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Synthèse de la conférence de M. Thierry de Montbrial (X63), sur « un monde de ruptures ».

Synthèse de la conférence de M. Thierry de Montbrial (X63), sur « un monde de ruptures ».

Ingénieur polytechnicien promotion 1963, M. Thierry de Montbrial a fondé le département d’économie de l’École polytechnique à Paris et l’Institut français des relations internationales (IFRI). L’IFRI qui représente un groupe de réflexion  sur les questions internationales, publie chaque année le rapport Ramses (Rapport Annuel Mondial sur le Système Economique et les Stratégies). C’est suite à la publication du dernier rapport que M. Thierry de Montbrial (TdM), de passage à Casablanca, qu’il a donné le 21 septembre dernier une conférence sur le thème « un monde de ruptures ». Présent à cet événement, LTE magazine vous propose une synthèse de cette intervention et l’échange qui a eu lieu avec le conférencier.

 Un monde de ruptures.

TdM a introduit le thème de sa conférence : « un monde de ruptures » en commençant par nous inviter à revisiter certains concepts qui, pour mieux les comprendre,  exigent des éclaircissements. Démocratie et mondialisation ont retenu son choix pour nous inviter à entrer dans le vif du sujet et à en tirer quelques conclusions pratiques et utiles pour la réflexion.

Démocratie.
Tout d’abord le concept de démocratie, au sens des grandes idées philosophiques, signifie un régime politique où le peuple est souverain et où il existe la possibilité de changer de gouvernement via le suffrage universel. Elle repose sur quelques principes simples : séparation des trois pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire. Mais dans la réalité, on observe que le passage de l’idée philosophique à sa pratique pose quelques difficultés complexes selon les temps et les lieux. Pour bien illustrer l’évolution dans le temps de la démocratie, le conférencier a traité l’exemple de l’élection du président de la république en France. En effet, avant 1962,  le président de la république française n’était pas élu par le suffrage universel. Cinquante-quatre années après, on considère aujourd’hui qu’un président qui ne serait pas élu au suffrage universel en France  ne serait pas démocratiquement élu. Quant à l’évolution dans l’espace, l’exemple de certaines élections américaines a retenu l’attention de TdM, puisque les conditions de l’élection de G.W Bush ont été jugées non démocratiques, principalement en Europe, à cause des problèmes liés au comptage des voix en Floride. Mais les américains n’ont relevé aucune irrégularité ni dysfonctionnement. Et donc pour eux, le processus démocratique a d’abord bien eu lieu et ensuite il a bien fonctionné et enfin a bien permis l’élection du président.

Ces exemples et d’autres plus nombreux peuvent conduire à conclure que la démocratie est un idéal vers lequel on doit tendre mais sa mise en œuvre ne se décrète pas. Pour arriver à des institutions démocratiques, il faut passer par des étapes historiques. Compte tenu des complexités auxquelles on est confronté dans l’implémentation de la démocratie dans les autres pays, TdM tient à dire aux occidentaux de ne pas se positionner comme des donneurs de leçons de démocratie  et de ne pas tenter d’imposer aux autres pays des modèles de démocratie sans tenir compte notamment des processus historiques et culturels propres à ces pays. Pour illustrer ses propos, il a pris  comme exemple le projet raté des Etats-Unis en Irak. Les USA ont essayé d’imposer une certaine démocratie en Irak, sans tenir compte de la culture et de la diversité des populations de ce pays. On en connait la suite dramatique ! Tout le monde peut affirmer facilement que la Corée du Nord est un pays non démocratique. Mais quand on évoque la Russie, il n’est pas aisé d’affirmer que ce pays est démocratique ou non sans revenir à l’histoire du pays. Un autre point qui interroge la démocratie : le referendum. En effet, le  referendum est une notion nouvelle qu’on utilise souvent à tort. Ainsi par exemple, en Angleterre, on a organisé un Referendum pour la sortie de l’union  européenne sans que ce mot existe dans la constitution anglaise. TdM affirme aussi que  la majorité en démocratie est une notion très discutable, car une majorité peut ne pas avoir raison et elle peut parfois se tromper, comme fut le cas avec le Brexit. La montée du populisme, qui est une réaction contre l’élite actuelle, marque aussi la limite de la démocratie et de la notion de majorité. Par ailleurs, le constat qui consiste à affirmer que l’idée de la présence de la démocratie aux côtés de l’économie de marchés implique la paix et la prospérité n’est pas toujours une idée évidente à démontrer. Surtout quand la prospérité est atteinte sans justice sociale ni partage. Ce qui d’après TdM marque la fin du rêve des années 90 de Fukuyama, qui avait prédit dans « la Fin de l’histoire » que la démocratie libérale et le capitalisme étaient l’avenir incontournable du reste du monde.

En résumé : Il est plus aisé de décrire le concept de démocratie que de le définir.

 Mondialisation.

 Concernant la notion de mondialisation ou de mondialisation malheureuse, TdM la définit comme une tendance pour toute unité active de raisonner stratégiquement à l’échelle planétaire. L’actuelle révolution industrielle des technologies de l’information et la mondialisation qui en est la conséquence, remet en question de façon radicale les notions duales de nationalité et de souveraineté. Avec la mondialisation et l’explosion numérique, l’interdépendance a changé de degré, mais surtout de nature. La mondialisation « malheureuse » contribue à un renforcement continu de l’interdépendance non linéaire. L’effet «chaos», découlant du fait que les interdépendances conduisent à des processus non linéaires, est une réalité, dans le domaine économique comme dans le domaine politique. La crise financière, née il y a cinq ans de l’affaire des « subprimes », continue de peser sur les Etats-Unis et sur le monde, et donc de  menacer la croissance dans le monde entier. Le « printemps arabe » est encore loin d’avoir épuisé ses effets. Il est incontestable que la mondialisation porte la marque du libéralisme. Mais les meilleurs penseurs n’ont jamais cessé de rappeler que le libéralisme n’est pas la loi de la jungle. Le vrai libéralisme exige une régulation adéquate, de plus en plus ouverte à toutes les contraintes extérieures, et la plupart des Etats ont moins que jamais la maîtrise de l’environnement international. Aussi, ils perdent le contrôle de leurs situation en interne, en raison notamment du développement non maitrisable des médias et des réseaux sociaux. Enfin, concernant le concept de la géopolitique, TdM précise que c’est en Allemagne que la notion de géopolitique a été utilisée pour la première fois, dans le cadre de l’idéologie nazie. Il fallait attendre  les années 1980, pour assister au retour de l’utilisation de ce concept de géopolitique et ce dans le cadre des guerres qui ravageaient l’Asie.

En bref : Il est incontestable que la mondialisation porte la marque du libéralisme mais les penseurs rappellent que celui-ci n’est pas la loi de la jungle.

Par Ahmed Khaouja

L’échange réalisé par Ahmed Khaouja avec M. Thierry de Montbrial lors de la conférence de Casablanca le 21 septembre 2016 :

-Question à M. Thierry de Montbrial (Khaouja Ahmed) :

« Aujourd’hui il y a une crise de l’intelligence tous azimuts, dans le sens vertical entre le peuple et l’élite et dans le sens horizontal entre les peuples. D’ailleurs l’homme politique n’arrive plus à gérer certains domaines comme la lutte contre la pollution de notre écosystème, les médias, l’internet et les flux migratoires. Ne pensez-vous pas que ce là revient à changer le temps de la démocratie agissant plutôt à court terme et à instaurer un nouvel ordre mondial pour la gestion de ces dossiers épineux ? »

-Réponse synthèse de M. Thierry de Montbrial :

« Concernant les limites de la démocratie à gérer les grands dossiers j’ai déjà parlé de certaines de ses limites dans ma conférence. L’espoir d’une généralisation de la démocratie dans le monde à l’occidentale s’estompe. On assiste, en effet, un peu partout et de plus en plus à une certaine méfiance à l’égard de  l’optimisme démocratique. L’ordre mondial actuellement en vigueur présente quelques failles. Un nouvel ordre doit être posé. Si la recherche d’un ordre minimal est plus que jamais d’actualité pour viser une certaine maitrise de la nouvelle révolution numérique, elle parait encore plus nécessaire pour la gestion des plus grands dossiers de la mondialisation comme la lutte contre le réchauffement climatique ou celle concernant la gestion des autres sujets comme celui de la maitrise des flux migratoires. Donc, quel que soit l’angle sous lequel on envisage l’avenir, la question d’un nouvel ordre international efficace, et donc non militant sur le plan idéologique, s’impose. »

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