jeudi , 31 octobre 2024

Entretien avec M.Didier Dillard Directeur de la Règlementation à Orange France

Questions posées par Lte Magazine (Ahmed Khaouja) à M.Didier Dillard Directeur de la Règlementation à Orange France:

M.Didier Dillard,  ingénieur diplômé de l’Ecole Polytechnique, de Sup Telecom Paris et est titulaire d’un MBA de l’Université de Columbia de New York.
M.Didier Dillard, ingénieur diplômé
de l’Ecole Polytechnique, de Sup Telecom
Paris et est titulaire d’un MBA de
l’Université de Columbia de New York.

Q1 : Quel est l’état de la FTTH en France ? Est-ce que vous pensez que  l’objectif de couvrir l’ensemble du territoire Français d’ici à 2022 sera atteint?

R1 :Le développement du FTTH en France connait une forte dynamique, à la fois en matière de déploiement de réseaux, mais aussi en matière de commercialisation auprès du grand public ou des professionnels. Après les premières années de démarrage, nous sommes clairement entrés dans une phase d’industrialisation. Quelques chiffres pour illustrer cela :

A ce jour, environ 6 millions de prises FTTH ont été déployées en France, ce qui représente environ 20% des logements français et le rythme de déploiement continue de s’accélérer. Il y a sur ces réseaux 1,6 Millions de prises qui sont en service, ce chiffre a augmenté de 53% en un an ! C’est remarquable et, à Orange, nous sommes très heureux et très fiers d’être le moteur de cette évolution en France, que ce soit en matière de prises déployées ou de nombre de clients.

L’objectif du Gouvernement français est d’équiper l’ensemble du territoire français en Très Haut Débit d’ici 2022. Il faut préciser que cela ne passe pas nécessairement par du FTTH partout car il est maintenant d’usage courant en Europe de parler de Très Haut Débit pour le fixe à partir de débits de 30 Mbit/s, ce qui est atteignable avec des technologies sur cuivre comme le VDSL ou des réseaux câblés à terminaison coaxiale. Cet objectif est très ambitieux. A mon avis, si la dynamique que nous observons actuellement se prolonge, il est atteignable en mobilisant différentes technologies sur différentes parties du territoire, le FTTH devant représenter la grande majorité des prises. Cela nécessite que la législation et la réglementation n’évoluent pas dans un sens défavorable pour les acteurs qui, comme Orange, ont le désir d’investir dans ces infrastructures d’avenir.

Q2 : Pour atteindre ces objectifs sur l’ensemble du territoire français, est ce que les directives européennes en la matière et le cadre actuel de la réglementation en France vont vous permettre de financer la FTTH par les mécanismes du service universel et particulièrement dans les zones non rentables financièrement pour les opérateurs télécoms?

R2 :Le cadre législatif et réglementaire est un élément de contexte fondamental pour non seulement permettre mais aussi faciliter ces déploiements, en essayant d’identifier et de lever les nombreux freins et difficultés qui se posent. Par exemple, ces déploiements nécessitent de passer sur des propriétés privées (à l’intérieur d’immeubles par exemple), dans des infrastructures de génie civil existantes (des fourreaux souterrains par exemple) ou sur le domaine public et cela ne doit pas nécessiter des procédures compliquées. Le fait est que tant le cadre européen que la législation française ont fait en sorte de traiter ces problématiques.

Concernant le financement en tant que tel, le cadre européen est clair : des subventions publiques ne sont envisageables que dans les zones qui ne font pas l’objet d’intentions de déploiements d’opérateurs privés. Le cadre actuel du service universel consistant à garantir une prestation de base sur l’ensemble du territoire national, avec prise en charge du déficit dans les zones les plus couteuses par un fonds alimenté par les opérateurs eux-mêmes, n’est pas adapté au FTTH. Il faut donc prévoir un mécanisme particulier, adapté aux zones non rentables.

En France, le gouvernement a annoncé son objectif que la totalité du territoire français soit équipée en très haut débit d’ici 2022. Les opérateurs privés, Orange en tête, ont fait part de leur intention de couvrir en FTTH près de 60% de la population. Le gouvernement a alors établi le plan France Très Haut Débit, qui prévoit notamment la couverture des zones résiduelles via des subventions publiques, pour partie venant des collectivités territoriales et pour partie de l’Etat, sur la base de projets préparés par les collectivités territoriales pouvant utiliser différentes technologies. A ce jour, la quasi-totalité des collectivités territoriales (en général le département ou la région) ont finalisé leurs projets.

Q3 : Quels sont les rôles joués par les collectivités territoriales dans le développement des réseaux très haut débit FTTH pour contribuer à atteindre ces objectifs de couvrir le territoire français ?

R3 : Le rôle des collectivités territoriales est très important et est multiple. Tout d’abord, il est important que la collectivité territoriale prenne conscience que le déploiement du FTTH sur son territoire est un enjeu politique majeur, facteur de développement économique et d’attractivité à la fois pour les particuliers mais aussi pour les entreprises de toute taille. Une collectivité doit donc faire en sorte de favoriser ces déploiements.

Concrètement, il est important que les déploiements sur la voie publique puissent se faire sans complications inutiles, les demandes d’occupation du domaine public doivent se traiter rapidement et surtout doivent pouvoir se faire dans des conditions financières raisonnables et stables. Il peut être très utile qu’une collectivité désigne une personne qui sera le point de contact de l’opérateur qui déploie, et qui aura comme objectif de régler les problèmes et aussi de suivre les déploiements.

L’autre rôle important des collectivités est d’informer leur population, d’expliquer comment ces déploiements se feront, de communiquer sur le calendrier et aussi de rappeler tous les avantages de la fibre, ce qui peut se faire de manière neutre et objective sans prendre parti pour tel ou tel opérateur. Elles peuvent aussi montrer l’exemple en termes d’usages, en étant les premières à utiliser le très haut débit pour des services à leurs administrés.

Enfin, les collectivités qui constateraient qu’elles risquent de ne pas bénéficier rapidement de très haut débit car étant relativement couteuses à équiper, peuvent décider d’aider financièrement de tels déploiements et de mettre en place un partenariat public-privé avec un opérateur qu’elle choisirait pour déployer et exploiter le réseau. En France, Orange a été par exemple retenu par les régions Bretagne et Auvergne pour cela, et nous serons très heureux de pouvoir apporter le très haut débit dans ces territoires, y compris dans des zones rurales.

Q4 : comme on sait, la fibre optique se déploie en « horizontal » et en « vertical ». Ce dernier déploiement est réalisé par un opérateur, choisi par la copropriété, consistant à raccorder la fibre tirée jusqu’en bas d’un immeuble vers chacun des appartements. Comment la France a rendu facile la coopération entre les syndics et les différentes associations en charge de la gestion des copropriétés et les opérateurs télécoms ?

R4 : Effectivement, les conditions de déploiement de la fibre optique dans les immeubles existant représentent une des questions qui méritent d’être traitées avec soin pour permettre un développement à grande échelle du très haut débit. Le FTTH nécessite de déployer des câbles dans les parties communes des immeubles afin d’atteindre ensuite chaque appartement. Une première question basique à clarifier est « qui paie quoi » et en France, un choix clair a été fait : les déploiements dans les immeubles existant sont à la charge des opérateurs et les propriétaires d’un immeuble doivent faire droit aux demandes de fibrage de leur immeuble dès lors qu’un occupant de l’immeuble le souhaite. Le propriétaire de l’immeuble ne paie pas pour ce déploiement et doit faciliter l’accès à son immeuble à un opérateur prêt à l’équiper, et ce propriétaire n’a évidemment pas à exiger de paiement en contrepartie.

Pour faciliter les relations entre l’opérateur qui déploie et le propriétaire ou les copropriétaires d’un immeuble, les pouvoirs publics ont établi une convention-type qui formalise les droits et les devoirs de chaque partie, et qui permet ainsi de gagner un temps précieux dans les discussions préalables.

Autre précision, le code de construction a été modifié pour imposer à tous les logements neufs, un pré-équipement en fibre optique. Cela est de nature à favoriser l’usage du très haut débit dans ces cas de figure.

Q5 : Justement ce déploiement final aux réseaux FTTH en France est régi, par notamment les dispositions issues de la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, parmi lesquelles l’article L. 33-6 du code des postes et des communications électronique (CPCE). Est-ce que toutes les difficultés d’interprétations de ce cadre juridique, en ce qui concerne le déploiement « vertical » c’est-à-dire du fibrage des immeubles existants ont été levées?

R5 : On peut dire aujourd’hui que ce cadre juridique a permis de régler la très grande majorité des problèmes. Bien évidemment, on peut rencontrer quelques situations résiduelles pouvant donner lieu à des interprétations différentes et des différends mais cela reste marginal. Au final, sur ce sujet, les copropriétaires et les opérateurs ont compris qu’ils ont un intérêt commun à ce que les immeubles soient fibrés : pour l’opérateur, cela lui permet d’apporter de meilleurs services à ses clients, et pour le propriétaire ou les copropriétaires, s’ils habitent sur place, ils peuvent bénéficier de tous les services très haut débit mais dans tous les cas, la fibre optique donne de la valeur à leur bien !

Q6 : -On sait bien qu’Orange en tant qu’acteur principal dans les télécoms en France coopère positivement avec l’ARCEP pour faire avancer l’application de la réglementation FTTH en France. Comment Orange coopère avec l’ARCEP pour que la régulation française soit citée en exemple dans le monde ?

R6 : Il serait un peu exagéré de dire que nous coopérons avec l’ARCEP pour que la régulation française soit citée en exemple dans le monde. Effectivement, l’ARCEP prend soin de se concerter en permanence avec les opérateurs pour définir et faire appliquer sa réglementation, et évidemment avec Orange qui est le premier opérateur français. Nous y consacrons le plus grand soin. Ceci dit, nous ne sommes pas d’accord avec le régulateur sur tous les sujets, nous avons par exemple tendance à penser que l’ARCEP pourrait aller un peu moins loin dans certains cas.

Mais au final, ce qui parait important sur des sujets tels que le FTTH qui nécessitent des investissements énormes et sont complexes à mettre en œuvre, c’est l’existence de règles claires, stables et effectivement appliquées ayant comme objectif explicitement affiché de favoriser les déploiements et d’encourager ceux qui sont prêts à investir pour cela. On peut dire que cela a été un prérequis important pour la dynamique d’équipement de la France en fibre optique que nous connaissons, que ce soit l’ouverture du génie civil de l’opérateur historique (les fourreaux et conduites souterraines par exemple) pour le déploiement de la fibre optique dans des conditions non discriminatoires, l’équipement des immeubles, en passant par les obligations d’accès des infrastructures optiques déployées pour les opérateurs tiers. C’est cela qui mérite à mon avis d’être pris en compte par les pouvoirs publics d’un pays comme le Maroc, soucieux de mener à bien la modernisation du pays au bénéfice de chacun.

Lte Magazine : Merci beaucoup M.Didier Dillard.

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