mercredi , 27 novembre 2024

Entretien avec M. Lacina Koné, DG de Smart Africa

M. Lacina Koné, DG de Smart Africa

Vous avez participé activement au GITEX Africa ayant eu lieu à Marrakech du 31 mai au 2 juin 2023. Que pensez-vous de l’organisation de cette 1ère édition africaine du GITEX tenue dans notre continent ?

La tenue du plus grand événement mondial dédié à la tech et aux startups sur notre continent est pour moi un autre témoignage que l’Afrique a sa partition à jouer dans cette 4ème révolution industrielle que représente le numérique.

À GITEX Africa, nous, les africains, avons eu l’occasion de présenter notre potentiel collectif, de mettre en lumière les solutions innovantes qui émergent de tous les coins de notre continent. Nous avons eu la possibilité d’entrer en contact avec des visionnaires partageant les mêmes idées, de forger des partenariats et des collaborations qui amplifieront l’impact de nos efforts. Ensemble, nous avons débloquer les vastes opportunités que recèle l’écosystème numérique africain.

Pour moi, GITEX a été une réussite et je souhaite que les éditions futures attirent davantage de participants, d’entreprises et d’opportunités pour notre continent.

  • Smart Africa est un accompagnateur et un fédérateur d’une Afrique qui se veut connectée et numérique. Pouvez-vous rappeler à nos lecteurs la mission de Smart Africa ?

La vision de Smart Africa est de transformer l’Afrique en un marché numérique unique d’ici 2030 et la mission de Smart Africa est de conduire le programme de transformation numérique de l’Afrique grâce à une approche multipartite audacieuse et innovante.

Pour réaliser sa vision et sa mission, Smart Africa se concentre sur 4 programmes dans sa stratégie Smart Africa 2023-2025 :

  • Programme 1 : Infrastructure numérique durable et inclusive (CONNECTER)

  • Programme 2 : Autonomisation numérique et renforcement des capacités (INNOVER)

  • Programme 3 : Transformation numérique et services (TRANSFORMER)

  • Programme 4 : Programme d’accélération numérique Smart Africa pour les États membres (ACCÉLÉRER)

Avec au départ 7 pays lors de sa création en 2013, l’alliance Smart Africa compte aujourd’hui 39 pays et bien plus à venir avec quelques pays additionels qui ont déjà entamé la procédure pour rejoindre l’alliance. C’est dire à quel point en 10 ans, notre mission et notre vision se concrétisent de par non seulement l’engouement au sein des pays membres mais également les projets portés par chaque pays membre dans le cadre de la transformation digitale de l’Afrique. Aujourd’hui sur 37 projets, l’on compte 15 en phase pilote et 8 en phase d’implémentation continentale.

  • Le numérique est déjà présent en Afrique. 40% des africains sont souvent en ligne et presque 800 millions possèdent un compte de mobile money. Le numérique est destiné à développer et promouvoir plutôt les usages, et sert dans une moindre mesure, l’innovation et la recherche. Par ailleurs, notre continent renferme une population jeune et le digital peut générer des compétences qualifiées, à condition de consacrer les financements nécessaires à la formation et à la recherche dans le numérique d’ici 2030. Rappelons que l’Europe veut mobiliser 150 milliards de dollars à l’horizon 2030 pour notre continent. Soutenez-vous l’affirmation selon laquelle l’Afrique n’a pas le droit de rater ce rendez-vous avec le Digital et doit s’organiser autour d’objectifs convergents pour profiter pleinement de cette chance ? Si oui, quels seraient selon vous, les mécanismes et modalités à mettre en œuvre pour une Afrique convergente et digitale ?

Oui, je soutiens l’affirmation selon laquelle l’Afrique ne doit pas manquer l’occasion d’embrasser pleinement la révolution numérique. Le numérique en Afrique a déjà montré des signes prometteurs, avec une part importante de la population en ligne et un grand nombre de personnes disposant de comptes d’argent mobile. Cela démontre le potentiel de développement et d’utilisation de la technologie numérique sur le continent.

Pour s’assurer que l’Afrique maximise les avantages de la digitalisation, certains mécanismes et modalité doivent continuer à être mis en œuvre : 

  • Développement de l’infrastructure : L’Afrique doit donner la priorité au développement d’une infrastructure numérique fiable et abordable, y compris un accès généralisé à la connectivité internet, au haut débit et à un approvisionnement fiable en électricité. Cela créera les bases de l’expansion numérique et de l’innovation sur tout le continent.

  • Investissement dans l’éducation et la formation : Pour générer des compétences qualifiées, il est essentiel d’allouer un financement adéquat aux programmes d’éducation et de formation numériques. Cela devrait commencer au niveau de la base, en fournissant des compétences numériques de base, et progresser vers une formation spécialisée dans des domaines tels que le développement de logiciels, l’analyse de données, la cybersécurité et l’intelligence artificielle. 

  • Soutien à l’innovation et à la recherche : L’Afrique devrait favoriser un environnement qui encourage l’innovation et la recherche dans le domaine des technologies numériques. Cet objectif peut être atteint par la création de centres de recherche, d’incubateurs et d’accélérateurs qui fournissent des ressources, des conseils et des financements aux entrepreneurs et innovateurs. La collaboration entre les universités, le secteur privé et les institutions gouvernementales pourra promouvoir les avancées technologiques.

  • Partenariats public-privé : La collaboration entre les gouvernements et le secteur privé est essentielle pour stimuler les initiatives numériques. Les partenariats public-privé peuvent mobiliser des ressources nécessaires pour mettre en œuvre les projets de grande envergure au niveau national, régional et continental.

 Toutes ces interventions devront être appuyées par des cadres et des politiques réglementaires clairs et progressifs, une forte collaboration régionale pour faciliter la coopération et l’intégration ainsi que le partage des meilleures pratiques pour accélérer le rythme de la transformation numérique sur le continent.

  • Plusieurs entraves freinent le développement du numérique dans notre continent. Par exemple, 600 millions d’Africains restent encore privés d’électricité. Ne pensez-vous pas qu’il y a lieu d’impliquer les autres secteurs du privé pour réduire ces entraves et pour une accélération de la transformation digitale du continent ?

Au sein de Smart Africa, nous sommes pleinement conscients des nombreux défis auxquels le continent africain est confronté en matière de développement numérique, notamment l’accès limité à l’électricité. Nous sommes fermement convaincus qu’une approche collaborative et impliquant plusieurs secteurs est essentielle pour surmonter ces obstacles et accélérer la transformation digitale en Afrique.

La transformation digitale requiert une infrastructure solide, en particulier en ce qui concerne l’électricité et la connectivité. En impliquant les autres secteurs du secteur privé, tels que les fournisseurs d’énergie, les entreprises de télécommunications et les investisseurs, nous pouvons combiner nos efforts et nos ressources pour résoudre ces problèmes de manière plus efficace et durable.

La coopération entre les secteurs public et privé revêt une importance capitale pour développer des partenariats stratégiques et mettre en œuvre des initiatives conjointes. Par exemple, les fournisseurs d’énergie peuvent collaborer avec les opérateurs de télécommunications pour développer des solutions d’énergie solaire ou des infrastructures de réseau partagées, permettant ainsi d’étendre l’accès à l’électricité et à Internet dans les régions rurales et éloignées.

 Par ailleurs, l’implication du secteur privé peut également favoriser l’innovation technologique, l’investissement dans les startups et la création d’emplois dans le domaine du numérique. Les entreprises privées apportent souvent une expertise et des ressources financières qui complètent les efforts du secteur public, favorisant ainsi un écosystème propice à la transformation digitale.

Il convient cependant de souligner que la collaboration entre les secteurs public et privé doit être guidée par des politiques et des réglementations claires et transparentes, ainsi qu’une gouvernance solide. Il est essentiel d’établir un cadre propice aux investissements, à l’innovation et à la protection des droits des consommateurs. 

En résumé, nous sommes convaincus qu’il est impératif d’impliquer les autres secteurs du privé pour réduire les entraves au développement du numérique en Afrique. Une approche collaborative et synergique nous permettra de tirer parti des forces de chacun et d’accélérer la transformation digitale sur notre continent, créant ainsi des opportunités économiques et sociales pour tous les Africains.

  • Il est admis que les raccourcis sont privilégiés par certains décideurs car ils permettent une prise de décision rapide et un gain de temps considérable. A ce propos, et étant donné que nous vivons actuellement une crise de financement, ne pensez-vous pas que le moment est venu pour développer les services des télécommunications au niveau des frontières de certains pays en Afrique, avec la contribution de tous les opérateurs présents ? Il y a lieu de préciser que cette opération nécessitera la mise en place des infrastructures télécoms adéquates au niveau des frontières en dehors de toutes considérations politiques, d’autant qu’aujourd’hui, les populations au niveau des frontières cherchent plutôt la survie et le numérique pourra les aider à survivre.

Au sein de Smart Africa, nous sommes pleinement conscients de l’importance cruciale d’une prise de décision rapide et efficace dans le contexte actuel de crise de financement. Nous reconnaissons le potentiel considérable des services de télécommunications pour soutenir le développement socio-économique des populations vivant aux frontières de certains pays africains.

La connectivité télécoms aux frontières offre aux populations la possibilité d’accéder à des services essentiels tels que la communication, l’éducation, les soins de santé et les opportunités économiques. Elle favorise également les échanges transfrontaliers, renforce l’intégration régionale et stimule le commerce et les investissements. 

Afin de concrétiser cette initiative, nous mettons l’accent sur la promotion d’une collaboration étroite entre les opérateurs télécoms et les parties prenantes concernées. Nous croyons fermement en l’importance de l’établissement de partenariats public-privé solides pour mobiliser les ressources nécessaires et partager les responsabilités. 

De plus, nous nous engageons à mettre en place des politiques et des réglementations favorables qui faciliteront le déploiement des infrastructures télécoms aux frontières. Nous visons à créer un environnement propice à l’investissement, à éliminer les obstacles bureaucratiques et à garantir une stabilité réglementaire.

Dans cette optique, le projet du Réseau Africain Unique (RAU) a été mis en place par le Secrétariat de Smart Africa. Ce projet vise à réduire les coûts des communications internationales sur le continent, à encourager des liens directs entre les pays pour favoriser les échanges directs et à harmoniser les réglementations dans le domaine des communications internationales pour une meilleure intégration continentale. Actuellement, ce projet est en phase d’implémentation dans l’ensemble des pays membres de l’Alliance Smart Africa, en s’appuyant sur les communautés régionales et sous-régionales, en étroite collaboration avec le Conseil Africain des Régulateurs de Smart Africa.

En conclusion, nous sommes fermement convaincus de l’opportunité et de la nécessité de développer les services de télécommunications aux frontières des pays africains, en collaboration avec tous les opérateurs présents. Cette initiative répondra aux besoins des populations vivant aux frontières en leur offrant des opportunités de survie et de développement grâce à la connectivité numérique. Nous nous engageons à travailler en étroite collaboration avec toutes les parties prenantes pour concrétiser cette vision et promouvoir l’intégration numérique en Afrique.

  • La 6ème édition du Sommet «Transform Africa 2023» a eu lieu fin du mois d’Avril 2023 dans le cadre des initiatives de Smart Africa visant à réussir la transformation numérique en Afrique. Cette édition a-t-elle atteint ses objectifs ? Si oui, pourriez-vous partager avec nos lecteurs la synthèse des conclusions et des recommandations de cet événement 

Les échos sont bons. Surtout pour une première hors de Kigali. C’était un challenge. Et c’est encore plus un challenge quand vous avez des chefs d’État impliqués. Nous avons réuni aux Chutes Victoria, au Zimbabwe, cinq chefs d’État, dont un roi, 44 ministres et environ 4 000 délégués de 91 pays. Une mobilisation historique donc.

Le sommet a été marqué par la signature de plusieurs accords, dont :

  • Un projet de 1,5 million de dollars de Smart Africa et de la Banque Africaine de Développement (BAD) visant à rationaliser les politiques en matière de commerce numérique et de commerce électronique dans dix pays africains

  • Un accord entre Smart Africa et le secrétariat de la zone de libre-échange continentale africaine (AfCFTA) visant à renforcer la collaboration en matière d’information, de communication et de technologie afin de développer un marché numérique unique pour l’Afrique au sein de la zone de libre-échange continentale africaine, et

  • La signature de la Smart Africa Trust Alliance (SATA) par huit États membres fondateurs afin de connecter tous les systèmes au moyen d’un cadre de confiance.

D’autres partenariats dans les domaines de la connectivité, de l’infrastructure numérique, de la cybersécurité, de l’esprit d’entreprise et du renforcement des capacités ont également été signés, notamment avec la fondation I4Policy, Hitachi Systems Security, Zhejiang, Gaia-x European Association for data, Internet Society et Estonian Association of Information Technology & Telecommunications (ITL).

En dernier lieu, il convient de noter la ratification de l’accord établissant l’Alliance Smart Africa par la République du Rwanda peu avant le sommet, devenant ainsi le cinquième État membre à ratifier l’accord et à le faire entrer officiellement en vigueur après son adoption par la 11ème réunion du conseil d’administration de Smart Africa. Smart Africa devient ainsi une organisation internationale qui célèbre cette année son dixième anniversaire. 

  • Pour qu’elle soit réussie, la transformation digitale requiert une stratégie de la part des pouvoirs publics, une prise de conscience et une acculturation de la part de la population et les usagers et un plan d’actions de la part des différents acteurs concernés. Diriez-vous que l’Afrique dispose de nos jours, d’une vision et d’un plan d’actions autour de la transformation digitale ?

Oui, l’Afrique dispose aujourd’hui d’une vision et d’un plan d’actions pour la transformation digitale. Cette vision et ce plan d’actions sont portés par des initiatives telles que Smart Africa, qui vise à accélérer la transformation numérique sur le continent en travaillant en étroite collaboration avec d’autres institutions.

Smart Africa collabore étroitement par exemple avec l’Union Africaine (UA) et l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) en tant que co-présidents du comité de pilotage de Smart Africa et au-delà.

Il est également essentiel de reconnaître que la transformation numérique est un processus continu qui exige l’engagement et la participation de tous les acteurs, y compris le secteur privé. Chez Smart Africa, nous accordons une grande importance au rôle du secteur privé et nous le mettons en avant dans notre organe suprême, le conseil d’administration. Celui-ci réunit non seulement les chefs d’État des pays membres de Smart Africa, mais également des membres du secteur privé de catégorie Platinum. En réunissant les chefs d’État et les leaders du secteur privé au sein de notre conseil d’administration, nous favorisons une collaboration étroite et une prise de décision collective.

Il est aussi important de souligner que cette vision et ce plan d’actions continuent d’évoluer et de s’adapter aux besoins changeants et aux avancées technologiques. C’est pourquoi, chez Smart Africa, nos chefs d’État ont choisi de mettre en œuvre des stratégies triennales d’une durée de 3 ans chacune. Cette approche est essentielle car le secteur du numérique est en constante évolution et connaît des changements rapides.

En conclusion, l’Afrique dispose d’une vision et d’un plan d’actions pour la transformation digitale et la croissance rapide de l’Alliance Smart Africa ces dernières années démontre l’engagement des gouvernements africains et des acteurs clés à promouvoir la transformation digitale et à en faire une réalité pour tous en Afrique.

Courte biographie de M. Lacina Koné :

  1. Lacina Koné, a rejoint le Secrétariat de Smart Africa en tant que directeur général en mars 2019. Sous sa direction, ayant pour mission de faire avancer l’agenda numérique de l’Afrique. Smart Africa a mis au point l’élaboration de plans directeurs continentaux pour l’Afrique sur l’identité numérique, les start-ups TIC et les écosystèmes d’innovation, les villages intelligents et la “Smart Broadband 2025” en plus de faire avancer d’autres initiatives supplémentaires clés. En reconnaissance de ce travail, M. Koné a été reconnu en 2021 comme 12e parmi les 50 personnalités faisant avancer la transformation numérique de l’Afrique. Avant cela, M. Koné était conseiller en charge de la transformation numérique et des réformes publiques auprès du Premier Ministre de la République de Côte d’Ivoire (2017-2018), et a également été conseiller du Président de 2011-2017. M. Koné est un professionnel de l’industrie des TIC avec plus de 25 ans d’expérience dans les télécommunications, les satellites et le système de transport intelligent. Il a aussi occupé au cours de sa carrière plusieurs postes techniques et managériaux de haut niveau au sein de sociétés prestigieuses telles que Booz Allen Hamilton et Intelsat. M. Kone est diplômé de trois continents. Aux Emirats Arabes Unis, il a obtenu une licence en génie électronique, au Royaume-Uni, il a validé son grade Polytechnique à l’Université de Brunel, et aux Etats-Unis, son MBA de l’Université George Washington. Il siège également aux conseils consultatifs de Benya Capital en Égypte et de Townlabour Technologies aux États-Unis et il est également commissaire à la Broadband Commission for Sustainable Development (BBCOM).

Merci beaucoup à M.Lacina Koné. Cet entretien a été conduit par Ahmed Khaouja

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