Le virtuel entre la nature de toujours et la culture du jour.
janvier 6, 2023
tribune libre
Par Ata-Ilah Khaouja
De quoi s’agit-il ?
Une tentative de réponse à deux questions, déjà traitées, mais qui sont toujours d’actualité avec l’arrivée des toutes nouvelles technologies des metavers :
-D’abord, est-ce que le virtuel est le propre de notre seule espèce humaine ?
-Ensuite, est-ce que ce même virtuel est une exclusivité ou primauté culturelle ?
En réponse à ces deux questions nous allons interroger, à travers un exemple, notre nature qui nous répondra que le virtuel n’est pas que culturel et surtout qu’il a toujours été global. Un deuxième exemple, très ancien et purement culturel, nous apprendra que le virtuel ne date pas d’aujourd’hui et qu’il n’est pas local non plus.
Tout d’abord
L’arbre pour se développer et voyager dans l’espace, vers le ciel, reste attaché au sol et puise ses ressources dans ses racines enfuies dans l’obscurité du sous-sol. Ainsi est-il de nous les humains : que nous le voulions ou non, nous puisons dans les mystères de notre autrefois et de notre jadis, de notre Histoire.
Et peu importe notre degré d’évolution, nous plongeons jusqu’au cou dans l’ancien et nous nous référons, sans cesse, à notre passé dépassé et démodé. Ce passé nous poursuit et nous colle, malgré nous, même si nous le qualifions d’archaïque, et même s’il nous rappelle l’époque où nos sociétés étaient purement culturales, c’est-à-dire quand elles vivaient uniquement de l’agriculture et de la nature.
Le premier mot de la nature.
De la nature, justement, parlons-en, à travers cet exemple, 100% virtuel et 100% naturel. Durant l’été, en période de forte chaleur, nous vivons quelque chose de magique, c’est-à-dire, de surnaturel. Que nous soyons en libre randonnée dans le désert ou bien convenablement enfermés dans nos véhicules, nous remarquons, au loin, des apparitions qui plongent l’horizon dans une nappe d’eau. Arrivés sur les lieux d’où coulait la flaque aquatique, qu’on croyait presque saisir avec les mains, et voilà que la mare d’eau change de lieu, se déplace vers l’avant et saute encore plus loin. Nous courrons après un étang liquide, sans jamais pouvoir l’atteindre ni l’attraper, et il continue sa fuite. Fuir, n’est-il pas le propre du virtuel ?
Ce phénomène, observable également dans les banquises, est appelé tout simplement : mirage. Qu’est-ce qu’un mirage ? C’est une apparition virtuelle, explicable à l’aide des équations d’optique, et attribuée à la variation des indices de réfraction du milieu qui réfléchit le rayon lumineux. Par conséquent, les différences de températures des couches d’air déforment les rayons lumineux, qui donnent cette impression d’apercevoir, de loin, des nappes d’eau.
Voilà donc une explication réelle et culturelle d’un phénomène virtuel tout à fait naturel et qui existe avant même l’apparition de l’être humain sur Terre et ses équations d’optique. Plus exactement, cette illusion visuelle existe depuis des milliards d’années c’est-à-dire depuis que le soleil brille sur toute la planète Terre avant même l’arrivée de la toute première présence humaine. Avant les routes et les autoroutes. Donc, à travers cet exemple, qui n’est pas unique, le virtuel est d’abord, depuis des temps immémoriaux, naturel, et donc il ne date pas d’aujourd’hui et il a toujours été global, à l’image du soleil qui brille sur tout le globe terrestre.
Le deuxième mot de la culture
D’autre part, la littérature nous livre des textes, conservés depuis les XIIème et XIIIème siècles, qui surabondent en virtuel. Visitons ensemble une légende que l’histoire attribue à différents auteurs et à des lieux semés presque partout sur le globe. Elle est racontée en Asie : de la Turquie jusqu’en Corée du nord en passant par le Pakistan, le Kazakhstan… On lui trouve également une version en Europe : en France, en Angleterre… dans les pays arabes en Irak, au Maroc… on cite même une traduction locale en Bretagne. Là, elle a pour auteur Nasr Eddine Hodja (Joha !), ailleurs, on l’attribue à Saint Yves ou enfin à Yves Hélori…
Et que dit cette légende ? « Un mendiant tenant du pain dans sa main, et parce qu’il n’a pas de quoi se payer un repas, se met en face d’un restaurant et hume les odeurs des plats cuisinés. Le cuisinier furieux, demande à être payé car il estime que le misérable profite gratuitement des odeurs de la cuisine pour accompagner son morceau de pain. Le mendiant refuse et l’affaire est portée devant le juge qui après avoir écouté les arguments de chaque partie ordonne au mendiant de lui donner une pièce de monnaie. Ce dernier s’exécute et le magistrat, s’adressant au cuisiner, fait tinter la pièce sur la table et lui dit : vous avez entendu, vous êtes donc payé : du bruit contre l’odeur ! »
Qui ne voit pas dans ce fabliau les trois composants des télécoms d’aujourd’hui : un fournisseur d’accès (le cuisinier), un utilisateur (mendiant) et un régulateur (le juge) ! Qui ne voit pas dans « bruit contre odeur » un paiement à distance, ou encore, une monnaie virtuelle. Une transaction commerciale entièrement dématérialisée.
Question : qu’est-ce que la réalité virtuelle ? La réalité virtuelle reproduit une expérience sensorielle qui peut inclure la vue, le toucher, l’ouïe et l’odorat. Dit autrement, la réalité virtuelle est une expérience qui fait appel à l’optique (vue), à l’acoustique (l’ouïe), à l’olfactif (l’odorat) et à l’haptique (le toucher). Nous y sommes jusqu’au cou !
Reprenons
Notre histoire fait jouer sur une voie publique un cuisinier, un mendiant et un juge. Le cuisinier, sédentaire, prépare ou plus exactement opère dans sa cuisine : opérateur. Et le mot mendiant est curieux par son origine et par son sens. Par le sens d’abord : c’est la personne qui ne cesse de parcourir les villes et sillonner les rues ; il est le nomade, l’itinérant, le mobile. (Et mobile veut dire aujourd’hui téléphone portable ! Et le rooming se dit également itinérance !). Ou encore, le mendiant toujours, est celui qui ne cesse d’errer et de vagabonder. Par l’origine ensuite : le mendiant est la personne qui ne cesse de tendre et d’utiliser sa main. Et que fait l’utilisateur du portable aujourd’hui ? Sur son smartphone, il écrit à l’aide de sa main également ou, plus exactement, moyennant ses pouces. Enfin, le juge, règle, rétribue et statue à l’image de l’ANRT-Maroc, l’ARCEP-France…, toutes ces instances qui régulent ou réglementent le flux des échanges virtuels : les vues, et les bruits… Bruits ou sons ou audio uniquement : du mp3 ; vues ou images avec du son donc du mp4. Dernier élément : la scène ne se passe pas à l’intérieur du restaurant mais sur la voie publique, exactement sur la rue ou sur une route. Et notre virtuel d’aujourd’hui se déroule précisément sur les voies des télécoms qu’on appelait durant un temps les autoroutes de l’information.
Mendiant veut également dire libre de tout lien : il peut se mettre devant tout restaurateur de son choix et consommer son bien comme il l’entend. Et les clients des télécoms que nous sommes, aujourd’hui, vous et moi, nous sommes plus mobiles que jamais dans le choix de nos forfaits et de nos opérateurs : qui parmi nous, aujourd’hui, ne change pas d’opérateur à sa guise comme bon lui semble ? Librement. Le conte ne le précise pas, mais le juge a donné raison au mendiant, certainement parce que celui-ci a tout simplement été attiré, piégé et ligoté par l’odeur émanant du restaurant. Comme si l’utilisateur du virtuel d’aujourd’hui est enchainé aux chaines qu’il regarde et accablé par les différents câbles ou canaux auxquels il est abonné : il est captivé par le virtuel fourni par l’opérateur. Ou bien, et surtout, car l’opérateur ne maîtrise pas le contenu de son virtuel comme le cuisinier ne peut pas enfermer l’odeur de ses préparations cuisinées.
L’histoire ne nous dit pas, non plus, comment le cuisinier a retrouvé le mendiant qu’il traduit en justice. Ce mendiant-utilisateur était-il tracé et pisté par le cuisinier-opérateur ? Il se pouvait que le cuisinier ait su tout sur le mendiant : hébergement s’il en avait, habitudes, trajet… On dirait mon opérateur qui sait exactement dans quel pays je me trouve par les notifications qu’il m’envoie lors de traversées des frontières. Par le bornage téléphonique, le même opérateur me suit au pas et sait quel moyen de transport j’emprunté, quelle ville je visite, dans quel restaurant je mange et…il arrive à me situer avec précision, à quelques centimètres près, à quel numéro de rue je m’arrête pour répondre à un appel ou pour envoyer un message… Et bien évidemment, la nature de contenu je suis en train de consulter à l’instant, par lecture de ces lignes…
Pour finir
La nature produit du virtuel, sans tapage ni bruit, depuis des milliards d’années et sur toute notre planète : du virtuel à l’échelle globale. Elle le fait, certainement ailleurs, dans le silence cosmique effrayant, ce que réussira à nous prouver, probablement un jour, le télescope JWST. Et notre passé, culturel, dans lequel nous plongeons à tout instant, nous rattrape et nous rappelle, discrètement mais sagement, que le virtuel n’est pas une invention de dernière heure. Nos criantes arrogances, envers une nature clémente et généreuse et vis-à-vis de notre passé riche et fécond, nous rendent amnésiques ! A quand le réveil ?
Par Ata-Ilah Khaouja