mercredi , 25 décembre 2024

La régulation de l’internet, est-elle une nécessité ?

L’Internet, est un service mondial ouvert au public, dont l’accès se fait à travers les différents réseaux de télécommunications : fixes, mobiles ou satellitaires. L’information internet est échangée, facilement sur ces réseaux télécoms, en ignorant les frontières et ce grâce à un ensemble standardisé de protocoles de transfert de données. Internet, constitue actuellement une toile puissante de communication et de diffusion de l’information, par le biais de diverses applications. Il se présente ainsi comme la première base mondiale de la connaissance.

Mieux, le rôle du consommateur sur internet évolue en devenant plus actif que par le passé. Pour  l’entreprise moderne d’aujourd’hui, l’internet est devenu un outil utile et indispensable, à un moment, où il est en train de transformer profondément les mentalités et les structures économiques et sociales.

Chaque jour, on consulte divers contenus sur des sites web et diverses applications. A l’occasion  de ces consultations, les géants de l’internet suivent nos traces, analysent nos besoins et stockent nos profils, afin de les vendre éventuellement à des entreprises pour le besoin du ciblage marketing.

Au début, l’internet a évolué parallèlement au monde réel des biens et services. Les régulateurs et les hommes de droit étaient, au démarrage de l’internet, moins regardants sur ce qui se passe sur la toile pour ne pas perturber l’innovation et le progrès d’une part et pour respecter la neutralité du net d’autre part. Mais devant l’augmentation de certains abus et infractions, et  de la nécessité  de mieux encadrer les positions dominantes, la mise en place d’une régulation et d’un droit spécifiques à l’internet, imposé par la force publique local ou par les conventions internationales, est devenue inévitable. L’internet s’est vu imposer, dans un premier temps,   les règles applicables au monde réel et dans une deuxième étape, s’est vu dicter de nouvelles règles qui lui sont propres. La dimension mondiale d’Internet complique l’application du seul droit classique. Souvent, le propriétaire d’un site web ne réside pas dans le même pays que le destinataire du message ou l’utilisateur du site. Les nouvelles applications sur internet, telles que celles en relation avec le phénomène des « Big Data » ou « Grandes données », qui constituent un nouvel Eldorado pour les grandes firmes sont de nouveaux chantiers pour les experts en droit.

Plusieurs tentatives de régulation de l’internet ont été entreprises par de nombreux Etats et par certains groupements régionaux comme l’Union Européenne.

La première tentative a été entreprise aux Etats Unis après la promulgation en 1996 de  la loi dite « Communication Decency Act (CDA) », par l’Administration Clinton et le Congrès des Etats-Unis. Cette loi avait  pour objectif de réguler le contenu indécent, sur Internet afin de protéger les mineurs. Après ses débuts d’application, en juin 1997, trois juges de la Cour fédérale de Philadelphie ont rejeté cette loi, estimant qu’internet a le droit d’être mieux protégé contre toute forme d’ingérence du gouvernement fédéral des USA.

Par la suite la cour a demandé aux autorités publiques de trouver d’autres alternatives à cette loi afin de protéger les enfants contre toutes formes de violence sur le cyberespace. Ainsi, après l’annulation de cette première loi, d’autres lois ont été adoptées pour réguler certains contenus sur internet. La loi dite  « Child Online Protection Act » (en 1998) et celle dite « Children’s Internet Protection Act » (en 2000) visent à obliger l’installation du matériel et des  dispositifs visant à protéger les enfants des sites illicites chez les fournisseurs d’internet ou dans les écoles. Enfin, la loi dite « Patriot Act », adoptée après les évènements du 11 septembre 2001, est venue pour renforcer les pouvoirs des autorités américaines  en matière d’observation et d’analyse des contenus véhiculés  sur Internet.

Le 19 janvier 2012, la justice des USA a fermé le site web Megaupload, créé en 2005 par Kim Dotcom, en utilisant le droit classique du copyright. Ce site proposait des services gratuitement aux internautes du monde entier, tels que la musique. Accusée d’avoir violé les lois fédérales concernant les droits d’auteurs.

La Commission européenne a désapprouvé la fermeture de Megaupload ainsi que plusieurs associations. Pour ces dernières, les USA qui ont décidé cette fermeture à cause des pressions exercées par les différents lobbies, pratiquent deux poids et deux mesures, en faisant bénéficier Google de l’exception par rapport à la loi dite de copyright.

En France, on a commencé le processus de régulation par l’application des règles juridiques préexistantes. Le Conseil d’Etat avait précisé, en juin 1998, dans son rapport consacré aux réseaux numériques  que  « L’ensemble de la législation existante s’applique aux acteurs d’Internet. Il n’existe pas et il n’est nul besoin d’un droit spécifique de l’Internet et des réseaux. ».

Même si la France a réussi en 2001,  à obliger le portail américain Yahoo à supprimer un contenu nazi, qui n’était pas en harmonie avec sa législation, on s’est rendu compte de l’inefficacité de l’application du seul droit classique à l’internet. Ceci à cause, d’une part, du caractère transfrontalier de l’internet et, d’autre part des évolutions techniques et très rapide de ses applications. Aussi, des difficultés particulières, sont-elles apparues en relation avec l’application du droit pénal ou commercial, telles que celles liées aux commissions rogatoires ou à la détermination des preuves pour le besoin de la justice.

Ainsi et pour compléter le droit existant, la France a adopté la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour faire régner la confiance dans l’économie numérique. Cette loi constitue le fondement du droit de l’Internet, du  commerce électronique et de la cyber-sécurité. Elle constitue une transposition de de la directive de la commission européenne 2002/58/E du 12/7/2002, qui porte sur le traitement des données à caractère personnel et sur la protection des données dans le secteur des communications électroniques.

Au Maroc, on a essayé d’entreprendre la même démarche qu’en France. On a commencé par modifier certaines lois existantes afin de s’adapter à l’internet. Dès lors, on a pensé dans le cadre de Maroc numérique 2013, à la mise en œuvre d’un projet de code du numérique, projet qui a été élaboré mais retiré ensuite.

En plus de la loi n° 53-05 relative à l’échange électronique des données juridiques et de la celle  n° 09-08 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel, on peut citer les modifications apportées aux textes existants, en rapport avec la régulation de l’internet. La loi n° 31-08 du 18 février 2011 édictant des mesures de protection du consommateur et notamment le chapitre 2 du titre IV, relatif aux pratiques commerciales et qui traite des contrats conclus à distance ; la loi n° 07-03 complétant le code pénal en ce qui concerne les infractions relatives aux systèmes de traitement automatisé des données qui prévoit , par exemple, le régime pénal pour l’accès frauduleux et pour l’entrave du fonctionnement d’un système automatisé et la loi n° 2-00 relative aux droits d’auteur et droits voisins telle que modifiée et complétée par la loi n° 34-05 qui prévoit dans ses articles 65-3 à 65-15, et pour la première fois, un régime de responsabilité des prestataires de services en matière d’atteinte et de viol des droits d’auteur et droits voisins , y compris pour les prestataires en ligne.

Face aux différents dérapages constatés ci et là, il devient urgent d’entamer une réflexion profonde, au niveau international, sur les voies et moyens d’une régulation plus efficace de tout ce qui se rapporte à l’internet.

La gouvernance d’Internet est débattue à travers plusieurs sommets mondiaux dont notamment ceux organisé par l’Union Internationale des télécommunications en 2003, 2005 et en 2012. Pour mémoire, rappelons la déclaration du Sommet Mondial de la Société de l’Information, tenu à Genève en 2003 et à Tunis en 2005 «  L’Internet est devenu une ressource publique mondiale et sa gouvernance devrait être un point essentiel … La gestion internationale de l’Internet devrait s’exercer de façon multilatérale … avec la pleine participation des Etats, du secteur privé, de la société civile et des organisations internationales. ».

 Il ne s’agit nullement de revenir en arrière, en instaurant une censure du contenu au niveau des plates formes des réseaux,  mais plutôt de trouver des solutions appropriées dans le cadre d’une concertation internationale comme l’explique le Secrétaire Général de la Commission Nationale Informatique et libertés (CNIL) en France,  en affirmant en 2015 : « Je me méfie des chimères qui consiste à croire qu’on peut bâtir des murailles qui permettent à chacun de rester chez soi. La question est plutôt : comment on construit des articulations qui permettent aux droits d’être respectés

Le processus de régulation doit être conçu selon des actions à envisager en amont, comme la création d’une entité spécialisée  au niveau international, rattachée à l’ONU par exemple, et dont les missions qui lui seraient confiées consisteraient notamment à chercher par exemple à responsabiliser les producteurs de contenus. Envisager une régulation et un code de conduite mondial pour un service aussi vaste qu’internet relève de l’utopie. En effet, l’internet offre aujourd’hui une multitude de services (messagerie instantanée, Facebook,  big data…..). La conception et la mise en œuvre d’un tel processus de régulation infaillible touchant l’ensemble de ces services nécessitera certainement une vraie intelligence de la collectivité internationale.

A ce stade, il y a lieu de souligner positivement, les actions de la Cour de Justice Européenne, qui a rendu une décision en mai 2014, obligeant Google, à partir de 2014, à appliquer le droit à l’oubli aux citoyens européens sur la plateforme Google. Application déjà opérationnelle pour les citoyens européens sur Google  en attendant qu’elle soit généralisée aux autres géants de l’internet comme Yahoo. Récemment, le 15 avril 2015 précisément, la Commission européenne a envoyé à Google une plainte en relation avec le fait que Google donne avantage à  son propre service de comparaison de prix, en violation des règles de l’Union européenne en matière d’ententes et d’abus de position dominante. Si cette plainte aboutit elle va constituer certainement  une jurisprudence en la matière pour que les autres pays, y compris le Maroc, puissent aussi porter plainte contre Google, sur le même sujet.   

Certainement, et en absence d’une coordination internationale pour une meilleure régulation de l’internet, on s’acheminera certainement vers une situation plus entropique par rapport à ce que Aldous Huxley avait prédit pour la télévision dans son roman paru en 1932 « Meilleur des mondes ». En effet comme a dit le professeur John Naughton en 2013 : «Nous avons oublié l’intuition d’Huxley. Nous n’avons pas réussi à nous rendre compte que notre emballement pour les jouets élégants produits –combiné à notre appétit apparemment insatiable pour Facebook, Google et d’autres entreprises qui fournissent des services « gratuits » en échange de détails intimes de notre vie quotidienne– pourrait bel et bien se révéler comme étant un narcotique aussi puissant que le soma l’était pour les habitants du Meilleur des mondes

Des mesures adéquates doivent également être prévues en aval, pour éduquer le producteur, le consommateur  d’internet ainsi que le public en général.

Il est ainsi urgent, d’inculquer  chez  l’usager d’internet, c’est à dire le grand public, une éducation leur permettant d’avoir un regard critique sur le contenu qu’on leur présente et sur les risques encourus sur cette  toile. Ce grand public englobe d’abord les enfants mineurs. Ainsi, il est essentiel de mettre en place une véritable formation, non seulement sur l’usage des technologies liées à l’Internet, mais aussi sur la façon d’utiliser celles-ci.

Par Ahmed Khaouja

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