Entretien avec Mme Hajar Mousannif (1), Dr, Ing Associate Professor – Computer Science Department Faculty of Sciences Semlalia Cadi Ayyad University, Marrakech.
On remercie beaucoup Mme Hajar Mousannif, d’avoir bien accepté de nous consacrer le présent entretien en dépit de son agenda très chargé.
Questions adressées à Mme Hajar Mousannif (2):
1-parmi toutes les définitions de l’IA qu’on peut trouver, donnez-nous celle qui a retenu votre attention et que vous aimez citer dans vos conférences sur l’IA.
Il y a plusieurs définitions de l’IA, mais elles s’articulent toutes autour de la capacité d’une machine à imiter, ou aller au-delà même, d’un comportement humain intelligent.
2-Quelles sont les différentes technologies qui existent dans le domaine de l’IA ?
L’IA peut être réalisée de nombreuses façons :
L’apprentissage automatique (Machine Learning en anglais) est un sous-domaine de l’Intelligence Artificielle. Le principe est de reproduire un comportement capable d’apprendre à partir d’exemples (ou expériences passées) à résoudre les problèmes. Par exemple, pour identifier un objet simple tel qu’une gomme ou un stylo, nous montrons à la machine plusieurs images contenant ces objets et c’est à la machine de définir les étapes nécessaire pour leur identification, au lieu de lui spécifier explicitement les détails et les coder.
Le Traitement du langage naturel (NLP): est défini de manière générale comme la manipulation automatique du langage naturel, comme la parole et le texte, par logiciel. L’un des exemples les plus connus est la détection du courrier indésirable.
c) La Vision par ordinateur (Computer Vision): C’est un champ de l’IA qui permet aux machines de voir. La vision artificielle capture et analyse des informations visuelles à l’aide d’une caméra et de techniques de traitement de signal.d) La Robotique: Il s’agit d’un domaine de l’IA et de l’ingénierie axé sur la conception et la fabrication de robots capable d’effectuer des tâches difficiles à exécuter (ou à exécuter de manière cohérente) par l’homme.
3-Quels sont les langages de programmation les plus utilisés dans l’IA ?
Les langages les plus couramment utilisées pour réaliser les projets d’intelligence artificielle sont Python et R. Python et R nécessite moins de temps de développement comparé à d’autres langages tels que Java, C ++ ou Ruby et contiennent un certain nombre de librairies facilitant l’implémentation d’algorithmes d’apprentissage automatique. D’autres langages tel que LISP et Prolog sont aussi adaptés au développement en IA et sont connus pour leurs excellentes capacités de prototypage.
4-Est-ce que la recherche dans l’IA nécessite beaucoup d’investissement ?
On n’a pas besoin de matériel couteux pour travailler sur l’IA. Il suffit de développer les bons algorithmes et traiter les informations de manière appropriée. Le matériel (processeurs, calculateurs, ou même super-calculateurs) déjà présent, du logiciel à la mesure de ce matériel resterait à développer. Si nous investissons massivement dans la programmation et dans l’IA, nous serons bien positionnés.
5-Est-ce que l’Afrique a une chance de prendre le train de la recherche dans l’IA ?
L’Afrique est le continent qui a le plus besoin d’IA, à mon avis. Tous les algorithmes d’IA qui ont été développées par l’occident, voitures autonomes, robots humanoïdes, etc, répondent aux problématiques de celui-ci ; des technologies relevant parfois de la fiction dans un contient Africain qui a ses propres problèmes et dont les solutions ne seraient pas forcément aussi sophistiquées de point de vue technologique, mais nécessitant des IA adaptées à son contexte. Je crois qu’en tant que communauté scientifique, nous pourrions avancer dans l’IA plus rapidement si nous nous intéressons aux problèmes propres à l’Afrique : Education, santé, sécurité alimentaire, équité sociale etc
6-Quels sont les compétences nécessaires pour réussir dans la recherche dans l’IA notamment au Maroc?
Les compétences nécessaires pour réussir dans la recherche dans l’IA sont ceux de la gestion des données, la sécurité des données, la science des données et l’analytique.
7-On sait que vous avez déjà enregistré deux brevets dans le domaine de l’IA et un troisième en cours de finalisation. Pouvez-vous nous présenter brièvement juste de vos deux brevets déjà enregistrés ?
Notre premier brevet consiste en un système de reconnaissance des émotions via les terminaux mobiles. Le système permet d’identifier les sentiments et humeurs de son utilisateur, afin de lui envoyer des contenus multimédias et messages personnalisés, adaptés à son moral. Le terminal mobile collecte des données liées aux expressions du visage, à la tonalité de la voix, aux textes entrants et sortants, ainsi qu’à la localisation (hôpital, salle de fêtes, cimetière…) pour sortir avec une décision sur l’état émotionnel de l’utilisateur et le soutenir émotionnellement.
Le deuxième brevet est un système capable de surveiller de façon continue et transparente les différents indicateurs de performance d’apprentissage des étudiants, de les traiter et de fournir une vue détaillée sur l’état de compréhension des étudiants. Ainsi, les enseignants peuvent adapter leurs approches de façon continue durant une session aux besoins immédiats de leurs étudiants. Le système utilise des objets intelligents connectés embarqués dans les tables de la classe. Chaque objet intelligent possède des périphériques de vision, de détection et de communication lui permettant de surveiller, de manière non intrusive, divers indicateurs faciaux, corporels et environnementaux liés aux étudiants et à leurs environnements d’apprentissage. Ces indicateurs sont alors utilisés pour construire un modèle prédictif des performances d’apprentissage des étudiants.
8-Que pensez-vous de la question concernant l’impact de l’IA sur l’emploi des cols blancs ?
On pourrait penser que l’intelligence artificielle va augmenter la croissance en se substituant aux hommes, mais en fait beaucoup de valeur va venir des nouveaux biens, services et innovations qui seront rendus possibles grâce à l’intelligence artificielle. L’automatisation du travail et l’intelligence artificielle ne feront pas disparaître les emplois mais bouleverseront le marché du travail. La formation ou la requalification des salariés sera cruciale pour s’adapter à un nouveau besoin de compétences et soutenir la compétitivité des entreprises.
L’émergence des « cols neufs », de nouveaux « emplois de compétence moyenne », à mi-chemin entre « col bleu » et « col blanc », pourrait largement redéfinir la main-d’œuvre dans tous les secteurs et former la prochaine classe moyenne.
9-On parle aussi de la singularité ou de la conscience artificielle dans divers articles. Que pensez-vous de ce sujet ?
Il y a actuellement des systèmes IA qui détectent lorsqu’un opérateur humain tente de modifier leur façon d’opérer et font tout pour mettre à défaut cette intervention et la rejeter. Cette « prise de conscience » de l’IA dépend de la complexité du système et son capacité à prendre des décisions. La question qui devient alors évidente est : « Est-ce que l’IA doit rester sous contrôle et maîtrise de l’Homme ou bien peut-on supporter « d’encaisser » des décisions algorithmiques impossibles à auditer et pouvant échapper à la logique humaine ? ». Il y a un risque évident que l’IA échappe au contrôle et que personne ne soit capable d’expliquer comment un système est parvenu à une décision. A mon avis, des règles pour fixer des limites à l’autonomie des intelligences artificielles sont à établir en priorité surtout dans les applications IA où la vie humaine pourrait être mise en péril.
10-Enfin et à votre avis peut-on réguler l’IA et est-ce que les nations seront assez forts pour mettre en place une éthique pour l’IA ?
L’IA soulève plusieurs problématiques d’ordre éthique qu’il faut bien cerner pour assurer son bon usage. En effet, qui sera responsable quand la voiture autonome aura un accident? Les algorithmes/robots auront-ils une personnalité juridique ? Quel est l’impact des systèmes prédictifs sur les libertés individuelles et sur la vie privée ? Y aura-t-il des répercussions sur les capacités de socialisation de l’utilisateur? L’IA est malheureusement aussi une course vers le business, l’argent et le pouvoir ! Cathy O’Neil, une mathématicienne et ancienne d’Harvard, a dit: “Les algorithmes peuvent faire du mal, les algorithmes peuvent mentir. Facebook est optimisé pour faire du profit, pas pour dire la vérité”.
La définition d’un code éthique pour réguler l’IA n’est donc plus un choix à mon avis mais une nécessité !
Hajar Mousannif est professeur au Département d’Informatique et coordonnatrice du Master « Data Science » à la Faculté des Sciences Semlalia (Université Cadi Ayyad, Maroc). Elle est titulaire d’un Doctorat National et d’un Diplôme d’Ingénieur d’Etat en Informatique. Ses intérêts de recherche portent sur l’Intelligence Artificielle, les Big Data, l’Apprentissage Automatique, les Objets Connectés (IoT) et les technologies innovantes de prochaine génération. Elle est auteur de plusieurs publications scientifiques portant sur ces technologies. Elle a reçu plusieurs prix et distinctions, notamment le Prix l’Oréal-UNESCO : « For Women In Science », et le « Emerald Literati Prize for Excellence». Elle est membre des comités de programme et scientifique de plusieurs conférences internationales. Hajar Mousannif détient deux Brevets d’Invention pour ses recherches en Intelligence artificielle.
: Entretien réalisé en français par Ahmed Khaouja pour Lte magazine.
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