jeudi , 26 décembre 2024

Le temps moderne et l’éternité.

Définir exactement ce qu’est le temps, demeure une chose difficile en dépit de l’effort accompli dans le domaine des sciences et des instruments d’observation et de mesure. Chacun de nous donnerait la réponse du philosophe Saint AUGUSTIN concernant sa signification : «si on ne me le demande pas je crois savoir, mais si on me le demande, je ne le sais pas». Les intellectuels contemporains le définissent comme une donnée abstraite, pour d’autres, c’est une sorte d’espace mental où se déroulent les événements.

         Saint AUGUSTIN admet la création du monde avec une origine du temps et la délégation à l’homme, par son créateur, d’une liberté, qui permet, d’une part, le pêché, et, d’autre part, le mérite. Même si la physique actuelle admet le commencement du temps avec le «Big Bang», les physiciens déterministes n’aiment pas que le temps ait un début, peut-être pour ne pas parler d’intervention divine, et pour ne pas contredire NEWTON qui imaginait une nature comme une grande horloge qui tourne sous l’action de la force gravitationnelle selon un mouvement continu sans commencement ni fin.   

          Pour le philosophe René GUENON, ce qui est mesuré réellement n’est jamais une durée mais l’espace parcouru pendant cette durée dans certains mouvements dont on connaît la loi. Cette loi se présente comme une relation entre l’espace et le temps, alors que les phénomènes mentaux n’ont aucun caractère spatial, mais se déroulent par contre également dans le temps.

  • LES DEUX TEMPS :

         Le temps social ou vécu est constitué d’un ensemble de représentations dont les éléments synthétisent la conscience sociale. La particularité du temps social c’est qu’il n’est pas perçu de la même manière dans les sociétés modernes que dans celles traditionnelles.

         Dans le «Contrat Naturel» Michel sERRES, définit le temps social moderne comme un temps à court terme, c’est à dire un temps calculable et le temps social de la tradition comme un temps à long terme. Il précise à ce sujet que la politique, les médias et la science sont des représentations appartenant au court terme et que leur mission consiste à masquer le temps traditionnel agissant à long terme. En effet le politique réalise des projets en fonction des élections à venir, l’homme des médias est préoccupé par la semaine, voire la journée et le scientifique voit ses articles ne dépassant guère une dizaine d’années dans le cadre des changements perpétuels des paradigmes. Si le temps long terme sauvegarde la mémoire et les gênes des anciennes générations, le temps à court terme semble les affecter. 

     Le Coran évoque un temps divin sans commune mesure avec le temps nombré terrestre. Ainsi il fait apparaître la limite d’une conception trop unilatérale du temps. Le temps terrestre est en relation avec l’existence corporelle, dès qu’on le fait disparaître, on est dans un prolongement «extra corporel».

         Le temps des religions révélées est considéré en fonction, d’une part, de la chute d’ADAM. Le temps en relation avec le Coran, tout en étant vectoriel et irréversible ne s’est pas affranchi de la conception cyclique, étant donné le retour des fêtes religieuses et des moments de prière. Dans la vie des cultures monothéistes, il y avait une certaine continuité entre le passé et l’avenir ; le présent était vécu comme l’occasion de se purifier et de corriger le passé en vue d’éviter le châtiment dans le monde de l’au-delà.  

         Jadis, le temps social était confondu avec le temps du religieux. Avec la modernité et le développement des villes, on est passé du temps religieux au temps des commerçants ; ainsi, le temps a pris «avec le temps» une valeur matérielle. Le temps réellement occupé, aujourd’hui, est celui où on gagne de l’argent pour soi-même ou pour les autres.

    • LE TEMPS MODERNE DEVORATEUR FINIRA PAR SE DEVORER LUI MEME.

         Aujourd’hui, plus que jamais, on a l’impression que le temps moderne est aussi « déréglementé». Ce temps se déroule à une vitesse toujours croissante en fonction des différentes manifestations, à tel point qu’on commence à se projeter en permanence vers un ailleurs qu’on croit meilleur, en refusant de prendre le présent comme une source de sens. Ainsi on ne vit plus, mais on espère vivre, mais à la fin on risque de ne jamais atteindre l’état de bonheur qu’on visait, car comme dit J.ATTALI «Avancer ou reculer sont des concepts vides de sens. C’est une autre géométrie de l’histoire qu’il faut se préparer». Et les certitudes intellectuelles ne résistent pas longtemps, certaines applications technologiques résultant du temps moderne sont consommées en un temps largement inférieur au temps qu’il faut pour réduire leurs effets polluant en amont et en aval. René GUENON a dit à ce sujet que «le caractère le plus visible de l’époque moderne est l’agitation incessante, de changement continuel, de vitesse sans cesse croissante comme celle avec laquelle se déroulent les événements eux même ; c’est la dispersion dans la multiplicité et dans une multiplicité qui n’est plus unifiée par la conscience d’aucun principe supérieur». L’évolution rapide des connaissances ne signifie-t-elle qu’il y a quelque chose d’anormal dans la nature même de ces connaissances. Si par le passé, les activités de l’humanité semblaient avoir pour objectif de lutter contre l’éphémère et de laisser des traces qui donnent un sens à leur passage, aujourd’hui tout est devenu éphémère et passager. Pourtant on essaye toujours de trouver un sens dans cette organisation collective de la destruction du temps. On vit aujourd’hui une désorientation totale, provoquée par le fait qu’on veut se synchroniser avec le rythme technologique. Même dans le domaine du management on sent une grande impuissance ; des grandes entreprises changent leur stratégie fréquemment par risque de disparaître à jamais. Aux Etats-Unis, les gestionnaires doivent être toujours capables de chercher à dépasser les paradigmes en vigueur. Et quand un paradigme change, tout revient à zéro et les succès du passé ne garantissent rien.  

          Comment on peut résoudre les problèmes qui se posent à notre humanité à partir des raisonnements appartenant au court terme, car pour Michel SERRES la pollution affectant aujourd’hui l’écologie provient du temps moderne c’est-à-dire du savoir appartenant au cours terme. Il précise que l’avenir salutaire est plus lié au temps long terme, vécu par ceux qui à partir de gestes locales induisaient de grandes cultures.

 

Par Ahmed Khaouja

          

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