Mohammed Daoud qui est Professeur de physique théorique et coordonnateur national du Réseau Marocain des Recherches en Informatique Quantique (*), a accordé récemment un entretien à Lte Magazine (Khaouja) sur l’actualité concernant l’ordinateur quantique. Notons que le Professeur Mohammed Daoud a déjà accordé en 2021 un entretien sur l’informatique quantique en 2021 : voir lien https://lte.ma/entretien-avec-m-mohammed-daoud-expert-en-informatique-quantique/
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Où on est en ce qui concerne l’exploitation des ordinateurs quantiques ?
Un ordinateur quantique utiliserait des qubits et différents types de ces briques élémentaires sont en cours de réalisation dans les laboratoires dédiés à cet effet. On peut citer les qubits supraconducteurs, les ions piégés ou les particules élémentaires comme le photon. Les qubits photoniques qui sont très prometteurs dans le domaine des technologies quantiques. Toutefois, il est indispensable de noter que le terme ordinateur quantique est utilisé de façon inappropriée lorsqu’il s’agit d’introduire le langage de l’information quantique auprès du grand public. Les spécialistes préfèrent parler de processeur quantique. En effet, lors d’un calcul quantique, un processeur classique est toujours indispensable pour accompagner le processeur quantique pour effectuer toutes les opérations de calcul. Pour coordonner le fonctionnement de chacun de ces différents équipements (qui constituent le matériel ou hardware) et de les synchroniser, un logiciel embarqué est nécessaire. Ce logiciel correspond au système d’exploitation du processeur quantique. A l’heure actuelle, l’implémentation des processeurs quantiques est encore à ses débuts et il faudrait quelques années pour s’affranchir des entraves techniques actuelles pour maitriser et contrôler les systèmes microscopiques. Le défi est essentiellement technique. Les processeurs quantiques actuels requirent des températures proches du zéro absolu. Les processeurs quantiques sont encore au stade exploratoire et des solutions commerçables ne sont pas encore disponible. Malgré ces difficultés, nous assistons à une véritable montée en puissance des recherches dans ce domaine avec un accroissement des montants publics et privés investis dans différents programmes de recherches. L’ordinateur quantique ne remplacera pas dans l’immédiat l’ordinateur personnel ou le Smartphone, les premiers clients seront certainement les gouvernements et les grandes entreprises.
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Après le succès de la transmission de photons intriqués sur 144 Km entre Tenerifee et las palmas aux iles Canaries, pensez qu’un jour on utilisera le quantique pour faire des télécommunications ?
Les communications quantiques offrent un potentiel très fascinant pour sécuriser mieux les échanges d’informations et rendre les réseaux plus efficaces. Le codage de l’information dans les états quantiques de la lumière (photons) ou de la matière (ions) est à la base du développement de plus en rapide de cette nouvelle application de la physique quantique. Il offre un outil de sécurité inconditionnelle et une perspective d’inviolabilité comparée aux méthodes de cryptographie classique. En cryptographie quantique, les photons sont utilisés comme qubits pour la transmission de l’information codée dans leurs polarisations. La mécanique quantique interdit le clonage des états quantiques et rend impossible toute tentative d’interception malveillante qui serait immédiatement détectée. Les lois de la mécanique quantique garantissent de ce fait l’inviolabilité des communications de l’information codée dans les états quantiques. La distribution des bits quantiques offre une alternative très prometteuse pour sécuriser les communications. C’est dans cette optique que les scientifiques travaillant sur les communications quantiques cherchent à développer des protocoles d’échanges de données codées dans des particules quantiques en exploitant les ressources quantiques de ces particules comme l’intrication. En d’autres termes, il s’agit de transmettre de l’information codée dans des photons plutôt qu’utiliser des ondes électromagnétiques. Les premières réalisations des communications quantiques ont été mises au point par Anton Les Zeilinger et son groupe (A. Zeilinger a obtenu le prix Nobel de Physique en 2022). Il s’agissait d’expériences portant sur la distribution de l’intrication entre photons sur de grandes distances. Ces expériences ont été conduites à l’air libre et par fibre optique à Vienne. Ensuite, dans le cadre d’une collaboration européenne, Zeilinger et ses collègues ont réussi des protocoles de communications quantiques sur une distance de 144 Km entre deux îles Canaries. Maintenant, la communauté scientifique est unanime que les communications quantiques seraient le premier champ d’application des récentes avancées expérimentales au sujet la production et le contrôle des entités microscopiques individuelles (photons, ions ..). Récemment une nouvelle expérience a été réalisée par une équipe italienne. Il s’agit de l’extension de la communication quantique aux environnements spatiaux avec la première mise en œuvre expérimentale d’un schéma d’échange de photons uniques entre un satellite et une station terrestre. Des photons, émis par la station au sol, sont dirigées vers un satellite. Ceux-ci sont réfléchis par le satellite Ajisai, un satellite géodésique en orbite terrestre basse, dont l’orbite a une hauteur de périgée de 1485 km, et les photons transmis sont dirigés pour être détecter vers le télescope de l’Observatoire de télémétrie laser de Matera de l’Agence spatiale italienne. Pour des communications sur de longues distances, il est nécessaire de recourir à des relais et répéteurs sécurisés et exploiter les technologies satellitaires et fibres optiques pour assurer une sécurité maximale de l’information. Afin de se doter d’un outil nouvelle génération pour sécuriser l’information à l’ère du quantique, l’Europe compte lancer à la fin de 2025 ou au début de 2026, Eagle-1, un satellite de communications chiffrées par le biais de distribution de clés quantiques. Le programme d’exploitation de ce petit satellite d’orbite basse de 300 kg est de trois ans pour mettre en place un réseau européen de communications chiffrées sécurisé. C’est le premier projet européen qui utilise la QKD (quantum key distribution) pour connecter les institutions européennes entre elles. Il y a lieu de signaler que la maitrise du quantique est un enjeu technologique majeur en Europe et ailleurs. La chine est le premier pays à avoir lancé, en 2020, un satellite à communication quantique. Le lancement de ce satellite, baptisé Mozi, a montré que la faisabilité et la fiabilité des communications quantiques sur de longues distances. Générer, contrôler, stocker et transmettre de l’information quantique entre deux sites distants est un enjeu majeur dans le domaine des technologies des communications quantiques. Aussi, il faut développer des réseaux avec des forts débits et une longue portée sans pour autant négliger la robustesse face aux tentatives d’attaques. Les protocoles de cryptographie quantique comme par exemple le protocole développé par Bennett et Brassard en 1984 offre un schéma de sécurité inconditionnel. Des solutions hybrides entre les systèmes de télécoms classiques et la cryptographie quantique constituent également une perspective très prometteuse. Aussi, l’utilisation de la téléportation des états quantiques permet de réaliser des réseaux quantiques qui remplaceraient les réseaux classiques. Plusieurs recherches sont dédiés à ces questions avec un accent particulier sur la viabilité économique de ces technologies, nécessaires pour une application large et pratique comme EuroQCI (Établissement des infrastructures de communications quantiques en Europe ; 2020-2024), OPENQKD (Test de la distribution quantique de clés au niveau européen ; 2019-2022) et QOSAC (Recherches et développements en cryptographie quantique dans le cadre de l’Euro-QCI ; en cours). Nul doute les avantages de la communication quantique sont nombreux, mais beaucoup de défis restent à vaincre en distance et en débit et aussi il faut réussir la miniaturisation des dispositifs nécessaires pour une adoption commerciale à large échelle. Il est certain que les communications quantiques constituent un champ avec un fort potentiel d’applications des protocoles quantiques tels que la quantum key distribution ou la téléportation quantique. Les résultats déjà obtenus dans les laboratoires de recherches constituent une base solide et très encourageante pour l’avenir des réseaux de communications quantiques et de la sécurité de l’information quantique.
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Est-ce que c’est possible d’avoir des appareils domestiques ou Smartphone qui utilisent les nouvelles technologies quantiques ?
Parfois le grand public ignore que sans la physique quantique, les progrès réalisés dans beaucoup de domaines comme le traitement des donnés, les outils de calcul classiques de modélisation et simulation n’auraient jamais été possibles. Faut-il rappeler que c’est grâce à la mécanique quantique que le laser a été inventé. Le transistor n’aurait jamais pu voir le jour sans une compréhension très profonde des semi-conducteurs. La manipulation de grandes quantités d’électrons dans les semi-conducteurs a permis de développer toute l’électronique et les moyens de calcul modernes. C’est pour dire à travers ces quelques exemples que la physique quantique a déjà réussis par le passé de nous fournir la voie vers des technologies qui ont impacté de façon notable notre vie. Les ordinateurs, les Smartphones que nous utilisons quotidiennement sont peuplés par des millions de transistors. La maîtrise des flux de photons produits par des lasers a abouti à la photonique et aux infrastructures de communication actuelles. Les fibres optiques en sont un très bon exemple. Grâce à la physique quantique, nous avons atteint des degrés de précision que l’on ne pouvait pas atteindre avec les outils de mesure classiques. Les horloges atomiques qui jouent avec les électrons de certains atomes donnent les références de temps les plus stables qui existent. La résonance magnétique nucléaire qui est très utilisée en médecine contemporaine utilise les moments magnétiques des noyaux des atomes qui constituent nos corps. Le développement de l’informatique n’aurait jamais été possible sans la physique quantique (composantes électroniques des ordinateurs). La physique quantique a déjà abouti à des réalisations technologiques qui ont profondément bouleversé le XXe siècle, avec les inventions suscitées tels que le transistor, le laser, les horloges atomiques ou encore la diode ou le GPS.
Aujourd’hui, les récentes réalisations expérimentales, concernant la production et le contrôle de particules quantiques individuelles (photons et ions) et la possibilité de générer des systèmes quantiques intriqués, se sont accompagnées de promesses d’un véritable bond scientifique et sociétal. Parfois, il est très difficile de vérifier toutes les annonces rapportées au sujet des réalisations dans ce domaine très pointu. Il faut avouer que les chercheurs dans le domaine de l’information quantique ne sont pas unanimes sur le degré de maturité de l’informatique quantique et des technologies novelle génération du quantique. Il est communément admis chez les scientifiques que même si on n’arrive pas à fabriquer un ordinateur quantique entièrement opérationnel dans les prochaines années, les avancées technologiques qui sont entrain de se réaliser changeront inéluctablement la façon de traiter de l’information. C’est un domaine qui évolue de façon très rapide. Il existe de nombreuses applications autres que l’ordinateur quantique comme par exemple la simulation quantique qui consiste à simuler la réactivité de certaines molécules à l’aide de processeurs quantiques. Ceci aura d’énormes applications pour l’industrie pharmaceutique et la synthèse de nouveaux médicaments. Il y a aussi le domaine de la métrologie quantique qui emploie l’intrication quantique pour atteindre des degrés de précision inaccessibles avec des outils de mesure classique. La cryptographie quantique constitue aussi une avancée majeure dans le domaine de l’information quantique.
(*) : Mohammed Daoud est professeur de physique théorique au département de physique de la faculté des sciences de l’Université Ibn Tofail (Kenitra-Maroc). Il est aussi le coordonnateur national du Réseau Marocain de Recherches-Information Quantique et vice-président de la Société Marocaine de Physique Mathématique. Ses travaux récents portent sur les aspects mathématiques et physiques de l’information quantique. Mohammed Daoud a été élu, en 2009, membre associé régulier au centre International de Physique Théorique (ICTP-Trieste-Italie) et a été nommé, en 2012 et puis en 2017 par le ministre de l’enseignement supérieur, expert au Centre National de la Recherche Scientifique et Technique. Il a été invité comme chercheur, professeur ou membre associé par plusieurs universités ou centres de recherches à l’étranger. Mohammed Daoud est membre de plusieurs comités d’experts scientifiques (CNRST-Maroc, CONICYT-Chile, CNCS-Roumanie). Il est membre éditeur et rapporteur pour le compte de nombreux journaux internationaux de physique théorique, physique mathématique et physique quantique.