jeudi , 26 décembre 2024

Entretien avec René Serres (*) sur la fiscalité à l’ère du numérique

La présente interview a été réalisée avec M. René Serres consultant télécom et TIC au sujet de la taxation à l’ère du digital. Nous tenons à le remercier sincèrement pour cette contribution qui va probablement éclairer la lanterne de nos chers lecteurs, en ce qui concerne la thématique traitée.

1-Question de Lte magazine : Aujourd’hui, dans certains pays comme la France, on applique une taxe déclarative sur le chiffre d’affaires des géants du numérique, sans que ces entreprises soient présentes sur le sol français. A ce titre, la France a encaissé 375 millions d’euros au titre de l’année 2020. Question : Taxer une entreprise sur son chiffre d’affaires qu’elle réalise via internet dans un pays, même si elle n’y a pas son siège, est-il conforme au droit fiscal français, si on prend ce pays comme exemple ?

Réponse de M. René Serres : En France, la notion d’établissement stable est très importante en droit français, ainsi que dans les conventions fiscales internationales, et ce, dans la mesure où elle est déterminante dans l’optique du rattachement d’une activité économique au territoire français et, par la même, en ce qui concerne l’imposition de cette activité économique dans ce pays. Le droit fiscal français semble justement évoluer, en parallèle, avec la loi du 24 juillet 2019, relative à la taxation des géants du numériques. Pour mémoire précisons que la notion d’établissement stable en droit fiscal est déterminante car il signifie le rattachement d’une activité économique au territoire d’un pays donné, par la même, de l’imposition de cette activité économique dans ce pays.

Mais il y a lieu de rappeler que dans le pays de Molière on a déjà taxé, par le passé, les radios de Monaco et de Luxembourg, qui diffusaient de la publicité aux populations résidant en France, mais dans les zones frontalières limitrophes avec ces pays, sans que ces radios aient de siège social en France.

2- Question de Lte magazine : De nos jours, les réseaux sociaux sont des lieux où l’on peut acheter ou vendre des produits ou des services. Certaines de ces transactions se font d’une manière informelle. D’après vous, que doit-on ou peut-on faire pour régulariser fiscalement ces transactions ?

Réponse de M. René Serres : Normalement, quand une personne physique réalise des revenus sur internet, en vendant des biens ou des services, elle doit mentionner les revenus générés par ces transactions dans la déclaration d’impôts. Par contre, s’il s’agit d’une entreprise, qui commercialise des biens ou des services dans l’objectif de réaliser des revenus en ligne, les revenus générés sont imposables et doivent apparaître dans la déclaration annuelle.

3- Question de Lte magazine : Dans le domaine des télécoms, on évoque souvent la non application de la double imposition entre entreprises, dans le cas où il existe une convention entre deux pays concernés. Question : quelle est la portée de la non double imposition ?  C’est-à-dire comment elle pourrait être mise en jeu dans la pratique ?

Réponse de M. René Serres : Le principe de la non double imposition est prévu par les conventions signées par deux pays dans un cadre bilatéral, comme par exemple entre la France et le Maroc, ou par plusieurs pays dans un cadre multilatéral cette fois-ci, comme par exemple l’UMA.

L’objectif de ces conventions est d’éviter d’appliquer doublement un impôt sur les revenus générés par les entreprises. C’est-à-dire dans le pays où réside l’entreprise et dans le pays où la prestation est fournie.  Dans la pratique, une entreprise étrangère appartenant à un pays A qui réalise une prestation dans un pays B, obtient de la part de ce dernier pays un crédit d’impôt au titre de la retenue à la source. Ce crédit sera retranché des impôts à payer au pays A de la part de l’entreprise, conformément à la convention mentionnée. La retenue à la source représente généralement un pourcentage de l’IS (au Maroc, par exemple, la retenue à la source se situe de 10% de l’IS). La non double imposition est par exemple appliquée sur les revenus du roaming, en utilisant le principe de la retenue à la source.

4- Question de Lte magazine :  l’OCDE a récemment pris une décision pour fixer le minimum de l’Impôt sur les sociétés (IS) à 15%. Pensez-vous que c’est suffisant pour lutter contre les paradis fiscaux ? Car, comme on sait, on peut favoriser les paradis fiscaux par d’autres impôts et taxes tels que les taxes locales ou les autres avantages ?

Réponse de M. René Serres : Oui C’est une question très importante. L’OCDE est un cadre multilatéral où les négociations sont parfois très dures. C’est vrai qu’on peut faire beaucoup de choses pour éviter les divers paradis fiscaux. Il y a plusieurs dossiers à l’OCDE à ce sujet, mais certains pays, notamment les USA, ne pouvaient aller plus loin. Le président Joe Biden a concédé difficilement cet impôt minimum de 15% l’IS. Pour mémoire, rappelons que l’impôt sur les sociétés est de 34 % en Belgique, contre 12,5 % en Irlande, où il descend même à 10 % dans les zones franches. C’est pourquoi certaines grandes multinationales s’installent en Irlande. Chose qui semble avoir dissuadé Trump d’obtempérer à cet impôt minimum de 15%. D’ailleurs, on discute toujours à l’OCDE de l’instauration d’une taxe sur les géants de l’internet. D’ailleurs, la France a adopté la loi du 24 juillet instaurant la taxe numérique, en attendant la décision de l’OCDE. La France entreprendra d’annuler cette loi, une fois que cette organisation aura pris une décision à ce sujet.

Donc la taxe française GAFA ne sera applicable que sur une base temporaire et sera supprimée une fois qu’une approche internationale à l’OCDE, en matière de taxation des services numériques, sera mise en place. A ce sujet, notons que pour des raisons liées à des intérêts économiques, certains pays, comme l’Irlande et le Luxembourg, rejettent l’idée de taxation des activités numériques à l’échelle européenne.

5- Question de Lte magazine :   La TVA est aussi appliquée à toutes les transactions purement financières. Pourquoi les transferts vers Les compte spéciaux, ouverts au ministère chargé des finances au Maroc, sont-ils exonérés de cette taxe ? Par exemple, c’est le cas des contributions des opérateurs télécoms marocains au Fond du service universel, lequel est retracé dans un compte spécial.

Réponse de M. René Serres : A première vue, il semble que les versements au titre du service universel ne seraient pas effectués en contrepartie d’une prestation rendue par les opérateurs télécoms, et donc le fait générateur à l’origine du paiement de la TVA, n’existe pas. Je pense que pour le cas des versements au compte de l’ANRT (Agence Nationale de Réglementation des Télécoms), ils sont assujettis à la TVA, puisqu’ils rémunèrent une prestation, notamment celle de la production des normes par l’ANRT (normalisation), en plus de et la formation. Pour les autres, ils sont considérés comme des versements, sachant que ce type de mouvement assujetti au paiement de la TVA. Autrement, quelqu’un qui aurait envoyé de l’argent à une autre personne, doit acquitter la TVA dessus. Le paiement de cette taxe est intimement lié à l’existence d’une production, d’une prestation, et donc d’un fait générateur.

6- Question de Lte magazine : Que peut-on dire, en général, sur la fiscalité à l’ère du numérique ? :

Réponse de M. René Serres :  Mais disons en somme qu’à part le fait que certaines activités sur l’internet échappent actuellement aux impôts et aux taxes, le numérique ne représente que des bienfaits pour l’Administration fiscale dans les pays où l’on a réalisé des progrès dans la numérisation de l’économie.

Aujourd’hui, si on prend le Maroc comme exemple, tous les impôts et taxes sont payés sur internet. D’ailleurs, la Direction Générale des Impôts au Maroc a bien amélioré le niveau de recouvrement des créances fiscales, grâce au numérique (source le rapport d’activité de la direction des impôts au Maroc : https://www.finances.gov.ma/Publication/dgi/2021/Fr-Rapport-activiteDG2020.pdf.).

Lte magazine : Merci beaucoup M. René Serres.

 

(*) : René Serres est consultant télécom et TIC

Cet interview est réalisé en exclusivité avec Lte magazine.

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