jeudi , 26 décembre 2024

Evolution institutionnelle  des télécommunications au Maroc du 19ème siècle à nos jours

La communauté  internationale des télécoms célèbre, en  2015, le 150ème anniversaire de la création de l’Union Internationale du Télégraphe, intervenue en 1865. Cette union est dénommée depuis : l’«Union Internationale des Télécommunications(UIT) », et ce depuis 1932, juste après l’avènement du téléphone  et le  développement des autres réseaux télécoms

La commémoration de cet évènement, nous donne ainsi l’occasion de tracer l’évolution institutionnelle  des télécommunications au Maroc depuis le 19ème siècle jusqu’à nos jours. Cet article vise donc à compléter la contribution titrée « du télégraphe de Chappe à l’ère numérique » de M. Ahmed Khaouja parue dans le numéro 1 du présent magasine ayant été consacré à l’évolution technologique des télécoms.

Au Maroc, comme partout ailleurs il existe une  interaction entre le développement des technologies de télécommunications et l’évolution institutionnelle de celles-ci.

Au Maroc, dès 1908 l’administration du Makhzen a adopté le régime du monopole sur les activités liées à l’exploitation de la télégraphie en créant la première Administration des Télégraphes Chérifiens. Les témoins de l’époque ont rapporté, que la création de ce monopole par le Makhzen arrangeait, notamment à Tanger, les trois puissances coloniales en l’occurrence, la France, l’Espagne et l’Angleterre. Signalons au passage que le télégraphe de Chappe vers 1845 à Figuig  et le télégraphe sans fils à Casa vers le début de 1907 ont été initialement  introduits pour répondre aux besoins des militaires dans le cadre de l’entreprise coloniale de la France.

 Avant l’instauration de ce monopole et pour éviter  les litiges et surpasser les difficultés de cohabitation, les trois puissances présentes notamment à Tanger, étaient parfois dans l’obligation de choisir la duplication de l’infrastructure télécom. C’est ainsi par exemple,  à Tanger la seule ville jusqu’à 1908 à être dotée de communications de télégraphie filaire que les trois puissances ont installé trois câbles sous-marins, un anglais, un espagnol et un français, qui leur  permettaient de réaliser leurs communications télégraphiques depuis Tanger avec le monde entier. Le Makhzen a entrepris l’intégration de la Poste, du Télégraphe et du téléphone au sein d’une même administration en 1910, nommée l’«Administration des Postes et Télégraphes Chérifiens ».

Dans le cadre de ce monopole, les autorités marocaines ont attribué la concession du service téléphonique dans les principales villes du Royaume à Emilio Rotondo y Nicolau en 1910, qui exploitait entre autres, deux entreprises de téléphone, à Tanger et à Casablanca.

En octobre 1913, le Maroc a signé une convention avec les autorités françaises, qui a permis la création de l’«Office des Postes, des Télégraphes et des Téléphones ».

Le 25 novembre 1924, le monopole de l’Etat marocain a été confirmé sur le Télégraphe et le Téléphone avec fils et sans fils par le Dahir du 25 Novembre 1924 tel que modifié par  celui du 6/7/1949. Signalons, au passage que ce Dahir, a maintenu la définition adoptée par celui de 1913 à savoir : «la télécommunication est exclusivement chargée d’assurer toute transmission, émission ou réception de signes, de signaux; d’écrits, d’images, de sons ou de renseignements de toute nature, par fil, radio -électricité, optique, systèmes électromagnétiques ou tout autre moyen.»

Suite à l’instauration du monopole des télécoms dans la zone de Tanger, le 23 octobre 1935, deux autres concessions pour l’exploitation de la téléphonie dans cette zone ont été attribuées respectivement à la société de télécommunications «Telefonica» le 23 octobre 1935 et
à la société espagnole dite «Torrès Quevedo», le 25 Avril 1944.
Après avoir été créé en 1913, « l’Office des Postes, des Télégraphes et des Téléphones », a été remplacé, juste après l’indépendance du Maroc en 1956 par un Ministère en 1956, crée par le Dahir N° 1-56-269 du 26 octobre 1956.

Création de l’ « Office National des Postes et Télécommunications » (ONPT), par Dahir portant loi n° 1- 84 – 8 du 10 janvier 1984.

Après la création de l’ONPT en 1984 et avant même l’adoption de la loi 24-96 en 1997 relative à la poste et aux télécoms, les autorités marocaines ont commencé à alléger la pression du monopole sur le secteur. Elles ont ainsi décidé plusieurs actions: associer à partir de 1988 le privé à l’ONPT dans la construction  des réseaux de distribution, au niveau du génie civil, ainsi que dans la pose et le raccordement  des câbles. En 1989, le privé a été aussi autorisé à commercialiser et à installer les équipements terminaux. En 1992, l’ONPT a lancé les téléboutiques, projet qui consistait à associer le privé à l’exploitation des cabines téléphoniques. Dans  le domaine d’Internet, on a autorisé, en 1995, les Providers, c’est à dire les fournisseurs d’Internet, à fournir les  prestations d’Internet.

Mais, c’est à partir de 1997, sous la pression notamment économique et technologique, que le droit des télécommunications au Maroc va être entièrement refondu, après l’adoption de la loi 24-96 du 07/8/1997, relative à la poste et aux télécommunications, promulguée par le Dahir 1-97-162 du 2 rabii II 1418.  En effet, cette loi et ses décrets d’application consacrent la libéralisation du secteur et donc la fin du monopole qui le caractérisait depuis le début du siècle dernier.

 – La promulgation de la loi 24/96 précitée marque ainsi la fin du monopole des Télécommunications. Cette évolution s’est traduite par la création de :
– la société anonyme «Itissalat Al-Maghrib» le 10 février 1998.
– l’ « Agence Nationale de Réglementation des Télécommunications (ANRT) » le 26 Février 1998 et le début de l’octroi de plusieurs licences d’exploitation des télécoms telle que celle accordée à Méditelecom en 1999.

En 2004, la loi 55/01, modifiant et complétant celle N° 24-96 susvisée a été adoptée. Cette Loi comportait de nombreux apports qui ont permis de renforcer la régulation du secteur des télécoms au Maroc. Cette loi a eu de nombreux apports. Parmi ses apports : la baisse des contributions des opérateurs pour le service universel (de 6 à 2%); le recours aux mécanismes de marché pour assurer les missions de service universel, la mise en place d’un compte spécial pour le financement desdites missions et l’introduction de l’Internet dans la notion de service universel.

Actuellement, le projet de loi n° 121-12, relatif aux télécommunications, qui est en cours  d’examen au parlement, vise principalement:

– à renforcer le rôle du régulateur dans le partage de l’infrastructure,

– à étendre le service universel pour englober l’internet haut débit.

Ce processus de  libéralisation du secteur des télécoms s’est traduit, de 1999 à 2015, d’une part, par  l’octroi de plusieurs licences notamment dans le domaine mobile et particulièrement à l’opérateur Méditelecom et, d’autre part, par la privatisation de l’opérateur historique.

Ainsi au Maroc, dès le mois de mars 2015, les trois opérateurs télécoms marocains, dits globaux, se sont vu attribuer le droit d’exploiter la technologie mobile de quatrième génération (4G). Cette technologie, qui garantit des débits théoriques autour de 100Mb/s, succède à la 3G, qui était mise en service au Maroc à partir de 2008 et qui offre un débit théorique autour de 42Mb/s.
Les trois opérateurs marocains ont acquis ce droit  d’exploitation dans les trois bandes de fréquences, 800 Mhz, 1800 Mhz et 2,6 GHz.

Par conséquent, le Maroc, a été, dès 1998, parmi les premiers pays en développement à adopter une politique  de libéralisation progressive des services des télécommunications.  Après avoir modifié le cadre législatif et réglementaire, en 2004, pour tenir compte des évolutions du secteur et de l’exercice de la régulation depuis 1998, le Maroc a tenu à faire progresser la libéralisation du secteur. Pour preuve récente le projet de loi 121-12 précité est actuellement entre les mains des  parlementaires et du gouvernement pour faire évoluer les textes en vigueur.

Pour conclure, on peut affirmer que le secteur des télécommunications au Maroc a connu trois grandes étapes au cours de son histoire. En effet, après une longue période caractérisée par un monopole, vint la période critique de ce monopole et un débat a été engagé autour de l’efficacité de ce mode de gestion qui ne répondait plus aux attentes des consommateurs, en général, et de l’économie en particulier. C’est ainsi que ce service, longtemps considéré comme faisant partie des fonctions régaliennes, a connu une réforme en 1984 avec la création d’un Etablissement public, en l’occurrence l’ONPT, et ce, afin de doter cet organisme de plus d’autonomie, pour une meilleure gestion et pour répondre aux exigences technologiques et commerciales que requiert le développement  des réseaux et des services de télécommunications. Cette époque a été marquée par des investissements assez conséquents, en comparaison avec la période antérieure à 1984.

La troisième phase dans l’histoire des télécommunications au Maroc, et qui est la plus importante, a commencé avec la promulgation de la loi 24-96 en 1997, relative à la poste et aux télécommunications qui a amorcé, pour la première fois, le processus de libéralisation des télécommunications au Maroc.

Dans ces différentes évolutions, il importe de noter l’influence de de l’international sur ce mouvement. En plus de toutes les conventions qu’il a signées dans le domaine des télécoms, notamment avec l’UIT, le Maroc a pleinement adhéré vers la fin de 1912, à la Convention Télégraphique de Saint Petersburg de 1875, telle que révisée à Lisbonne en 1908. Il a également adhéré à la Convention Radiotélégraphique Internationale de Berlin, le 25 février 1911 et à celle de 1982, relative au droit de la mer qui traite, entre autres, de la protection des câbles sous-marins et à l’Organisation Mondiale de Commerce (OMC) créée à Marrakech en 1994.

 Par Ahmed Benhmida, juriste.

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