Dans cet entretien, accordé à M. Khaouja (Lte Magazine), M. Louis Naugès Directeur Général, DHASEL Innovation et co auteur du livre « Dirigeants, Acteurs de la Transformation Numérique », affirme que la transformation numérique offre des potentiels immédiats et constitue une urgence absolue pour tous les pays africains.
1-Vous êtes co-auteur d’un livre très intéressant et utile pour les entreprises sur la transformation numérique avec M. Dominique Mockly, PDG d’une entreprise industrielle française, ayant pour titre : « Dirigeants, Acteurs de la Transformation Numérique ». Pouvez-vous en quelques mots nous présenter ce livre publié chez Amazon en septembre 2018 ?
Réponse: J’accompagne depuis 2017 l’entreprise Teréga dans sa Transformation Numérique ; j’ai proposé à Dominique Mockly, son PDG, de co-écrire un livre avec moi pour aider des dirigeants comme lui à mieux comprendre les potentiels et les défis d’une Transformation Numérique.
Sans le soutien actif, sans la participation forte des dirigeants, aucun projet de Transformation Numérique ne peut réussir.
C’est, à ma connaissance, la première fois qu’un dirigeant et un spécialiste du numérique écrivent, à « quatre mains », un ouvrage sur ce thème.
Cet ouvrage a l’objectif, ambitieux, de devenir le « livre de chevet » des dirigeants sur ce thème de la Transformation Numérique. Il comprend dix chapitres, que l’on peut lire à la carte, autour de trois grandes parties :
– Les solutions numériques essentielles.
– Les nouvelles démarches.
– La gouvernance.
Le cloud constitue l’un des leviers importants de la transformation numérique. A cet effet vous avez toujours affirmé que le cloud public est plus sûr et présente plus de garanties en ce qui concerne la sécurité des données que les centres de calcul privés : pourquoi ?
Le monde des solutions informatiques et numériques connaît des vagues successives d’innovation. Le cloud computing c’est imposé sur la période 2007 – 2017, avec l’arrivée de trois ruptures fortes :
– Le IaaS, Infrastructures as a Service. Des géants industriels ont investi massivement dans des centres de calcul très puissants ; le coût moyen de ces centres de calcul modernes est de l’ordre d’un milliard de dollars. Aujourd’hui, à l’aube de l’année 2019, les jeux sont faits : quatre fournisseurs dominent ce marché au niveau mondial avec environ 90 % de part de marché :
– AWS, Amazon Web Services, le leader mondial.
– GCP : Google Cloud Platform.
– Azure de Microsoft.
– Allyun, du chinois Alibaba.
Les entreprises du monde entier, y compris en Afrique, peuvent utiliser ces ressources en les payant à l’usage, à l’heure ou à la seconde. Elles disposent ainsi des meilleures solutions du monde, à des prix très compétitifs, et qui baissent en permanence.
Les applications SaaS, Software as a Service. Ces applications, disponibles dans le Cloud, couvrent 99 % des besoins universels communs à toutes les entreprises : messagerie et bureautique, budgets, gestion des ressources humaines, fonctions commerciales..
L’offre SaaS mondiale est très riche, avec plus de 20 000 solutions disponibles ; ce sont pour l’essentiel des fournisseurs très spécialisés, « Best of Breed », venant de très nombreux pays.
Ces solutions SaaS permettent aux entreprises africaines de toute taille, publiques ou privées, de bénéficier immédiatement des meilleures applications du monde, à des prix très compétitifs.
Les plateformes de développement PaaS, Platform as a Service. Elles aussi disponibles dans le cloud public, ces outils très puissants permettent à des développeurs de logiciels, les « ingénieurs logiciels », de construire, sur mesure, des applications « cœur métier » spécifiques qui permettent aux entreprises de proposer des services innovants, porteurs de compétitivité et d’efficacité pour tous les citoyens et les clients externes.
IaaS, SaaS et PaaS sont indispensables pour qu’une organisation puisse réussir sa Transformation Numérique. Ne pas s’appuyer sur la puissance et la qualité de ces solutions cloud reviendrait à se déplacer en fiacre en 2019 !
Les opposants du cloud public essaient de faire peur aux entreprises en disant que ces solutions ne sont pas sûres et que la confidentialité des données n’est pas garantie. Rien n’est plus faux ! Google, Amazon et les autres emploient chacun entre 500 et 1 000 spécialistes de la sécurité, parmi les meilleurs du monde. Croire que ses données sont mieux protégées dans son petit centre de calcul privé, c’est croire que l’argent caché sous son matelas est plus en sécurité que dans les coffres d’une banque centrale.
La vague d’innovation majeure qui suit celle du cloud est celle de l’Intelligence Artificielle (IA), avec comme principal composant les outils de « Machine Learning ». Elle a commencé en 2018 et sera banalisée en 2025. Il est impossible de mettre en œuvre des solutions d’IA sans s’appuyer sur le cloud public qui fournit les puissances de calcul et les capacités de stockage « sans limites » dont à besoin l’IA.
Les entreprises, européennes ou africaines, qui n’auront pas déployé des solutions de cloud public seront dans l’incapacité de profiter des avancées de l’IA. Elles seront condamnées à perdre les deux batailles essentielles du numérique, le cloud et l’IA. Il y a donc une urgence absolue à mettre en œuvre immédiatement les solutions du cloud si l’on veut rester dans la course de la performance économique mondiale.
2-Quels rôles peuvent jouer les télécoms dans une Transformation Numérique ?
Réponse: La disponibilité universelle de réseaux sans fil à haut débit, 3G, 4G, WiFi et bientôt 5G est une condition indispensable au succès de toute Transformation Numérique. La bonne, l’excellente nouvelle, c’est que ces réseaux sont maintenant disponibles dans beaucoup de pays africains et que la couverture des territoires est de plus en plus étendue.
Il existe encore de nombreuses « zones blanches » en Afrique. Une nouvelle famille de solutions de télécommunications va accroître les possibilités de se connecter au cloud et faire disparaître toutes ces zones blanches. D’ici à 2021, des nouvelles générations de micro-satellites vont se déployer, par dizaines de milliers. Ces satellites, à basse altitude, entre 1 000 et 3 000 km, à très faible latence, fourniront une couverture à 100 % de la terre, avec des vitesses minimales de 100 Mb/s. OneWeb, SpaceX ou Google sont trois des fournisseurs de ces nouveaux réseaux. Les pays africains doivent rapidement prendre contact avec ces nouveaux acteurs des réseaux pour mieux comprendre quand, comment et à quels coûts ces services seront disponibles dans leurs pays.
3-Lors de votre intervention au Med-It 2018 à Rabat vous dites que le Maroc dispose des atouts pour pouvoir réaliser un saut pour entrer dans l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle. Vous lui recommandez d’ailleurs de lancer un appel d’offres pour qu’il soit une plateforme pour le cloud public d’ici 2020. Pouvez-vous nous dire davantage sur ces points ?
Réponse: Oui, le Maroc possède une longueur d’avance sur d’autres pays africains dans la course à la Transformation Numérique. Quelques exemples :
– Un bon niveau de couverture 3G et 4G, à des prix compétitifs rendus possibles par une forte concurrence entre opérateurs.
– La création récente d’une Agence du Développement Digital pour accompagner cette transformation dans tous les secteurs de l’économie.
– Une bonne compréhension des potentiels et des défis liés à une Transformation Numérique. J’ai pu le constater en 2018, au cours de nombreuses conférences, comme Med-IT, et interventions d’accompagnement que j’y ai menées.
– Enfin, et c’est probablement le plus important, l’existence d’une forte population d’informaticiens bien formés, capables de prendre en charge des missions d’accompagnement de ces Transformations Numériques.
Ce sont les raisons pour lesquelles que je pense que le Maroc est bien placé pour accueillir rapidement sur son sol un centre de calcul de l’un des quatre grands industriels mondiaux de l’IaaS.
En 2018, AWS, Google, Microsoft et Alibaba ne sont pas présents sur le continent africain. En octobre 2018, AWS a annoncé qu’il allait investir dans un centre de calcul en Afrique du Sud. Le Maroc pourrait lancer en 2019 un appel d’offres international pour devenir le lieu d’implantation, dans le nord du continent, d’un centre de calcul IaaS qui fournirait des services au Maroc et à tous les autres pays africains.
Le fournisseur sélectionné accueillerait l’essentiel des usages IaaS des organismes publics et des entreprises marocaines, ce qui lui garantira dès le départ un niveau d’activité important.
4-Quels autres conseils auriez-vous pour les pays africains pour réussir la transformation numérique ?
Réponse: Aujourd’hui, tous les pays africains peuvent faire les hypothèses suivantes :
– Les solutions technologiques nécessaires à une Transformation Numérique réussie sont disponibles; la technologie ne sera plus jamais un frein.
– Les coûts des solutions innovantes de qualité sont bas, et baissent en permanence. Même dans des pays où le PNB par habitant est faible, il est possible de réussir sa Transformation Numérique.
En Afrique comme dans le reste du monde, les seuls freins réels au succès d’une Transformation Numériques sont organisationnels, culturels et humains. La résistance au changement, le rejet de solutions qui mettent en cause des pouvoirs ou prérogatives établies sont des freins extrêmement puissants.
Machiavel l’avait très bien expliqué dans son livre « Le Prince » : « Les innovateurs se créent des ennemis de ceux qui bénéficiaient du système ancien et ne disposent que d’un soutien « mou » de ceux qui pourraient bénéficier du nouveau système ».
Courage ! C’est la principale qualité des dirigeants qui prennent la décision de passer à l’action est de mettre en œuvre une véritable Transformation Numérique dans leur pays, leur gouvernement ou leur entreprise.
J’accompagne avec succès quelques trop rares organisations qui ont lancé des projets ambitieux de Transformation Numérique et les premiers résultats obtenus sont spectaculaires.
Il n’y a aucune raison pour que, en 2025, des pays africains, des entreprises africaines ne fassent pas partie des « Success Stories » mondiales de la Transformation Numérique.
C’est à chacune, chacun d’entre vous d’agir, rapidement, pour que votre organisation démarre, dans les semaines qui viennent, un processus ambitieux de Transformation Numérique.
Bon courage à toutes et à tous !
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