La langue de bois est-elle maternelle ou paternelle ?
mai 12, 2025
tribune libre
De quoi s’agit-il ?
L’origine de l’expression ‘’ langue maternelle ‘’ cache un secret de pouvoir et de puissance dont la langue paternelle détenait, jusqu’à récemment, la clé qu’elle vient de transmettre à la langue de bois ; et cette dernière n’est ni exclusivement maternelle ni paternelle ; autrement dit, elle est androgyne : à la fois maternelle et paternelle.
La naissance d’une langue
La langue maternelle est née au cœur des cellules familiales, quelque part en Europe durant les XVème, XVIème siècles dans la bouche des mères, comme l’adjectif y renvoie. En ces temps et en ce continent, le droit, la médecine, le culte… parlaient exclusivement latin.
En effet, à cette époque, la langue utilisée par les mères pour faire comprendre le monde à leurs enfants, était méprisée et reléguée aux fourneaux et aux ménages. Et le latin s’était imposé comme le seul idiome capable de traduire le monde, de réguler les rapports humains et de guérir les maladies. Pendant que, dehors, sciences, culte et droit péroraient en latin, dans les foyers, par contre, on parlait la langue vernaculaire, la vraie, celle avec laquelle les mères initiaient les enfants à la vie et à l’avenir. La langue de l’amour et de la douceur, la langue de la bonté et de la grâce, la langue des petits et des grands soins… la langue des sentiments authentiques et des émotions sincères… était confinée.
La langue maternelle est une fenêtre ouverte sur le monde disent les chinois ; une fenêtre certes, mais depuis un chez soi, où la mère prend le soin d’utiliser le mot juste avant de le nettoyer et de l’essuyer ; où la mère arrose et fait vivre des mots desséchés et insensibles grâce à l’éclat de ses sourires et de ses rires ; où la maman fait, surtout, chanter et danser des paroles grâce à un cœur grand comme l’Univers. Une ouverture sur le monde extérieur, bien évidemment, mais à partir d’un logis où la mère dépoussière, de ses larmes, des expressions arides et stériles… la langue maternelle doit énormément sinon tout à la mère.
Et justement, cette langue maternelle est venue au monde pour défier l’autre langue des professions et du dehors, pour braver le jargon latin professionnel, langue dite paternelle qui a élu domicile dans les campus universitaires, dans les quartiers religieux et dans les couloirs des tribunaux.
Langue paternelle
Si la langue maternelle, très chère à chaque être humain, est affectueuse, attendrissante, aimable, accueillante, attendrissante… son contraire qui est la langue paternelle est raide, rude, dure, aride… Comme rappelé ci-dessus, les pouvoirs universitaire, juridique et théologique, estimaient, durant des siècles, que seul le latin était capable de traduire fidèlement science, médecine, droit et textes monothéistes.
Née donc il y a des siècles dans les campus universitaires, entre les murs des remparts religieux, scientifiques et dans le secret des institutions juridiques, la langue paternelle qui était l’affaire du droit, de la médecine et de la théologie, s’est emparée, actuellement, des économistes et des informaticiens, des médias et des politiques de tous bords. Dit pudiquement, la langue paternelle s’adapte et épouse son temps, c’est-à-dire, qu’elle prête main forte, plutôt langue rodée et dorée aux nouveaux pouvoirs en place sans contrepouvoirs : économie et média.
Et la langue de l’Administration que nous rencontrons tous les jours, est au mieux, le meilleur exemple de lague paternelle. ‘’Administration’’ avec un le grand ‘’A’’ qui déboîte la mâchoire et provoque la tendinite ! Bref, nous sommes condamnés au quotidien et à chaque moment à la langue de l’Administration car c’est elle qui relaye, par excellence le droit et les décisions politiques, mais qui nous décourage de toute compréhension : des mots, expressions et tournures qui nous paraissent tels des hiéroglyphes indéchiffrables et que nous tentons de déchiffrer sans y arriver facilement.
Heureusement que nous quittons ce type de langage et le délaissons derrière nous, dans nos open-spaces et dans nos bureaux, pour reprendre notre vrai habit et notre véritable nature bavarde dès que nous regagnons le seuil de nos demeures. Imaginons un court instant que nous nous adressions, aux personnes qui nous sont chères, à l’aide de ce style techniciste, ne serait-ce qu’une fois et juste pour en mesurer l’effet : nous serions traités, au moins de déraisonnables et d’insensés, sinon, ce sont la folie et la démence qui nous seront collées.
C’est, à coup sûr, la meilleure manière de provoquer autour de nous raillerie et stupéfaction et finir isolés et seuls. Imaginons un instant, et à titre d’exemple uniquement, que nous utilisions ce vocabulaire avec ceux que nous aimons et qu’au lieu de les inviter à partager un repas convivial, nous leur dirions qu’ils seront conviés pour optimiser notre algorithme relationnel ou encore pour maximiser notre capital de lien social ! Quand nous parlons ce langage paternel professionnel, composé de codes et de normes, nous ressemblons à des perroquets qui saisissent des mots au vol et répètent des bruits sans la moindre vie ni pensée.
Cette distinction entre langue maternelle et paternelle est tout simplement le prolongement d’une vielle légende qui ne dit pas son nom : la langue maternelle est celle du silence de la grotte et la langue paternelle est celles des hurlements véhéments et des aboiements épouvantables de la chasse. Et notre drame d’hier, a été décrit merveilleusement bien par Aldous Huxley : ‘’ avoir des sentiments shakespeariens et en parler comme des vendeurs d’automobiles… ou des professeurs d’université ’’… Et actuellement, notre tragédie est de parler, d’écrire et d’échanger comme une seule personne, pardon, comme une seule misérable machine appelée Intelligence Artificielle ! Nous serons bientôt des êtres sortis, en série, de la chaîne à penser, comme sortent les objets fabriqués tous les jours : enchaînés !
Mais au-delà de langue paternelle, succède une autre beaucoup plus pernicieuse et autrement perfide, qui n’a ni généalogie ni parentalité, qui n’est ni maternelle ni paternelle car elle peut être les deux à la fois…
Langue de bois
La langue de bois, n’est pas née au XVème siècle ni au dernier, elle est arrivée bien plus tard, du moins son nom. D’ailleurs, son entrée dans le vocabulaire courant a été localisée, d’après certains linguistes, en Europe de l’Est vers les années 50, pendant que d’autres la voit échapper à la guerre froide, en Allemagne, durant les débats des années 80.
Qu’importe, ce langage n’a ni adresse ni appartenance moderne particulière puisqu’il est commun à toutes les cultures et à toutes les civilisations : il a fait rapidement son chemin et est devenu omniprésent sous toutes les latitudes.
Parce que le bois est un isolant, donc il ne permet pas la transmission de courant, la langue de bois est, elle aussi un isolant qui entrave toute circulation de communication comme le chèque de bois qui vide et creux, lui aussi, ne permet aucune transaction et déclenche des conflits. La langue de bois, pire que la langue paternelle, ne dit rien, ni de vrai ni de faux, car elle est faite pour ne rien dire de précis : malgré toutes ses tournures, interchangeables à merveille, elle ressemble à un squelette où les mots ne sont que des os desséchés.
Deux femmes exceptionnellement numériques
Une exception rare et unique : elles s’appellent Ibtihal ABOUSSAAD et Vaniya AGRAWAL ; elles ont étudié, toutes les deux, dans les plus prestigieuses universités du monde ; à Harvard, elles ont approfondi et maîtrisé tout ce que charrie le numérique : informatique quantique, Intelligence Artificielle… d’authentiques femmes numériques ; avant d’occuper des postes de responsabilité et d’encadrement dans l’une des remarquables entreprises des géants de l’informatique ; de véritables pionnières du numérique et de l’intelligence humaine, elles ont concentré, à elles seules, tout ce qu’il faut pour enflammer, au moins, la langue paternelle, sinon, user de la langue de bois.
Sans langue paternelle ni de bois, elles ont préféré s’adresser, dans une langue maternelle pure et sincère, pleine de vie et de vérité, à leur patron pour dénoncer la mort et les mensonges…
Par Ata-Ilah Khaouja