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Les enseignements d’Idriss Aberkane à L’INPT

Les enseignements d’Idriss Aberkane à L’INPT

L’Institut National des Postes et Télécommunications (INPT) a organisé, le jeudi 13 février 2020, le premier Digital Job Day.

Au menu, présentations, ateliers de formation en Digital Innovation, speed-dating, témoignages des start-up…

L’évènement a été marqué par la conférence d’Idriss Aberkane, chercheur et conférencier reconnu internationalement (*), intitulée « Intelligence artificielle, algorithmes, physiorithmes et le futur de la monnaie ».

Le conférencier a commencé son intervention par une question au public, venu nombreux : qu’est ce qui est important dans un billet de banque ?

Après un petit silence, il a donné sa réponse : un billet de banque c’est avant tout un numéro de série, porté par un dispositif qui doit garantir deux choses : l’identité et la sécurité. L’identité est celle de l’émetteur (banque centrale du pays) et la sécurité garantie à travers le filigrane, la qualité du design et du papier et le numéro lui-même.

Quant à la crypto monnaie (comme le bitcoin), elle tient à ne garder que le numéro de série, et d’en garantir la sécurité par les techniques de cryptage c’est-à-dire par un dispositif dit blockchain. La blockchain appliquée au bitcoin, interdit entre autres l’existence du même numéro de série en double. La difficulté d’utilisation du bitcoin dans le quotidien tient de la puissance de calculs qu’il faut réaliser à chaque transaction. La confiance du bitcoin est garantie par ces calculs. Le conférencier avance que l’équivalent d’une monnaie comme le bitcoin est un billet de banque qui se fait accompagner à chaque transaction par un historique décrivant toutes les portefeuilles par lequel est passé ce billet de banque !

Après avoir passé en revue l’histoire des bons de trésors, des monnaies et des lettres de change dans le temps et dans l’espace et après avoir expliqué que la monnaie fait partie des techniques utilisées pour le vivre ensemble dans une cité, Idriss Aberkane s’est penché sur l’intelligence artificielle (IA).

Tablette administrative de la période d’Uruk III (v. 3200 av. J.-C.), en signe pictographiques. Musée du Louvre.

Le spécialiste a fait remarquer, au sujet de l’accueil de l’IA par le grand public, que toute vérité ou toute innovation de rupture franchit trois étapes. D’abord elle est ridiculisée. Ensuite, on affirme qu’elle dangereuse (opposition). Puis, à la fin on l’apprivoise et on la considère comme ayant toujours été une évidence. Il a cité à ce sujet l’exemple du big bang et le processus par lequel est passé avant que le Prix Nobel de physique feu Muhammad Abdus Salam l’utilise pour contribuer à sauver la physique théorique au niveau mondial. En effet, le physicien pakistanais a considéré le big bang comme la base du modèle dit standard au niveau de la physique des particules.

Pour Idriss Aberkane, l’IA désigne les dispositifs remplaçant l’homme dans certaines mises en œuvre de ses fonctions intelligentes. Mais, d’après lui, l’IA excède sa définition algorithmique ou sa seule capacité à faire progresser la science pour être une notion à double signification. Elle se veut en même temps une substitution de la « physiorithmie » (1)  c’est-à-dire de ce qui vivant et aussi une manière à répliquer les capacités cognitives des humains pour atteindre des objectifs de manière autonome en tenant compte des contraintes et des obstacles qu’on peut éventuellement rencontrer.

Comme les autres grandes découvertes technologiques, l’IA a débuté dans l’armée américaine et son utilisation était plutôt liée à la prévention des guerres à l’époque de la guerre froide au  XXème siècle. L’intelligence artificielle est une arme à double tranchant. Il faut l’éduquer en fonction de nos attentes : « L’IA est comme un chien. Selon comment on le dresse, il peut rapporter un journal ou tuer quelqu’un ».

Les travaux sur l’IA avancent à grands pas. Il existe plusieurs technologies d’IA (2) et plusieurs types de langages de programmation (3). Mais, en dépit des efforts accomplis, l’Intelligence artificielle demeure à un stade dit faible. Idriss Aberkane explique qu’en attendant, éventuellement, la singularité, l’intelligence humaine reste utile. D’après lui, il est clair que tout ce qui relève de l’intelligence humaine est jugée comme étant plus pertinent que le produit de l’IA. Aberkane a ajouté que l’IA reste faible quand il y a plusieurs degrés de liberté à manipuler sur un plan physique et donne pour exemple la boxe. D’ailleurs, l’américain feu Mohamed Ali gagnait ses matchs car il arrivait à réduire les degrés de libertés de son adversaire dans un espace réduit (boxing is box in) !

Pour preuve de la limite de l’informatique, le conférencier donne deux exemples remontant à la période de la guerre froide entre les Etats-Unis et l’URSS.

Le premier démontre que les Soviétiques et les Américains, en dépit de leurs conflits, ont toujours donné, volontairement ou involontairement, plus d’importance à la décision humaine dans les situations critiques. Brzezinski Zbigniew, ex conseiller du président américain, avait reçu durant une nuit de l’année 1979 vers 02h du matin une alerte sur une éventuelle attaque soviétique via l’envoi de 2.000 missiles sur les USA. Au moment où il a reçu cette alerte, il devait prendre deux décisions nous explique le conférencier : réveiller ou non sa femme et informer ou non ses supérieurs. Il s’est abstenu pour l’une et l’autre car pour lui si cette attaque est réelle, il serait trop tard d’informer la hiérarchie. La réaction normale suite cette alerte serait d’ordonner une frappe contre l’URSS. Déclarer une guerre aurait causé des dégâts à toute la planète. Quelques heures après, il avait été informé qu’il s’agissait, d’une fausse alerte. Il s’agissait, tout simplement, d’un exercice de simulation, auquel s’adonnaient les officiers américains concernés. Or, si l’alerte avait été reçue par un ordinateur, il aurait donné l’ordre d’attaquer l’URSS.

Le deuxième exemple porte sur la décision du colonel russe Stanislay Petrov. Durant une nuit de l’année 1984, il avait remarqué sur son ordinateur une vingtaine de missiles prêts à attaquer la Russie. Après réflexion, il s’est dit qu’il était impossible d’envisager d’attaquer la Russie uniquement par une vingtaine de missiles ! En s’abstenant de relayer l’information et de riposter, cet homme a sauvé plusieurs vies. Les missiles qu’il croyait percevoir n’étaient autres que des ondes radio parasitaires provenant de l’univers. Petrov a été quand même traduit devant un conseil de discipline militaire pour ne pas avoir alerté à temps la hiérarchie et il a été dégradé en conséquence. Heureusement qu’on a fini par comprendre son geste après la destruction du mur de Berlin et on l’a réhabilité. Au début des années 90, il a été décoré solennellement par les Américains et les Russes pour son geste courageux.

Idriss Aberkane souligne que les décisions importantes ne doivent en aucun cas émaner uniquement d’une action purement informatique. Les deux exemples démontrent bien la suprématie, jusque-là, de l’Humain sur la machine.

Le conférencier introduit la notion du rapport Artificiel/Intelligence, par analogie avec le rapport qualité/prix, pour mesurer le niveau d’intelligence des machines. Il affirme que le rapport Artificiel divisé par l’Intelligent reste aujourd’hui faible en attendant l’arrivée de la singularité, c’est-à-dire la conscience artificielle, même s’il n’y croit pas trop !

Le secret de la supériorité de l’intelligence humaine ou animale réside dans sa capacité à percevoir l’ambiguïté, ce qui est loin d’être le cas de de l’intelligente artificielle. Aberkane indique que ce qui est facile pour l’homme est plus difficile pour l’IA. Exemple : préparer une crêpe.

Pour éclairer notre lanterne, le conférencier prend pour exemple les photos d’identité sur les passeports. Ces photos doivent être simples sans sourires ni grimaces afin que l’IA de reconnaissance faciale puisse les identifier.

Le conférencier conclut sa conférence en citant Vladimir Poutine Président de la Russie et Elon Musk homme d’affaire américain fondateur de Telsa et de SpaceX.

Pour Vladimir Poutine, « L’IA est le futur et le pays leader dans l’IA sera le pays maître du monde ». Pour Elon Musk, « l’intelligence artificielle pourrait menacer la civilisation humaine. D’où la nécessité de bien la réguler ».

A la fin de cette conférence, Idriss Aberkane s’est prêté au jeu des questions-réponses avec le public. Voici quelques réflexions de l’expert :

-Ceux qui pratiquent des jeux sont ceux capables de prendre plus de décision. Ainsi, les chirurgiens les plus performants sont ceux qui pratiquent les jeux de société !  Certains pays l’ont bien compris comme la Corée du Sud qui a introduit les jeux dans la formation et à tous les niveaux.

– Les smartphones que nous utilisons actuellement à longueur de journée sont plus puissants que les ordinateurs de calculs informatiques utilisés par la NASA dans les années 60 !

– En dépit du fait que l’IA dépasse l’homme dans les jeux d’échecs et le jeu GO, elle reste une Intelligence faible. Il est plus facile pour une machine dotée d’une IA de gagner un match de jeux d’échec devant Garry Kasparov que de préparer une crêpe.

– Les meilleures machines intelligentes au stade actuel utilisent des technologies composites de l’IA telles que la technologie des algorithmes évolutionnistes combinés avec celle des neurones.

Deux questions de LTEMagazine à Idriss Aberkane :

Q1-Vous avez parlé brièvement de la singularité dans votre conférence. Est-ce qu’on peut l’envisager dans un futur proche ? Concrètement est ce qu’on peut voir un jour une machine dotée de l’IA rire devant des vannes prononcées par un humoriste ?

R1-J’ai introduit la notion du rapport Artificiel divisé par l’Intelligence pour mesurer le niveau d’intelligence des machines. Aujourd’hui, ce rapport reste à un stade faible. Je pense que ce rapport restera faible dans le temps étant donné la complexité de nos cerveaux et l’incapacité des machines à traiter les ambiguïtés. Donc je ne crois pas beaucoup à l’avènement de la singularité.

Q2-Le philosophe français René Guenon affirme que personne ne peut arrêter le progrès. L’américain Elon Musk que vous avez aussi cité dans votre conférence évoque le risque de la disparition de la race humaine avec L’IA. Qu’pensez-vous ?  

R2-Je ne pense pas que l’IA va nous dominer. L’écrivain célèbre Nassim Nicholas Taleb accuse d’ignorance les experts qui prétendent tout prévoir avec leurs instruments supposés scientifiques y compris l’IA. Selon lui, notre monde est dominé par des phénomènes imprévisibles.

Par Ahmed Khaouja.

(*) Idriss ABERKANE est un génie précoce, né en 1986. Il est titulaire de trois doctorats à 29 ans, auteur de plusieurs livres dont “Libérez votre cerveau !” traduit dans plusieurs langues. Il est spécialiste en neurosciences appliquées et aussi éditorialiste au magazine Le Point. Professeur d’économie de la connaissance aux USA, son essai “Economie de la connaissance” a été traduit en chinois, anglais et coréen. Idriss Aberkane a donné plus de cent conférences sur quatre continents. Il crée en 2009 un opérateur de microcrédit agricole à taux zéro dans la vallée du fleuve Sénégal.

(1) physiorithmie : un concept que Idriss Aberkane a conçu pour désigner tout système régi par quelque chose de vivant.

(2) Principales technologies appliquées dans l’IA : Réseaux Neurologiques, les systèmes experts, logique floue, agents intelligents et Algorithmes génétiques.

(3) Il existe aussi plusieurs langages pour la programmation de l’IA. Python est le langage préféré des développeurs de l’intelligence artificielle grâce à la simplicité de sa syntaxe. Java est un autre langage de programmation qui permet de coder l’intelligence artificielle. C++ est le langage le plus rapide, sa rapidité est très appréciée pour les projets d’intelligence artificielle qui sont limités dans le temps. LISP est un vieux langage de programmation et des améliorations ont été apportées pour en faire un lange puissant et dynamique. R est l’un des langages de programmation les plus efficaces pour analyser et manipuler des données dans un but statistique.

 

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