Crise de l’Euro et ses répercussions sur l’économie marocaine
novembre 19, 2015
tribune libre
Principal partenaire commercial du Maroc, les pays européens importent une part non négligeable de leurs produits et marchandises du Maroc et participent aux investissements directs et à certaines aides publiques pour le développement économique du pays.
A partir de certains pays européens, comme la France, l’Espagne, la Belgique et l’Allemagne, est également rapatriée, au Maroc, une bonne partie des fonds issus des migrations. Ces fonds contribuent, à côté des devises apportés par les touristes, notamment européens, à l’équilibre de notre balance de paiement.
Dans le cadre des interactions économiques entre le Maroc et la zone euro, nous examinons, à travers le présent article, dans quelle mesure la crise de la zone euro est susceptible d’affecter l’économie marocaine. La crise de l’euro doit alerter les décideurs marocains et les mettre en garde sur la fragilité, pour le Maroc, de ses relations de partenariat avec l’Europe et devrait les inciter à explorer et à développer de nouveaux débouchés, avec d’autres régions du Monde.
Heureusement, en ce qui concerne les impacts à court terme et les effets des fluctuations boursières sur l’économie marocaine, il n’y a pas, à vrai dire, de grand risque, dans la mesure où notre système financier est protégé par une politique de change assez restrictive, en ce qui concerne les mouvements de capitaux avec le reste du monde. Par contre, une plus grande prudence doit être particulièrement observée, en ce qui concerne les effets à long terme de cette crise sur l’économie nationale.
Tout d’abord, il y a lieu de préciser que l’Union européenne (UE) est un espace géographique septentrional comptant 28 pays de tailles différentes et aux régimes politiques et constitutionnels multiples. Elle est caractérisée par une variété culturelle, civilisationnelle et linguistique (24 langues).
Représentant la première puissance économique mondiale, pour une superficie totale de 4,5 millions de km2 , sa population totalise plus de 508 millions d’habitants, soit 7,17% de la population mondiale. Le PIB annuel de l’UE s’établit à plus de 18 milliards de dollars, soit 23,64% du PIB mondial. Les USA participent pour 22,37% de ce produit.
La zone euro a été créée en 1999 par onze pays : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Autriche, Espagne, Finlande, et Irlande.
Ces pays ont été rejoints par la Grèce en 2001, par la Slovénie en 2007, par Chypre et Malte en 2008, par la Slovaquie en 2009 et enfin l’Estonie en 2011. Les membres fondateurs de l’Union européenne sont les six premiers, cités plus haut.
Pour rentrer dans la zone euro, il y a en principe des conditions à respecter. Ce sont les fameux critères de Maastricht, à savoir :
– Stabilité des prix : le taux d’inflation d’un État membre ne doit pas dépasser de plus de 1,5 point celui des trois États membres, présentant les meilleurs résultats en matière de stabilité des prix.
– Taux d’intérêt à long terme : ils ne doivent pas excéder plus de 2 % ceux des trois États membres, affichant les meilleurs résultats en matière de stabilité des prix.
– Déficit public : la dette publique doit être inférieure à 60 % du PIB précédent et le déficit public doit être en dessous de 3% de ce produit.
Sur le plan institutionnel, l’UE est régie par le Traité sur l’Union Européenne et le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ainsi que par la mise en vigueur du Traité de Lisbonne. Sa structure institutionnelle est en partie supranationale, en partie intergouvernementale : le Parlement européen est élu au suffrage universel direct, tandis que le Conseil européen et le Conseil des ministres sont composés de représentants des États membres.
La Commission européenne est élue par le Parlement, sur proposition du Conseil européen. Quant à la Cour de justice, elle, est chargée de veiller à l’application du droit de l’UE.
Les principes fondamentaux de l’UE forment un ensemble de valeurs communes aux états membres de l’Union. Le 12 octobre 2012, le prix Nobel de la paix est attribué à l’UE pour « sa contribution à la promotion de la paix, la réconciliation, la démocratie et les droits de l’Homme en Europe ».
Depuis sa création, cette union a connu des échecs qui l’ont affaiblie. On peut citer à titre d’exemple, le rejet du projet de constitution européenne en 2005, les crises financières et économiques en 2008/2009 et la crise de l’euro depuis 2010/2011.
Cette crise désigne une suite d’événements financiers qui ont affecté, depuis le début de l’année 2010, les économies des États membres de l’UE, dont la monnaie de référence est l’euro. Ladite crise résulte, en premier lieu, de l’endettement excessif des pays de la zone euro.
Le premier événement est relevé en 2010, avec la crise de la dette grecque, provoquée par son important et constant déficit public. La crise de la zone euro s’étend à l’automne de cette année, avec celle de la dette publique de l’Irlande, provoquée par le sauvetage des banques nationales, lequel a été rendu nécessaire par les excès antérieurs de la dette privée.
Durant l’été 2011, une tempête boursière survient, en partie à cause de la crise de la dette publique ayant sévi en Gréce. Pendant plusieurs années, le gouvernement Grec a dissimulé la réalité des comptes publics, en mentant délibérément à Bruxelles. Il s’agissait, coûte que coûte pour ce pays, d’éviter les sanctions financières que prévoit le traité de Maastricht, à l’encontre des pays trop dépensiers.
Au-delà des problèmes issus de la dette, il importe de souligner que les causes profondes de la crise de l’euro sont aussi bien structurelles que conjoncturelles.
– Raisons liées à la théorie des zones monétaires optimales
Selon la théorie économique, les pays n’ont intérêt à avoir une monnaie commune que si :
– ils sont intégrés économiquement ;
– Leurs économies ne réagissent pas trop différemment aux chocs économiques ;
– Il existe des mécanismes aptes à remédier aux divergences existantes ou pouvant apparaitre.
Or, ces trois conditions, prises individuellement, ne sont pas toujours réunies de manière satisfaisante, au sein des pays de la zone euro. Ce qui génère en permanence des incohérences qui constituent un blocage à la réussite du projet de monnaie unique.
Bien plus, la troisième condition est celle qui s’est le plus imparfaitement vérifiée, jusqu’à nos jours. Les mécanismes d’ajustement, dont il est question, pêchent encore par leur faiblesse manifeste.
– Déséquilibres dus à un endettement extérieur excessif :
La crise a donc été causée, comme la plupart des crises économiques, par des déséquilibres entre pays de l’eurozone , dus à un endettement excessif public et privé des pays périphériques vis-a-vis de l’extérieur. Cette situation a fini par susciter un arrêt brutal (sudden up) des financements. Ces dettes s’étaient accumulées depuis la création de l’euro, qui avait déclenché des flux de capitaux très importants des pays les plus prospères (Allemagne, France et Pays- Bas) vers les pays de la périphérie.
Une part très importante de ces capitaux, ayant été investis dans des secteurs non commerciaux (logement et secteur public) n’étaient pas structurellement aptes à amortir le coût de l’investissement. Ces secteurs avaient suscité des hausses de salaires et des coûts additionnels, qui avaient abaissé la compétitivité des pays concernés, dégradant ainsi leurs comptes courants.
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Problèmes liés à des visions politiques différentes :
Cette divergence de points de vue s’exprime principalement entre la France et l’Allemagne.
En effet, à travers l’euro, la France cherche une finalité institutionnelle et, par conséquent, estime que la monnaie unique est une étape transitoire vers une Europe fédérale, une sorte de « fédération d’Etas-Nations ».
En revanche, pour l’Allemagne, l’essentiel n’est pas dans les institutions mais dans les liens unissant les peuples qui partagent la même monnaie.
D’un autre côté, les Allemands voient le gouvernement économique comme une tentative de prise de contrôle de la Banque Centrale Européenne (BCE) et donc s’en méfient.
Les Français, eux, sont pris entre des sentiments contradictoires : d’un côté, ils veulent un gouvernement économique, mais d’autre part, ne veulent pas de transfert de pouvoirs vers la commission européenne et prennent des libertés avec les lois communes. En clair, les Allemands seraient davantage pour une union politique que les Français.
Tout cela a donné lieu à une monnaie commune assortie de solidarités minimales et insuffisantes ayant abouti à la clause dite de « no bail-out » ; qui veut que ni l’Union ni les Etats membres, pris individuellement ou collégialement, ne peuvent répondre des engagements d’un quelconque Etat européen.
En résumé, la crise de l’euro est en réalité triple: politique dans la mesure où elle s’est traduite par une incapacité des dirigeants de la zone euro à apporter une réponse cohérente et coordonnée aux difficultés de la Grèce. Ce qui dénote une absence de leadership politique évident. Ceci s’est traduit par une crise de confiance vis-à-vis des institutions européennes et, surtout, vis-à-vis de l’euro, alimentée par des manœuvres spéculatives contre cette monnaie, et entraînant un affaiblissement de celle-ci.
Cette crise est ensuite budgétaire dans la mesure où elle s’inscrit dans le prolongement de la crise de 2008, lorsque les Etats membres ont injecté plus de 200 milliards d’euros afin de sauver leurs banques respectives. Ces plans de sauvetage n’ont fait que creuser la dette publique et le déficit des Etats; ce qui a provoqué la crise actuelle.
Enfin, la crise est également bancaire dans la mesure où les banques, en 2008, s’étaient financées auprès des Etats à des taux réduits et ont ensuite prêté à des Etats potentiellement à risque (Grèce, Portugal) à des taux de plus en plus élevés, jusqu’au moment où ces Etats se sont retrouvés asphyxiés sous la pression de la dette.
Parmi les éléments faisant partie de la crise de l’euro, il y a aussi le rôle ambigu joué par la BCE. Un des nombreux problèmes de l’UE est de ne pas avoir prévu de solutions pour aider ses membres, en cas d’une éventuelle crise de sa monnaie. Et c’est ce qui s’est justement produit.
En effet, déjà en 2009, c’est le Fond Monétaire International (FMI) qui a dû venir au secours de la Grèce. Du coup, l’UE a décidé de conférer plus de pouvoirs aux banques centrales des états de la zone euro, qui peuvent aujourd’hui venir en aide aux pays de cette zone. L’espace monétaire de l’UE a été construit comme homogène, permettant à la BCE d’offrir le même taux d’intérêt à toutes les banques.
L’espace budgétaire, en revanche, se caractérise par une grande hétérogénéité, puisque chaque État continue à exercer sa souveraineté en termes de recettes, fiscales principalement, et de dépenses budgétaires.
Contrairement à l’espace monétaire de l’UE, son environnement bancaire est également hétéroclite. Il n’existe pas de «banques européennes », mais plutôt des banques nationales (françaises, allemandes et espagnoles…)
Même si, en régime de croisière, tous les établissements se ressourcent en liquidités auprès de la BCE, ils se tournent vers leurs États respectifs, dès que leur solvabilité est mise en doute. Les banques brassent donc une devise transnationale, mais demeurent adossées à des nations.
Puis analysons, à présent, les répercussions de la crise de l’euro à l’échelle mondiale. La propagation de cette crise, en dehors des frontières européennes, est le scénario catastrophique que beaucoup redoutent depuis plusieurs semestres, autant les institutions internationales, comme le FMI, que les grandes puissances comme les Etats-Unis d’Amérique.
En effet, le FMI s’inquiétait des conséquences d’une éventuelle contagion de la crise de la dette souveraine, en zone euro, sur les autres économies du monde. Une contagion qui, selon lui, pourrait fortement déstabiliser le système financier international, comme après la faillite de la banque d’investissement américaine Lehman Brothers, à l’origine de la crise de 2008-2009, qui avait marqué une véritable rupture dans la bonne marche de l’économie mondiale.
Une mondialisation de la crise serait possible « si la crise de la dette, actuellement située en périphérie, devait continuer à s’étendre aux économies du noyau dur de la zone euro », ce qui entraînerait forcément « des perturbations significatives dans la stabilité financière internationale », a estimé l’institution dans son rapport semestriel avant d’ajouter : « Des difficultés dans un pays peuvent rapidement s’étendre à l’Europe. De là, cela pourrait se déplacer aux États-Unis via des détenteurs d’actifs européens et au reste du monde ».
Le FMI est rejoint dans son analyse par l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) qui, dans son rapport semestriel sur les perspectives économiques, s’inquiétait également de la menace que faisait peser la crise de l’euro, sur le bon fonctionnement de l’économie mondiale.
« La crise dans la zone euro constitue actuellement le principal risque pour l’économie mondiale, les préoccupations relatives à la viabilité de la dette souveraine, étant devenues de plus en plus courantes. Les marchés de capitaux ont non seulement pris en compte une restructuration de la dette souveraine en Grèce, avec de lourdes pertes pour les créanciers, mais aussi un risque élevé de contamination pour d’autres membres de la zone euro, qui sont vulnérables sur le plan budgétaire », précise ce rapport.
Une contamination qui pourrait également s’étendre au-delà des pays de l’Union Européenne, dont les finances publiques sont considérées comme fragiles. Ce qui déclencherait éventuellement une crise du crédit à l’échelle mondiale et un crash des marchés financiers, à l’image de celle de 2008. Car un grand nombre de banques de la zone euro risquent de subir des pertes significatives, si les dirigeants européens ne parviennent pas à résoudre cette crise. Un tel effondrement mènerait, sans aucun doute, à une grave récession dans l’ensemble des économies européennes, voire à l’échelle mondiale.
S’agissant des retombées éventuelles sur l’économie marocaine, il n’y a pas, à vrai dire, de risque de contagion sur le plan financier, dans la mesure où notre système financier est très peu intégré au système financier international et notre politique de change est assez restrictive, ce qui limite fortement les mouvements de capitaux à l’extérieur du pays. L’endettement public est relativement maîtrisé. Il faut néanmoins surveiller le déficit budgétaire et poursuivre les réformes macro-économiques et sectorielles, lancées depuis des années.
En revanche, cette crise de l’euro préfigure une éventuelle récession économique latente. Ce qui pourrait impacter le Maroc à quatre niveaux: la baisse de la demande extérieure venant de l’Europe; le fléchissement des recettes apportées par les touristes européens ; la diminution des transferts des MRE vivant dans la zone euro et la détérioration des flux d’investissements européens.
Sur un plan sectoriel, plusieurs branches d’activité pourraient être affectés, dont singulièrement l’automobile et le transport international routier (TIR).
En réalité, le véritable problème de notre économie réside dans l’accroissement constant du déficit de la balance des paiements et son corollaire, la dégradation du taux de couverture. Les causes sont multiples. Conjoncturelles tout d’abord: la dépendance croissante du Maroc en matière énergétique, mais aussi alimentaire, en particulier, pendant les années de sécheresse. Une demande extérieure qui a fléchi avec la crise économique mondiale, sur le marché des produits manufacturés et les produits agricoles à haute valeur ajoutée. A cela s’ajoute les fortes fluctuations des prix des phosphates sur les marchés internationaux.
Il y a ensuite des raisons structurelles à ce déficit. La première, de loin la plus importante, est à rechercher au niveau de la capacité de l’économie marocaine à développer une offre de produits qui soit avantageuse, aussi bien en termes de prix que de qualité. Les résultats enregistrés jusque-là montrent que les activités d’exportation peinent encore à atteindre de meilleurs niveaux d’efficacité, de performance et de productivité, leur permettant de relever le défi de la compétitivité, sur les marchés internationaux.
Au plan des structures de production, l’offre disponible demeure encore peu diversifiée, en comparaison avec les possibilités que présentent les marchés extérieurs. A titre de comparaison, le Maroc exporte quelques 45 produits environ par million d’habitants, contre 2,5 cette performance pour la Tunisie et presque 4 fois cette prouesse, pour la Malaisie (source Banque mondiale).
Conscient de ces lacunes, le gouvernement marocain a lancé, depuis des années, une stratégie globale et intégrée, visant à combler le gap de compétitivité par rapport aux pays concurrents, à diversifier l’offre exportable et à investir de nouveaux marchés. Il s’agit du plan Maroc Export Plus.
Sur un autre plan, la dynamisation des exportations marocaines pourrait se faire dans le cadre de l’Accord de Libre Echange (ALE), et en particulier dans le cadre de la zone de libre-échange, pour les produits industriels européens, avec la suppression totale des droits d’importation.
En conclusion, la réponse à la crise de l’euro est recherchée à deux niveaux: le premier, européen, s’est traduit par des plans de sauvetage de certains pays (Grèce, Irlande, Portugal, etc…), la création de mécanismes de stabilité financière (le Fonds européen de stabilité financière doté de 1.000 milliards d’euros); ainsi que des réformes institutionnelles à travers le renforcement du Pacte de stabilité et de croissance européen.
Mais la véritable réponse, pour cette crise, se situe au niveau de la mise en place d’un véritable fédéralisme européen, assorti d’un processus d’accélération de la convergence budgétaire et fiscale.
Certains proposent, également, la mise en place d’«eurobonds», c’est-à-dire la mutualisation de la dette des Etats membres de la zone euro, afin d’éviter qu’un pays défaillant ne mette en péril toute l’Europe. Ceci aurait également comme effet de limiter la spéculation.
Le second niveau de réforme est mondial. Cette crise doit être l’occasion de réformer en profondeur les marchés financiers et combattre les comportements spéculatifs. Des réformes sérieuses doivent être envisagées, parmi lesquelles la mise en place d’une taxe sur les transactions financières (le principe a été adopté lors d’une rencontre du G20), l’interdiction de la «finance de l’ombre» (paradis fiscaux, fonds spéculatifs, etc…), le contrôle des établissements de crédit, la réforme des agences de notation, etc…
En définitive, au delà des facteurs explicatifs de la crise de l’euro, des analyses des experts concernant les répercussions de cette crise et les plans de redressement concoctés, la grande problématique qui se pose aujourd’hui, avec acuité, et pour laquelle il existe encore une forte divergence de points de vue, au niveau de l’UE, consiste à appréhender cette question, simple d’expression mais lourde d’enjeux « Peut-on concilier la grande diversité des modèles européens et la monnaie unique ? ». That is the question !!!.
Par M. Mohammed Taher Sbihi, chercheur en gestion et spécialiste de la normalisation comptable au Maroc.