jeudi , 26 décembre 2024

L’évolution des activités spatiales en Afrique et la nécessité de renforcer les capacités en matière de droit et de technologie spatiales

Dr Riffi Temsamani M. S.

Consultant en droit et politique de l’Espace Rabat ; Maroc

Pour assurer un développement durable en Afrique, les activités spatiales peuvent jouer un rôle essentiel dans la promotion des aspects socio-économiques d’un pays. La coopération internationale est essentielle pour que les pays en développement, notamment africains, puissent bénéficier des progrès scientifiques et techniques du secteur spatial. L’Afrique a compris cette nécessité et aujourd’hui plusieurs pays ont pris des décisions importantes pour mettre en œuvre la stratégie spatiale africaine qui permettra au continent de relever les défis et d’atteindre les objectifs de l’ Agenda 2063 de l’Union africaine (UA) [1]

            Le droit de l’Espace est un élément important de la coopération internationale. Il permet aux Etats de mieux gérer et surveiller leurs activités spatiales, son développement a pris de nombreuses formes au fil des ans, afin de favoriser la compréhension et le respect des cinq traités des Nations Unies régissant l’espace extra-atmosphérique. L’utilisation commerciale croissante de l’espace nécessite que les responsables politiques et les législateurs prennent conscience de la nécessité et des moyens de réglementer ces activités. L’importance de préserver l’environnement spatial et de protéger l’espace extra-atmosphérique contre les activités inappropriées devrait être soulignée par le biais de l’éducation au droit de l’Espace.

1 – Droit et politique de l’Espace en Afrique

            L’utilisation commerciale croissante de l’espace nécessite que les responsables politiques et les législateurs prennent conscience de la nécessité de réglementer ces activités et des moyens de le faire. L’importance de préserver l’environnement spatial et de protéger l’espace extra-atmosphérique des activités humaines doit être soulignée par l’enseignement du droit de l’Espace.

            La promotion de la coopération régionale en matière d’enseignement du droit et des technologies spatiales est donc nécessaire à la croissance économique et au développement

le droit international de l’Espace

            Après le lancement du premier satellite, Spoutnik 1, en 1957. Ce Comité des Utilisations Pacifique de l’Espace Extra-Atmosphérique (CUPEEA)2, créé par les États membres des Nations Unies, a permis aux experts, scientifiques, techniciens et juristes ainsi qu’aux diplomates intéressés par le domaine spatial de mettre en place les cinq traités des Nations Unies régissant l’espace extra-atmosphérique.

            Entre 1967 et 1979, cinq traités des Nations Unies relatifs à l’espace ont été négociés au sein du CUPEEA, dans le cadre des travaux de son sous-comité juridique[2] :

Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ouvert à la signature le 27 janvier 1967, entré en vigueur le 10 octobre 1967 (Traité sur l’espace extra-atmosphérique ou OST)

Accord sur le sauvetage des astronautes, le retour des astronautes et la restitution des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique, ouvert à la signature le 22 avril 1968, entré en vigueur le 3 décembre 1968 (Accord de sauvetage ou ARRA)

Convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux, ouverte à la signature le 29 mars 1972, entrée en vigueur le 1er septembre 1972 (Convention sur la responsabilité ou LIAB)

Convention sur l’immatriculation des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique, ouverte à la signature le 14 janvier 1975, entrée en vigueur le 15 septembre 1976 (Convention sur l’immatriculation ou REG)

Accord régissant les activités des États sur la Lune et les autres corps célestes, ouvert à la signature le 18 décembre 1979, entré en vigueur le 11 juillet 1984 (Accord sur la Lune ou MOON).

            Plusieurs instruments juridiquement non contraignants ont été adoptés par le CUPEEA, tels que les principes et résolutions des Nations Unies adoptés à l’Assemblée générale, ainsi qu’une série de lignes directrices élaborées par le CUPEEA, pour faciliter l’application et la compréhension des cinq traités régissant l’espace extra-atmosphérique. Parmi les résolutions et principes adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies qui sont particulièrement pertinents pour l’Afrique et d’autres pays en développement figurent les Principes relatifs à la télédétection ou Observation de la Terre depuis l’espace extra-atmosphérique, résolution 41/65 de l’AGNU du 3 décembre 1986, et la Déclaration sur la coopération internationale en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique au profit et dans l’intérêt de tous les États, compte tenu en particulier des besoins des pays en développement, résolution 51/122 de l’AGNU du 13 décembre 1996. Ainsi que, les Lignes directrices sur la réduction des débris spatiaux élaborées par le CUPEEA et approuvées par l’AGNU dans sa résolution 62/217 du 22 décembre 2007, et enfin, les Lignes directrices sur la viabilité à long terme des activités spatiales adoptées en 2019. Ces instruments sont particulièrement pertinentes pour tous les États, y compris l’Afrique, dans le contexte actuel d’utilisation accrue des applications spatiales et de dépendance à leur égard.

            1.2 Participation africaine aux travaux du CUPEEA

            Au cours des cinquante dernières années, le Sous-comité juridique du CUPEEA a élaboré un cadre juridique pour garantir l’utilisation et l’exploration pacifiques de l’espace et un accès équitable aux ressources spatiales pour toutes les nations. Le Sous-comité joue un rôle important dans le renforcement de la coopération internationale en matière de droit spatial, en particulier dans les pays en développement. Le CUPEEA compte actuellement 102 États membres , dont 21 sont africains ; seuls dix d’entre eux ( 1/5 des pays africains) assistent régulièrement aux sessions du Sous-comité juridique. [1]Cette faible participation est due à :

  •  Manque d’intérêt ; aucune technologie spatiale n’existe dans la majorité de ces pays africains ;
  •  Manque de connaissance du droit spatial régissant les activités spatiales ;
  • Absence de cursus en droit spatial dans les universités africaines, et très peu d’institutions spécialisées dans ces pays, à l’exception de quelques universités en Egypte, au Kenya, au Rwanda, en Afrique du Sud et au Nigeria.

Ce résultat peut s’expliquer par la faible utilisation des technologies spatiales dans les pays africains et par le fait que la majorité des pays africains ne s’intéressent pas beaucoup au droit et à la politique spatiale nationale et internationale.

Toutefois, les sessions récentes des deux sous-comités du CUPEEA ont vu une légère augmentation de la participation dynamique des pays africains. En 2023, grâce à la rotation géographique utilisée par le CUPEEA pour élire son président, l’Égypte et le Maroc ont été élus présidents du CUPEEA en 2024 et 2025 respectivement. Cela sera bénéfique pour les pays africains pour leur permettre de tirer profit des avantages de la coopération Internationale dans le domaine des activités spatiales en améliorant l’accès aux applications spatiales et aussi l’accès  aux données spatiales.

  • 1.3 Le droit spatial en Afrique 

            Les activités spatiales en Afrique évoluent rapidement, plusieurs pays ont placé des satellites en orbite, créé une agence spatiale et mis en place un programme spatial. Néanmoins, la situation actuelle du droit de l’Espace en Afrique est critique, en raison du faible nombre de ratifications des cinq traités régissant l’espace extra-atmosphérique, par méconnaissance ou par désintérêt ! .    

            1.3.1 la ratification des cinq traités en Afrique

Seuls quelques-uns des cinquante-quatre pays africains ont ratifié quelques traités,  comme le montre le graphique suivant:

Le Maroc est le seul pays ayant ratifié les 5 traités

Une comparaison des ratifications entre les pays asiatiques et africains montre que le taux de ratification des cinq traités spatiaux en Asie dépasse largement celui des pays africains.

            Le graphique suivant montre qu’en Asie, au cours des quinze dernières années, plusieurs institutions nationales et agences spécialisées dans le domaine spatial ont été créées pour promouvoir les sciences et technologies spatiales. En effet, l’Asie dispose aujourd’hui de plusieurs agences spatiales de renom, disposant d’un budget spatial important, dépassant de loin celui des pays du continent africain.

            En 2016, l’Asie a connu des dizaines de lancements réussis de satellites, tandis qu’en Afrique, un seul lancement a été enregistré ( il s’agit d’un satellite algérien).

            À cet égard, un effort considérable est nécessaire en Afrique pour sensibiliser les pays et le public aux avantages de la technologie spatiale, ce qui entraînera également un intérêt accru pour le droit spatial.

            L’Agence Spatiale Africaine (AfSA), ainsi que les organisations gouvernementales et non gouvernementales spécialisées dans les activités spatiales en Afrique, doivent sensibiliser les États à ratifier les cinq traités spatiaux des Nations Unies régissant l’espace afin d’assurer des activités spatiales durables et saines afin de protéger leurs populations des dangers résultant de ces activités.

1.3.2 Législation spatiale nationale en Afrique

            La plupart des pays africains émergents n’ont pas encore établi leur propre législation spatiale bien qu’ils disposent des éléments nécessaires pour en élaborer une.

            La première étape consiste pour les États africains qui ne sont pas encore parties aux cinq traités internationaux relatifs à l’espace à les ratifier. Ensuite, ils doivent sensibiliser les décideurs et les utilisateurs de leurs pays respectifs aux fondements du droit spatial international et à la nécessité d’élaborer une législation spatiale nationale. Un programme de formation sur le droit spatial national doit être élaboré, les universités et les institutions spécialisées doivent inclure dans leurs cursus des programmes consacrés à tous les aspects du droit spatial.

Toutes les activités spatiales nécessitent une réglementation adéquate pour garantir un développement durable et une participation équitable de tous les pays. L’objectif doit être de définir un droit spatial national et une politique spatiale en fonction des besoins du pays et dans le respect des principes du droit spatial international.

            Les éléments essentiels d’une loi spatiale nationale sont les suivants :

  • Autorisation des activités spatiales,
  • Supervision continue,
  • Immatriculation des objets spatiaux,
  • Réglementations régissant l’indemnisation des dommages,
  • Réduction des debris spatiaux.

D’autres aspects qui peuvent être réglementés incluent la protection de l’environnement, la propriété intellectuelle, etc.[1]

La législation nationale contribue également à créer une base juridique pour encourager les activités spatiales privées, tout en veillant à ce que ces activités soient compatibles avec les engagements internationaux de l’État concerné et la protection d’intérêts spécifiques, notamment en termes de sécurité nationale.

 2 – Activités spatiales en Afrique

            Au cours des cinq dernières années, l’Afrique a connu une évolution marquée dans la création par les États de centres nationales ou agences spatiales ainsi que des organisations non gouvernementales dans le domaine de l’Espace. Cela prouve que les États africain s’intéressent de plus en plus aux activités spatiales et aux bénéfices qu’elles peuvent apporter. On compte aujourd’hui plus de seize institutions gouvernementales spécialisées dans le domaine des activités spatiales.[2]

            L’Afrique a compris que les activités spatiales, en particulier les technologies spatiales, sont le meilleur moteur du développement socio-économique de la société. Pour illustrer cela, dans la figure suivante, toutes les institutions travaillant dans les technologies spatiales, les applications spatiales, etc. sont présentées. Elles ne sont pas nombreuses mais l’aperçu montre l’intérêt que l’Afrique commence à porter aux activités spatiales.

Dans le cadre de la stratégie spatiale africaine définie par l’Union africaine [3], plusieurs États ont lancé leurs propres satellites pour répondre aux défis du développement socio-économique de leurs populations. Depuis 2019, une dizaine de satellites de tailles diverses (petits satellites, nano-satellites ou CubeSats) ont été lancés, portant le nombre total de satellites africains dans l’espace à plus de cinquante. La majorité de ces satellites sont dédiés à l’observation de la Terre, certains aux télécommunications, d’autres, nano et microsatellites, à des projets universitaires. Ces satellites ont été construits par les pays eux-mêmes, soit dans le cadre d’une coopération internationale, soit avec l’aide d’autres pays dans le cadre d’une coopération bilatérale.

Aujourd’hui, l’espace est devenu plus accessible aux pays africains. Pour poursuivre cette stratégie, de nombreux satellites doivent être lancés, à l’instar des autres continents. Cela nécessite des investissements majeurs dans l’industrie spatiale. Le budget des activités spatiales africaines a été estimé à 1,9 billions de dollars en 2021 et devrait s’élever à 2,6 billions de dollars en 2026, soit une augmentation de 16,16 % en cinq ans. Le budget global du domaine spatial est de 117 milliards de dollars, 72 satellites devraient être lancés par 20 pays africains, dont six entreprendront leurs toutes premières missions satellitaires.

La figure suivante montre le nombre de satellites africains par Etat

Plusieurs institutions nationales d’exploitation des données satellitaires ont été créées en Afrique[4]. La plupart d’entre elles ont été créées avec l’appui des grands pays spatiaux dans le cadre de projets de coopération.

L’espace n’est pas une option, c’est une nécessité. La technologie spatiale est fondamentale pour les pays africains car elle constitue un outil de prise de décision et de gestion des ressources. Dans le secteur agricole, il est aujourd’hui inimaginable d’augmenter la productivité sans technologie spatiale, que ce soit pour le positionnement, la cartographie ou d’autres fins. Les outils spatiaux sont également présents dans l’aménagement du territoire et dans le secteur de la sécurité et de la défense.

            En fonction des besoins et des priorités des pays africains, diverses applications dans différents domaines ont été mises en œuvre, pour soutenir les politiques de développement socio-économique de chaque pays. En voici quelques exemples :

  •             – Occupation du sol
  •             – Suivi des Dynamiques Pastorales
  •             – Statistiques agricoles
  •             – Inondations
  •             – Assurance agricole
  •             – Systèmes d’alerte précoce pour la sécurité alimentaire

            Pour renforcer les capacités endogènes dans ces domaines, des efforts importants ont été entrepris en termes de programmes de formation et de renforcement des capacités. Plusieurs programmes de R&D sur les techniques spatiales et la télédétection ont été mis en œuvre dans les universités africaines dans le cadre de la coopération internationale.

            3 – Conclusion

            Malgré les efforts déployés par les pays africains dans le domaine des sciences et technologies spatiales, l’Afrique reste le continent le moins avancé et accuse un retard considérable dans le domaine des activités spatiales. Certains pays, comme le Nigéria, l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Maroc et d’autres, manifestent un intérêt accru pour ces activités. Des agences spatiales ont été créées et d’autres sont en cours de création, dans le but est de donner un élan à ces activités et permettre au continent d’avancer dans la R&D, la création et l’innovation..

            Pour que la stratégie spatiale africaine soit un succès, il faut, dans un premier temps, mettre en place un programme africain de renforcement des capacités dans le domaine des activités spatiales dans leur ensemble. Ce programme doit :

– Sensibiliser les décideurs, les gestionnaires de projets, les responsables politiques, etc. aux bienfaits de l’espace,

– Élargir la communauté des utilisateurs,

– Poursuivre les efforts de renforcement des capacités dans les domaines scientifiques et techniques, ainsi qu’en matière juridique et réglementaire au niveau des universités et des institutions spécialisées.

            Une attention particulière doit être accordée au développement de la coopération internationale et des relations avec les organisations internationales, tant gouvernementales que non gouvernementales.

            La création d’une Agence spatiale africaine est un moyen pour l’Afrique d’accélérer ses progrès dans les activités spatiales et de participer dans l’avenir aux projets mondiaux d’exploration de l’espace et d’autres corps célestes. Mais la future Agence spatiale africaine (AfSA) doit aussi inciter les États à réfléchir aux enjeux actuels, tels que, le développement durable et à long terme, la réduction des débris spatiaux, la gestion du trafic spatial et l’exploration des ressources spatiales sur la Lune et d’autres corps célestes.

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[1] Voir également, Recommandations sur la législation nationale relative à l’exploration et à l’utilisation pacifiques de l’espace extra-atmosphérique, résolution 68/74 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 11 décembre 2013.

[2] Rwanda, Kenya, Angola, Nigeria, Sénégal, etc.

[3] https://au.int/

[4] ASES (Sénégal), KSA (Kenya), AGEOS (Gabon) ; etc.

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