jeudi , 26 décembre 2024

Entretien avec M. Mario MANIEWICZ, directeur de l’UIT-R

On remercie beaucoup M. Mario MANIEWICZ, Directeur du Bureau des radiocommunications de l’UIT, brillamment élu à la conférence plénipotentiaire de l’UIT de Dubaï en 2018, d’avoir bien accepté de nous consacrer le présent entretien en dépit de son agenda chargé.

Questions adressées à M. Mario MANIEWICZ, Directeur du Bureau des radiocommunications de l’UIT.

1) À la veille de la Conférence mondiale des radiocommunications (CMR-19), qui aura lieu du 28 octobre au 22 novembre 2019 à Charm el-Cheikh, en Égypte, quelles questions seront selon vous au cœur de cette Conférence, M. Mario MANIEWICZ?

          De nombreuses questions clés sont à l’ordre du jour de la CMR-19. Parmi les questions prédominantes, on peut citer celles qui ont des répercussions sur la connectivité large bande des personnes et des objets, comme par exemple les télécommunications mobiles internationales (IMT), la 5G, les stations placées sur des plates-formes à haute altitude (HAPS), les systèmes à satellites non géostationnaires et les applications utilisant des petits satellites.

2) Comment le processus a-t-il été initié en amont des travaux préparatoires à la CMR-19 pour tenir compte des intérêts de tous les acteurs impliqués ?

          Les travaux préparatoires en vue des CMR s’étendent sur quatre ans, avec la participation des États Membres de l’UIT, des Membres du Secteur de l’UIT-R, des Associés et des établissements universitaires, et ils sont coordonnés aux niveaux national, régional et interrégional.

          Au sein des Commissions d’études de l’UIT-R, les experts techniques qui travaillent sur les services de radiocommunication visés par un point précis de l’ordre du jour mènent des études de partage et de compatibilité pour déterminer si et comment les nouvelles attributions de fréquences peuvent protéger l’exploitation des services de radiocommunication existants.

          Les résultats de ces études sont résumés et présentés, accompagnés de textes sur les questions techniques, réglementaires et de procédure, dans un rapport soumis à la CMR (le rapport de la Réunion de préparation à la Conférence).

          Dans le même temps, les organisations régionales examinent les propositions de leurs États membres et s’accordent sur les propositions régionales qu’elles soumettent à la CMR pour examen. Les États Membres de l’UIT peuvent également soumettre des propositions par pays ou par groupe de pays.

3) Compte tenu de la rapidité du développement technologique et des objectifs de connectivité ubiquitaire, quelles exigences générales en matière de spectre radioélectrique permettraient de satisfaire à ces objectifs pour les vingt prochaines années?

          Les décisions de la CMR sont destinées à s’inscrire dans la durée. En outre, chaque CMR définit le projet d’ordre du jour et l’ordre du jour préliminaire, respectivement, des deux CMR suivantes, pour faire en sorte que le Règlement des radiocommunications soit suffisamment stable. Les CMR, par leur processus et leur approche, maintiennent un cadre réglementaire stable, prévisible et applicable universellement, qui garantit les investissements à long terme dans tous les types de systèmes de radiocommunication exploités aussi bien par le secteur public que par le secteur privé.

          Les décisions tiennent compte des évolutions et des tendances technologiques de tous les services de radiocommunication, des besoins des citoyens et des améliorations technologiques qui permettent une utilisation efficace du spectre radioélectrique.

          D’autres facteurs sont également pris en compte, notamment: l’importance relative du service sur les plans sociétal et économique (par exemple, s’il est lié à la sécurité de la vie humaine); les répercussions du nouveau service sur l’utilisation actuelle et future de la bande de fréquences proposée; les impératifs des pouvoirs publics en matière de services de sécurité nationale, aéronautiques, maritimes et scientifiques; la nécessité pour un service de radiocommunication d’utiliser des parties spécifiques du spectre qui offrent des conditions de propagation uniques; la compatibilité avec les autres services fonctionnant dans les bandes de fréquences sélectionnées et en dehors de celles-ci; et la quantité de spectre nécessaire pour chaque service.

4) Pour le déploiement des réseaux mobiles de cinquième génération (5G), outre les bandes de fréquences qui ont déjà été identifiées et fixées par la CMR-15, la CMR-19 devra identifier des bandes de fréquences au-dessus de 24 GHz (24,5-86 GHz). Selon vous, comment la CMR-19 pourrait-elle facilement parvenir à identifier des bandes harmonisées à l’échelle mondiale pour la 5G ?

          Dans le cadre de la CMR, des représentants de gouvernements, des régulateurs ainsi que d’autres parties prenantes se réuniront pour examiner les parties pertinentes du Règlement des radiocommunications et pour s’engager à respecter les modifications apportées à ce traité international.

          Les décisions tiendront compte des résultats des études de partage et de compatibilité menées par les Commissions d’études de l’UIT-R, ainsi que des besoins des utilisateurs actuels et des futurs utilisateurs potentiels des fréquences radioélectriques à l’examen. Ces études tiennent compte des caractéristiques techniques de tous les systèmes concernés et déterminent ce qui est faisable sur les plans technique et/ou économique.

          Les CMR, par leur processus fiable et stable, visent à dégager des consensus; à veiller à ce que lorsque leurs décisions sont appliquées aux niveaux mondial et national, les ressources que sont le spectre radioélectrique et les orbites continuent d’être utilisées de manière rationnelle, efficace et économique; et à faire en sorte que les stations de radiocommunication, quel que soit leur objet, puissent être établies et exploitées de manière à ne pas causer de brouillages préjudiciables aux services de radiocommunication des autres administrations.

5) La CMR-19 est la première Conférence qui traitera la question des attributions de bandes de fréquences pour tous les types de transport: maritime (sécurité en mer, etc.), aérien (suivi des vols à l’échelle mondiale, etc.), ferroviaire et voitures connectées. Concernant ces quatre modes de transport, sera-t-il aisé de parvenir à un consensus? Cherchera-t-on à identifier des bandes de fréquences harmonisées à l’échelle mondiale? Sera-t-il aisé d’y parvenir pendant la Conférence?

          Depuis la première Convention radiotélégraphique, qui a été adoptée en 1906, les communications maritimes et les communications terre/mer sont examinées. Il n’en ira pas différemment pour la CMR-19.

          La CMR-19 envisagera de prendre des mesures pour faciliter l’identification, dans les bandes de fréquences actuellement attribuées au service mobile, de bandes de fréquences harmonisées à l’échelle mondiale ou régionale pour les systèmes de radiocommunication ferroviaires train/voie ainsi que de bandes de fréquences pour favoriser la mise en œuvre de systèmes de transport intelligents (ITS). Ces défis ne sont pas nouveaux. La CMR‑15 a pris des décisions analogues concernant le suivi des vols à l’échelle mondiale, qui est aujourd’hui déployé dans le monde entier grâce à l’utilisation des satellites.

6) Au cours des réunions de préparation en vue de la CMR-19, certains experts ont évoqué la possibilité d’harmoniser, dans le cadre de la Conférence, l’utilisation de la bande de fréquences des 26 GHz pour la 5G à l’échelle mondiale. Qu’en pensez-vous?

          Les études de partage et de compatibilité menées par les Commissions d’études de l’UIT-R incluent la bande de fréquences des 26 GHz.

          Les groupes régionaux se sont dits favorables à la prise en considération des études dans la bande de fréquences des 26 GHz. Néanmoins, d’autres bandes de fréquences ont été étudiées de manière détaillée pour les futures applications mobiles. Il incombe à la CMR de prendre des décisions concernant cette bande de fréquences et les autres bandes de fréquences envisagées pour la 5G.

7) Certains pays encouragent l’utilisation à l’échelle mondiale de fréquences libres, telles que les bandes ISM (utilisables par les applications industrielles, scientifiques et médicales) et, dans cette optique, ils souhaitent que davantage de bandes de fréquences ne nécessitant pas de licence puissent être utilisées par un plus grand nombre de technologies. Que pensez-vous de ce souhait, notamment compte tenu du fait qu’un point de l’ordre du jour de la CMR-19 est consacré à l’Internet des objets?

          La CMR ne prend pas de décisions relatives à l’octroi de licences. Toutefois, elle peut définir les conditions techniques devant être imposées à l’utilisation de certaines bandes de fréquences pour garantir le partage et la compatibilité avec d’autres services.

          La CMR peut décider d’attribuer des fréquences à un service de radiocommunication à titre secondaire, ce qui nécessite alors que les applications de ce service fonctionnent de manière à ne pas causer de brouillages aux services auxquels les bandes de fréquences sont attribuées à titre primaire, et qu’elles ne demandent pas de protection contre les brouillages causés par ces autres services.

8)       Les bandes de fréquences dites « espaces blancs » constituent une ressource spectrale importante pour la connectivité large bande. Le traitement de ces bandes relève-t-il uniquement de la politique intérieure des pays, ou l’UIT dispose-t-elle également d’un droit de regard sur le déploiement des systèmes qui exploitent ces espaces blancs?

          L’utilisation des bandes dites « espaces blancs » relève de la compétence nationale, mais ces systèmes sont souvent mis en œuvre de manière à ne pas causer de brouillages aux autres services auxquels les bandes sont attribuées à titre primaire et à ne pas demander de protection vis-à-vis de ces services.

          Le Rapport UIT-R SM.2405-0, qui a été adopté en 2017, traite des questions et des difficultés qui se posent concernant les espaces blancs.

          Lors de la prise en considération des éléments techniques exposés dans le rapport en question, il faut tenir compte des décisions prises par la CMR-12 et la CMR-15, au titre desquelles la bande de fréquences 694-790 MHz a été attribuée au service mobile.

          De plus, par la Résolution 235 (CMR-15), l’UIT-R a été invité, après la CMR-19 et à temps pour la CMR-23, à: « examiner l’utilisation du spectre et à étudier les besoins de spectre des services existants dans la bande de fréquences 470-960 MHz en Région 1, en particulier les besoins de spectre du service de radiodiffusion et du service mobile, sauf mobile aéronautique, et à effectuer des études de partage et de compatibilité, selon le cas, dans la bande de fréquences 470-694 MHz en Région 1 entre le service de radiodiffusion et le service mobile, sauf mobile aéronautique, en tenant compte des études, des Recommandations et des Rapports pertinents de l’UIT-R ».

9)       Outre les questions à l’ordre du jour de la CMR-19, les pays du continent africain doivent plus que jamais renforcer leurs capacités sur le plan de la gestion du spectre. Comment l’UIT peut-elle aider l’Afrique à réduire la fracture en matière de gestion des fréquences: de la planification au contrôle, en passant par les assignations et la coordination?

          L’UIT s’emploie activement, à travers son Secteur du développement des télécommunications et ses bureaux régionaux, à fournir une assistance et un appui et à dispenser des formations en vue de renforcer les capacités dans le domaine de la gestion du spectre, et à offrir une assistance en matière technique et réglementaire pour la mise en œuvre des décisions de la CMR.

(*) : Entretien réalisé par Ahmed Khaouja.

LTE.ma 2024 - ISSN : 2458-6293 Powered By NESSMATECH