De quoi s’agit-il ?
Retour sur un incident mineur annoncé comme une catastrophe planétaire et qui a occupé les canaux de toutes sortes durant une journée au plus : la panne cosmique de Microsoft. Et par la même occasion, un arrêt sur le mot « information » qui mérite d’être visité car il ne reflète plus ce qu’il signifiait à son origine.
Le bug Microsoft est un insecte mini mou
Un incident dont se sont saisis, le temps d’une journée et pas n’importe laquelle, les médias traditionnels, journaux et télés, et qu’ils ont qualifiée à l’aide d’adjectifs incommensurablement exagérés et largement relayé.
Une erreur de mise à jour aurait déclenché ce qui a été considéré comme une catastrophe mondiale, une panne reprise par la même occasion tous les médias du globe. Comme une traînée de poudre, la nouvelle s’est propagée sur les réseaux sociaux et fini par enflammer internet, l’instant expéditif de quelques heures avant d’annoncer le fait éphémère suivant. Et pour donner du crédit à cette annonce, les spécialistes de la communication sont allés réveiller de vieux démons tels que la souveraineté nationale, l’indépendance numérique, l’ingérence intraétatique… et bien d’autres dragons prêts comme s’il s’agissait d’un invasion guerrière sur le point de provoquer des conflits mondiaux : à lire les titres des unes et à croire leurs contenus, nous étions en cette journée du 19 juillet 2024, en alerte générale tout près d’une guerre planétaire réelle et physique et pas seulement numérique. Ladite panne décrite comme ayant été universelle, a touché en tout et pour tout 8.5 millions d’ordinateurs ! Sur combien en circulation et en fonctionnement dans le monde ?
Plus de deux milliard deux cent millions d’ordinateurs sont opérationnels sans compter les 300 millions fabriqués chaque année à côté des milliards de portables ! Comment se fait-il qu’une panne gigantesque, planétaire et cosmique ne concerne que 0.38% d’ordinateurs et ne retienne l’attention de la presse qu’une journée ? Le lendemain de l’annonce apocalyptique, le samedi 20 juillet, les mêmes journaux ne parlaient que des Jeux Olympiques !
A écouter ces sirènes classiques et numériques de l’apocalypse, l’aventure humaine allait signer sa fin le jour d’après. Or rien de ce qui a été annoncé et crié ne s’est produit et nous nous en sommes pas émus ni même surpris, car depuis le temps, nous nous y sommes habitués : nos médias parlent sans pertinence, nos réseaux débitent avec abondance : parler encore et toujours sans contenu original.
Alors, comme des chiens de faïence à l’entrée des temples de l’information, nous dressons nos oreilles aux différents hauts parleurs sans la moindre vérification. Nous entendons des propos apocalyptiques annonciateurs de la fin de la civilisation, de l’extermination de telle espèce animale, de la disparition de telle partie du globe, plusieurs fois par an et nous nous y habituons sans prendre le temps de vérifier. Depuis longtemps, le fait divers qui emporte dans son cours sang et violence, qui relaye tragédies et drames, qui charrie catastrophes et ravages a pour fonction de détourner les regards et l’attention.
Et comme l’a admirablement écrit P. Bourdieu, le fait divers n’est divers que parce qu’il fait diversion, tel un prestigiateur qui profite de l’instant d’inattention pour installer son tour de magie. Le fait divers, une fois passé, il laisse derrière lui un nuage qui couvre et cache complétement le réel, la vraie nouvelle. Alors qu’elle vérité a été occulté par cette présupposée panne planétaire, cosmique, universelle, globale… cette journée du 19 juillet ?
D’abord une digression : un insecte légendaire
Annoncée mais sans jamais avoir eu lieu, la prétendue catastrophe aurait eu pour origine un ‟ bug Microsoft” ; traduisons : à un insecte mini mou, puisque ‟bug” signifie insecte et ‟ Microsoft” se dit mini mou et ainsi la montagne a bel et bien accouché d’un insecte ! Comme on vient de le voir, le mot bug signifie en anglais insecte ou plus exactement papillon de nuit. Et son atterrissage en informatique date du milieu du siècle dernier. En effet, à cette époque, les ordinateurs étaient ce qu’ils ne sont pas devenus aujourd’hui, des machines énormes, extrêmement encombrantes et thermogènes. Pour atténuer des chaleurs étouffantes de la salle des ordinateurs de l’université Harvard, ce mardi 09 septembre 1947, l’informaticienne Grace Hopper, finit par ouvrir les fenêtres et c’est ainsi qu’un insecte s’est invité à tenir compagnie aux ordinateurs. Et vers 15h45, quand une panne survient, Grace Hopper, cherchant l’origine de la panne informatique, elle s’aperçoit qu’un papillon de nuit a fini son vol dans un relais électromagnétique du calculateur Mark II ce qui a provoqué le court-circuit qui serait à l’origine de la panne.
Pour immortaliser cette trouvaille, Grace Hopper a scotché la bête dans son carnet de bord. Et coïncidence troublante : Grace Hopper sonne comme ‟ grasshopper ”, qui en anglais veut dire « sauterelle », encore un bug, pardon, toujours un insecte.
Et l’information ?
Selon la théorie de l’information, au sens traitement de signal théorisé par Shannon, l’information est porteuse de la rareté et elle lui est proportionnelle. Ce qui est le contraire de la redondance à laquelle nous ont habitués les médias.
Autrement dit, par sa rareté, la vraie information est une véritable pépite ! Sauf qu’aujourd’hui, on communique en continue mais on informe que rarement. Pour nous accrocher à cette redondance tous les moyens sont autorisés : du drame, du tragique, de l’émotionnel, du sang. Rarement une génération n’a subi tant de tension devant la surabondance des messages et des dépêches comme la nôtre. Rarement un groupe humain n’a eu besoin de reprendre haleine devant l’assaut continue de matraquage médiatique : il y va de notre santé mentale de respirer de l’air loin des médias.
Pour finir
Avant, les médias exprimaient le réel et décrivaient l’existant ; ils étaient à l’affût de ce qui advenait, le transmettaient avec fidélité et s’effaçaient une fois la mission d’informer accomplie ; actuellement, ils créent le réel. Par la puissance des mots et la force de l’image, ils imposent leur vision de la vérité, fabriquent des gloires passagères et des réussites chimériques : la vedette du matin est vite oubliée avant même la fin de la journée et celle du soir ne l’est plus au réveil. Puisque, de nos jours, échapper aux diversions médiatiques devient un enjeu vital, alors quand les médias crient à la bestiole de Microsoft, le sage doit voir ailleurs, plus haut, plus loin et plus profond. Peut-être, la véritable et rare information de ce 19 juillet était peut-être attendue sur le perron du Tribunal Pénal Internationale de La Haye ?
Par Ata-Ilah Khaouja