A l’ère du e-learning, des MOOCs et de toutes sortes de classes virtuelles, la pédagogie, telle qu’elle a été conçue dès son origine, n’a pas pris une seule ride depuis. Mieux encore, cette même pédagogie, qui en a engendré plusieurs, dont l’inductive ou la déductive, se révèle, aujourd’hui, annonciatrice de nos usages éducatifs les plus actuels dans nos sociétés particulièrement marquées par la révolution numérique. C’est ce que nous allons voir. Notons, au passage, qu’inductive et déductive ne sont que des formes adjectives des verbes induire, et déduire, c’est-à-dire des variantes du fameux verbe conduire, qui proprement, renvoie à éduquer, d’où éducation. Et que l’instruction des enfants se nommait « paideia », et que, le préfixe « paida » veut dire tout simplement enfant. On le retrouve facilement dans certains mots comme pédiatrie ou pédologie. D’ailleurs, ce dernier mot peut s’écrire également paidologie. Education et pédagogie. Nous y reviendrons.
Et entamons, maintenant, l’histoire du mot lui-même. La légende raconte que le pédagogue, à l’origine, c’est-à-dire à l’époque de la Grèce de Platon, était tout simplement, l’esclave qui conduisait un enfant, en général fils du noble, pour aller assister aux leçons du sage et pour apprendre des enseignements donnés, au forum, par Socrate ou par d’autres. L’histoire de cette définition, semble tellement scintiller d’actualité, qu’on dirait qu’elle date fraîchement de ce matin. Elle ne paie pas de mine, certes, mais son récit recèle des trésors magiques, qui sont : « esclave », « sage » et enfin « conduite », ou accompagnement à travers conduire. Et voici pourquoi.
Tout d’abord, arrêt sur le mot « esclave ». A l’époque, était esclave une personne privée de liberté et d’émission d’avis personnel, et qui était, surtout et essentiellement, contrainte d’exécuter des ordres et assujettie à des missions. Que des détails troublants, car ne pas donner son avis et se retrouver obligé de répéter des tâches identiques, c’est se retrouver chargé d’exécuter un programme décidé auparavant. Ce qui annonçait, déjà, le début d’une certaine idée de la « programmation ». Exactement et scrupuleusement, esclave était une personne programmée à reproduire les mêmes actions.
Ensuite, reprenons la « conduite ». L’accompagnement est, en effet, introduit par le suffixe « gogia » qui apporte l’idée de « conduire et pousser l’enfant » sur le chemin de la connaissance. Au vrai sens : éduquer. Il y’avait de quoi, car emprunter des parcours entre le foyer familial et le centre du savoir, relevait de l’aventure et exigeait qu’on y soit accompagné d’une personne plus expérimentée. Parcours, donc déplacement et mouvement. Donc mobilité. Soit moteur.
Enfin, et pour clore cette introduction, terminons avec le mot « sage ». A l’époque, doué d’une faculté de mémoire phénoménale et avant de devenir une véritable bibliothèque beaucoup plus tard, le sage était une authentique encyclopédie. C’était une très lointaine époque, où, apprendre était une véritable expédition, sous un ciel qui ne pleuvait que des gouttes ou des averses d’eau sinon des éclairs d’orages, du son de tonnerres…et de temps à autres des météores. Bref, que des signaux naturels. Qu’en est-il de nos jours, où, le ciel, en plus du naturel, pleut des pixels, des bandes passantes et des fréquences … ?
Posée autrement, la question est : que ferions-nous, aujourd’hui, si nous étions confrontés à un apprentissage nouveau qui exigerait pédagogie ? Sous notre mouchoir, via notre smartphone, par exemple, nous interrogerons un moteur de recherche qui se chargera d’aller chercher dans une encyclopédie et nous ramener la définition, accompagnée d’exemples visuels et auditifs : écrits, images et vidéos ! Retenons de cette dernière phrase, qu’il s’agit d’un « moteur de recherche» qui permet d’ «aller chercher » un savoir dans une « encyclopédie ».
Or, à la différence d’une machine qui ne bouge pas, un moteur, au sens thermodynamique ou mécanique, transforme une ou plusieurs énergies en mouvement. D’autre part, on définit un « moteur de recherche » comme un ensemble d’« algorithmes » à la recherche d’informations logées dans un « serveur ». Or, encore une fois, le mot « algorithme » veut dire programme. Et « serveur », vient du mot « serf », qui signifie exactement esclave ! On dit bien servante, servitude… En un mot : un « moteur de recherche » est un esclave programmé pour aller chercher une information, bien précise, logée quelque part, dans un lieu de savoir, appelé justement « encyclopédie ». Ainsi, par miracle, vous y reconnaîtrez la définition de l’esclave de tantôt. Et, aujourd’hui, qui sommes-nous quand nous interrogeons la toile ? Nous sommes tous aujourd’hui, tout simplement, comme des enfants, nos mains tenues par un esclave-moteur-virtuel à destination du sage-savoir-Wikipédia logé précieusement dans une encyclopédie virtuelle ! Par bonheur, remarquons ces deux petites merveilles : dans le mot « Wikipédia » comme dans « encyclopédie », l’instruction de la jeunesse, c’est-à-dire la pédagogie se trouve à leur fin. Ou à leur finalité, en réponse à pourquoi aller sur la toile : pour apprendre ! Et particulièrement, nous lisons vitesse dans Wikipédia, car, « Wiki » tiré du langage hawaïen, signifie rapide et vite. Nous y sommes à nouveau, puisque, grâce à « Wikipédia », la vitesse reste la distinction décisive entre le pédagogue d’aujourd’hui, circulant, grâce aux télécommunications, à la vitesse, inouïe, de la lumière, et le pédagogue d’antan, traînant les pieds.
Subsistent, tout de même, quelques questions au sujet de notre petite histoire du pédagogue. Celui-ci, en accompagnant le jeune, le devançait-il pour mieux lui montrer le chemin : orientation scolaire? L’interrogeait-il en fin de journée, lors du retour, le long du parcours, sur ses acquisitions : travaux dirigés et partiels ? Prenaient-ils des pauses fréquentes durant le trajet : vacances scolaires ? Changeaient-ils de chemins régulièrement : diversifications des méthodes ?…Peu importe, ce qui compte et mérite d’être retenu, c’est que l’enfant ait quitté l’appartenance à une classe pour la connaissance et la sagesse. Sans le pédagogue, nous serions probablement encore à l’archaïsme des castes et à l’injustice de l’esclavage, et certainement, sans ce noble pédagogue, nous ne serions pas ce que nous sommes aujourd’hui.
Et aujourd’hui, justement, qu’est ce qu’un pédagogue ? Ou bien qu’est qu’un professeur ou un formateur ? Une personne intermédiaire entre un savoir et un public, entre du nouveau et des curieux demandeurs, ou enfin, entre une compétence et un stagiaire. Entre un examen et un référentiel ou un programme. Et revoilà le mot programme qui révèle à nouveau une certaine perte de liberté, celle dont a été privé notre esclave grec. Et pourquoi donc ? Parce que suivre un programme, décidé par un ministère ou une quelconque instance, c’est reproduire un contenu dont on n’est pas décideur. Et d’ailleurs, ce n’est pas pour rien qu’on nomme tous les professeurs de tous les cycles : corps enseignant. Un corps qui exécute ce que décide une âme experte siégeant dans une commission académique, rédigeant des référentiels et dictant des programmes ! Et pourtant, ce très court et négligeable voyage, vers le savoir, initié il y a quelques milliers d’année a changé, profondément, la face du monde et le visage de l’humanité. Je n’ai d’arguments, pour appuyer ce que je viens de dire, que ces propos, murement réfléchis et gracieusement transmis par un très grand sage, avant son départ : « l’éducation est une ARME puissante pour changer le monde ». Des propos qui retentissent profondément comme une foudre. Faisaient-ils l’écho de l’expérience brulante, vécue par l’esclave dont nous sommes partis, et qui serait restée gravée précieusement au plus profond de ses gènes ? Des mots qui jaillissent comme une fontaine. Giclaient-ils sous la pression du souvenir prégnant et très amer, de cette privation de liberté dont il a été victime lui-même et contre laquelle il a, avec une sagesse et pédagogie, lutté toute sa vie et fini par gagner ? Comme la légende du pédagogue, qui ne paie pas de mine, les propos de Nelson Mandela, cités ci-dessus, d’apparence légère, sont d’une profondeur vertigineuse. A l’aide des télécoms, l’éducation devient, pour le bonheur de tous, une véritable arme logicielle de construction massive de l’humain.