle et spectateur qui veulent tout simplement dire, respectivement, ce qui attire le regard et celui qui profite de la vue. Quant au spectre, c’est une vision ou une figure fantastique. Donc, concrètement, rien de matériel ni de manifeste. Rien de ce concret qui, tout le temps, vient en retard, beaucoup plus en retard après l’idée et la théorie, après le possible et le potentiel, bref après l’éventuel et le virtuel. Après ce réel qui se découvre au monde à mesure que le songe cède sa place ; exactement comme la plus réussie des sculptures s’extrait d’un bloc inerte de marbre plein de potentialités et d’éventualités. Et tel le réel qui se tire du songe…
…l’homme descend du songe.
Exactement, avec délicatesse, comme l’homme qui au réveil après un rêve, s’étire et tente de retrouver ses marques et de reprendre ses marches. Il en descend comme on descendrait, après on long voyage, d’une voiture, d’un train ou d’un avion… pour continuer le trajet, une fois les pieds à terre, par d’autres moyens avant d’arriver à destination. Cela prendra quelques pas, une poignée de minutes ou bien beaucoup plus selon… Bref, on descend du songe comme on descendrait d’une hauteur, après une éprouvante expédition, ce qui voudrait dire que le songe a une avance sur le réel ou encore que le rêve accouche de l’actuel et engendre le factuel. Et ce n’est nullement une nouveauté, puisqu’on se souvient tous de la réponse de Newton donnée à ceux qui l’interrogeaient sur son invention et comment il a abouti à la gravitation universelle : » en y pensant toujours » ! Et toujours voudrait dire jour et nuit donc tout au long du réveil et au cours du rêve! Et après lui, Kekulé qui a avoué être parvenu à la forme cyclique du benzène en r-ê-v-a-n-t. Cette découverte qui a révolutionné la chimie organique a été un pur produit d’un songe…
Certes, le rêve fécond n’est plus une nouveauté, comme on vient de le voir, mais il est toujours d’actualité. Tenez par exemple, l’idée de rejoindre l’autre rive, le rêve de serrer la main à celui qui se trouve en face, au-delà de la rivière ou du vide, cette idée a précédé de très loin les camions, l’acier, le ciment… le traçage au sol et l’éclairage du pont en béton. En d’autres termes, le rêve de se trouver de l’autre côté a été le ferment de la réalisation de l’ouvrage qui a précédé sa germination, sa conception et sa concrétisation.
Encore des télécoms…
L’envie de savoir ce que font nos proches voisins du palier ou les habitants de la rive d’en face ont précédé les jumelles et tous les outils d’écoute et d’espionnage, appelés pudiquement systèmes d’insonorisation. Le désir d’aller espionner ceux qui seraient résidents de planètes lointaines ont devancé Space-X et ses fusées, la SSI et ses télécoms, …
Dans un songe on perd tous les repères spatio-temporels et, ainsi, le lointain côtoie presque l’immédiat qui se trouve complètement collé au nez et, en même temps ce qui exigerait des jours ou des mois, se réalise presque à l’instantané. Dans un songe la vitesse s’emballe et la distance s’évapore: plus de repères, plus de marques. Et c’est le propre des télécoms actuellement qui nous offrent tout, complétement tout : le savoir et l’amusement sans le moindre déplacement et sans presque aucune attente : du pur virtuel où on se croirait plongé dans un songe ! Mais cela est, comme on vient de le voir, vieux comme le monde même si on est tenté de croire qu’il est récent et actuel.
Et parce que ce virtuel compte plus que le matériel, nos achats sont dictés du coup par le logiciel. Effectivement, on n’achète pas, en général, un smartphone pour la quantité de ses composants : cobalt, étain, nickel, lithium… plastic…, mais pour sa performance c’est-à-dire pour la capacité du processeur, pour la puissance logicielle, pour la qualité du son et de l’image, pour la vitesse de connexion et l’autonomie de sa batterie… c’est-à-dire, notre achat est conditionné par la MASSE de rêves que peuvent offrir la voiture, le téléphone ou tout autre appareil connecté. Notez le paradoxe : masse de rêves!
Et quant à « l’Homme descend du singe » …
… où le verbe descendre indique non pas une place haute, car le dos du singe n’est pas assez solide pour supporter une humanité qui ne tient pas en place, mais plutôt une origine. Une origine ou une provenance qui ne sont que le fruit d’un songe puisqu’on l’appelle toujours et partout une « théorie ». Et le mot même » théorie » qui indique, comme on vient de le voir, ce qui permet de voir, traduit une certaine vision des choses ou une opinion ou encore une spéculation. Ce qui renvoie, à nouveau, au pur virtuel et à l’authentique songe.
Et pour que les farouches défenseurs de cette théorie ne s’opposent plus brutalement à ses négateurs, il suffit de lire l’aveu même de l’auteur de » l’origine des espèces », qui dès les premières lignes du livre, nous apprend qu’il avance dans le doute en multipliant les tâtonnements et les hésitations, puisqu’il dit : » puis, en 1844, je résumai ces notes sous forme d’un mémoire, où j’indiquais les résultats qui me semblaient offrir quelque degré de probabilité« .
Donc rien de factuel ni de manifeste. Et d’ailleurs résumer n’est pas développer, sembler renvoie à ce qui parait ou apparaît et enfin la probabilité n’est autre, d’après son véritable et originaire sens : ce qui peut être approuvé, mais qui ne l’est pas encore! A tout cela il faut rajouter un autre doute introduit par « quelque degré » qui exprime l’incertain.
Un mot pour finir
Notre vie qu’on qualifie de réelle et de pratique n’est qu’une pause matérielle entre deux songes. Humainement, nous serions le pure produit d’une rencontre rêvée entre nos parents! Matériellement, on songe à la chose, on l’invente, on en profite le temps que dure le plaisir d’en profiter et on passe au songe suivant et à l’invention prochaine. Nous sommes traversés de songe comme le bloc de marbre, de toute à l’heure, qu’on qualifie de dure mais qui est, d’après la mécanique quantique, complètement troué de vide : notre virtuel continue est percé occasionnellement de réel comme le vide quantique est surpris de temps en temps par un nuage électronique. Enfin, Universellement, l’existence du cosmos que nous croyons connaître et qui ne cesse de se découvrir et de se dévoiler devant notre science à chaque instant, n’est-elle pas une parenthèse entre deux théories, c’est-à-dire entre deux visions ? N’est-elle pas, d’après cette même science, le fruit de deux songes : le Big Bang et le Big Crunch ?
Par Khaouja Ata-Ilah