Nous célébrons le dixième anniversaire de notre magazine en ce mois de juillet. Les lignes qui suivent relatent, de manière singulière, un récit du nombre dix.
Au récit
C’était une journée comme les précédentes de cette semaine de trek estival dans l’erg Zahar-M’Hamid où il faisait très beau : le soleil, la chaleur, le désert, toujours le sable. Une journée comme ses sept jumelles antérieures où s’enchaînaient marche, repos, marche, ravitaillement, marche bivouac… Sept jours où nous n’avions vu que du sable : aucune présence humaine à part notre minuscule groupe, ni témoin de civilisation fixe à l’horizon : pas de pont ni de route, encore moins des bâtiments. Hormis des toiles pour dresser nos tentes, nos outils rudimentaires de cuisine et nos téléphones, rien d’artificiel autour de nous, ni ombre de végétation ni aucun animal à part des oiseaux rodeurs à des hauteurs élevées à la recherche de traces de restes de vie à mettre sous le bec…
Nous étions subjugués par cette nature vierge et immaculée où, tous les jours au réveil, les plages dorées de sables du Sahara ressemblaient à des pages blanches d’un livre : après le passage des vents forts nocturnes, aucun indice de campement ni aucun signe de déplacement… Nous étions accablés par la fatigue cumulée depuis des jours et des nuits de marches. Pour nous encourager à apprécier notre trek ou pour éviter de la lassitude à nos pensées, le guide nous racontait que nos pieds foulaient des endroits uniques au monde si chargés de sens, d’histoire et de passé, qu’on se croirait randonner dans un musée à ciel ouvert. Le sable que nous foulions par nos pieds, dit-il, est témoin de centaines de civilisations toutes disparues : chaque grain de sable est un mot, chaque mètre carré est une page et chaque dune est un volume d’anthropologie, de sciences naturelles, d’histoire…
D’après lui, nous foulions des ossements desséchés dignes d’archives ancestrales : traces d’années tragiques et terribles, des tueries entre les caravanes ; des guerres autour d’oasis d’eau… Il continua en racontant que depuis des millénaires, la vie végétale et animale ainsi que le temps humain… -Taisez-vous, je crois entendre des pleurs ; hurle soudainement un des nôtres. Nous nous moquâmes terriblement de notre ami et nous prenions sérieusement ses propos pour des hallucinations auditives dues au mal du désert. Nous continuions à nous moquer de ce que nous prenions pour des délires… – Silence ! Cette fois-ci avec un air péremptoire et directif. Il a fermé ses yeux comme l’aurait fait un solitaire absorbé par sa méditation puis nous indique la direction que nos oreilles devaient scruter. Nous concentrions toute notre ouïe vers la direction imposée et nous nous apprêtions à sortir de la tente…
…quand soudain, titubant, complétement négligé, à bout de force, barbouillé de pleurs et de poussière, un petit garçon se jeta parmi nous au milieu de la tente…
Dès la première vue, nous avions compris qu’il était complètement épuisé et il est tombé de tout son corps sur le sable devant nous, au milieu de la tente. Son état l’aurait fait chuter même sur du marbre ou sur des braises ardentes. Fini les moqueries… place au secours. Après deux à trois heures, nous avions réussi très difficilement à lui faire reprendre conscience. A coup sûr, sans ces retrouvailles extraordinairement surnaturelles, une caravane aurait piétiné, dans un lendemain proche un squelette léger ou bien dans un futur lointain des débris d’ossements réduits à des grains de sables.
A l’intérieur de la tente, tendu, crispé, affolé par nos différentes langues qu’il ne comprenait pas, il refusait, dans un premier temps, de boire et de manger et ne disait pas un seul mot ; il tremblait de peur et du froid de la nuit…Pendant ce temps, notre ami à l’oreille fine avait dispersé les autres amis sur le sommet des dunes les plus hautes alentour ; en leur ayant demandé de braquer leurs torches électriques, vers le ciel et de lancer des signaux discontinus pour attirer l’attention d’éventuels humains lointains qui circuleraient encore à cette heure tardive de la nuit…
A quelques heures de distance, les parents, nomades depuis des générations et habitués des errances nocturnes, avaient aperçu les modestes phares allumés et envoyés dans le ciel par nos camarades. Fins connaisseurs de ces situations, ils avaient compris nos signes et ils sont arrivés à l’aube…
Retrouvailles émues entre le fils réapparu et la famille attristée arrivée à dos de chameaux. Les joies du moment nous ont privés de sommeil jusqu’au lendemain. Dans la tente, autour du guide, nous apprenions avec beaucoup d’effort et de difficultés, que le garçon et sa famille se sont perdus depuis plus de trois jours.
Avant la séparation, alors que les montures étaient prêtes au départ, je me suis rendu compte que j’avais dans mon sac une merveille technologique : le transcripteur Sonix équipé de la plus récente des IA. Afin d’immortaliser cette rencontre miraculeuse, unique et invraisemblable, je me suis dirigé vers l’enfant qui commençait à donner des signes de confiance, et j’entamais ma discussion par : quel âge as-tu, que mon Sonix lui a traduit immédiatement et à haute voix ? Et là stupéfaction : sur l’écran s’affichent :
Жәашықәса схыҵуеит, Umu lon siploh thon, የአስር አመት ልጅ ነኝ, عمري عشر سنوات, Ես տասը տարեկան եմ, মোৰ বয়স দহ বছৰ, Дир анцӀго сон буго . हम दस साल के हई, Миңә ун йәш, من دہ سال ئے اُمرا آں, আমার বয়স দশ বছর, हम दस साल के बानी, Мне дзесяць гадоў, အသက်က ဆယ်နှစ်ပါ။, Би арбан наһатайб, Аз съм на десет години, عمري عشر سنوات, 我十歲, 我十岁了, 我十歲了, මට වයස අවුරුදු දහයයි, 나는 열 살이다, من ده ساله هستم, Ɣɛn nɔŋ run kaa thiäär, އަހަރެންގެ އުމުރުން ދިހަ އަހަރެވެ, मैं दस साल दा हां, ང་ལོ་བཅུ་ལོན་ཡོད།, Un ɖo xwe wo, ათი წლის ვარ, Είμαι δέκα χρονών, હું દસ વર્ષનો છું, אני בן עשר, मैं दस साल का हूं, Sangapulo ti tawenko, Saya berumur sepuluh tahun, 私は10歳です, Aku umur sepuluh taun, ನನಗೆ ಹತ್ತು ವರ್ಷ, Мен он жастамын, ខ្ញុំមានអាយុដប់ឆ្នាំ, Мен он жаштамын, Mono kele ti bamvula kumi, Ang bisi chisa wngkha, Меным дас арӧс, меным дас арӧс, हांव धा वर्सांचो, تەمەنم دە ساڵە, Ngineminyaka eyishumi ubudala, Am naa fukki at, tôi mười tuổi, میری عمر دس سال ہے۔, Мені десять років, ben on yaşındayım… I am ten years old, من ده ساله هستم, Sɛiɣ mraw n yiseggasen, ⵖⵓⵔⵉ ⵎⵔⴰⵡ ⵏ ⵢⵉⵙⴻⴳⴳⴰⵙⴻⵏ, tengo diez años…
Dans plus de 243 idiomes, c’est-à-dire, dans la majorité des langues officielles, l’enfant venait de me répondre qu’il avait dix ans. Dix ans, à l’image de l’âge de Lte magazine et dans 243 langues à l’image des pays où sont lues ces lignes. Très satisfait des performances de mon transcripteur, je lui envoie, via mon Sonix, mes félicitations pour son exploit à son âge ; qu’il a bien reçu et répondu par un sourire timide. Décidé à continuer l’exclusivité de l’entretien et résolu à transmettre le récit du scoop à tous nos lecteurs, je me suis rapproché encore plus de lui. Alors qu’il avait déjà pris place sur le dos de la bête, je prépare mon Sonix et j’entreprends de poursuivre le dialogue… et là je ne sais pour quelle raison, la gueule du chameau s’est saisie de ma joue et me mordit énergiquement. Il continuait à me mordre et à remuer ses mâchoires comme pour se venger encore de m’être trop rapproché de l’enfant retrouvé… Je hurlais de toutes mes forces, le cœur, qui a frôlé l’arrêt, a failli sortir de sa cage…complétement en nage… le réveil sonna les coups de six heures du matin pour me rappeler gentiment que c’est la fin du rêve et qu’il est temps de se préparer au travail !
Par Ata-Ilah Khaouja
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