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Hisba et régulation : entre la législation musulmane et le droit positif

Hisba et régulation : entre la législation musulmane et le droit positif

بقلم السيد أحمد بن حميدة(*)

Dans son acception générale en droit musulmane, la Hisba englobe la régulation comme concept constituant l’un de ses domaines de prédilection. Mais ce concept a changé en raison de l’évolution, et le fond de la Hisba est devenu incompatible avec le concept de régulation, notamment à l’époque actuelle.

Comme équivalent au terme contrôle (réglementation, organisation ou régulation selon certains pays), nous avons choisi le mot «Régulation», qui prend à peu près le même sens en anglais et en français. Son utilisation a commencé et s’est étendue avec la vague de privatisation qui a balayé les pays occidentaux pour toucher le reste des pays, en particulier après la création de l’Organisation mondiale du commerce en vertu de l’Accord de Marrakech en 1994.

Selon les données historiques disponibles, l’utilisation du contrôle comme concept remonte aux années trente du XXe siècle, bien que ce concept se concentre désormais sur l’organisation (encadrement) de la concurrence et la protection du consommateur, il se limitait, avant la libéralisation des marchés, à la surveillance d’un marché monopolistique, notamment le marché américain, qui était contrôlé par un seul acteur, en l’occurrence la société « ATT »[1].

Le marché américain de la téléphonie a connu l’entrée de nombreux nouveaux acteurs aux côtés d’ATT, situation qui a conduit au chaos, dont les répercussions se sont rapidement répercutées sur le consommateur, de sorte qu’il n’était pas techniquement possible à l’époque d’utiliser la connexion entre réseaux (interconnexion), de sorte qu’un client de l’une des entreprises devait être abonné à d’autres réseaux s’il souhaitait contacter leurs abonnés.

La société «ATT» a profité de ce déséquilibre et l’a défendu, car il lui garantissait en quelque sorte le monopole du marché aux États-Unis. Contrairement à d’autres compagnies situées uniquement dans des zones limitées, ATT a pu profiter de l’expansion de son réseau au niveau de toutes les régions afin de garantir aux abonnés de son réseau la possibilité de communiquer avec tous les autres abonnés, quelle que soit leur présence géographique. De cette manière, ATT est devenue la seule compagnie sur le marché à offrir ce service, ce qui a créé une grande préoccupation pour l’État américain quant à la manière de préserver les intérêts des consommateurs et de contrôler les prix de l’entreprise monopoliste.

Dans la poursuite de ces objectifs, la Commission Fédérale de la Communication (FCC) a été créée en tant qu’agence spéciale chargée de la «régulation» et du contrôle des prix payés par les consommateurs. Le processus de régulation est déterminé à ce stade, en traquant un seul acteur puisque la concurrence est inexistante. «ATT» est resté la cible des recours en raison de sa position de monopole, jusqu’à ce que le juge Green de la Cour suprême rende une décision ordonnant l’éclatement d’ATT en plusieurs sociétés régionales.

Cet éclatement a eu lieu pendant une période de négociations sur le commerce mondial, qui ont débuté en 1976 pour réformer le système commercial mondial, connu sous l’acronyme de « GATT », ayant abouti comme mentionné précédemment à l’Accord de Marrakech en 1994. Une vague de privatisation du secteur des télécommunications s’en est suivie dans de nombreux pays. L’Union européenne a été amenée à adopter le principe de la libéralisation à partir de 1998 et le Maroc a suivi le rythme de ces changements en promulguant la loi 24-96, qui a mis fin au monopole et ouvert le marché des télécommunications à la concurrence et à l’initiative du secteur privé.

L’un des objectifs les plus importants que de nombreux pays aspiraient à atteindre en termes de décision d’ouvrir le marché à l’initiative privée, réside sans aucun doute dans la création d’un environnement approprié pour une concurrence loyale entre les acteurs. La prestation de services sera ainsi garantie sur tout le territoire national ce qui permettra également de diriger les coûts davantage vers la baisse grâce à la recherche constante de créativité et d’innovation dans le domaine de la production et de la commercialisation des services et de la concurrence en matière de technologies plus efficaces susceptibles de réaliser des progrès technologiques au profit des consommateurs. Cependant, la multiplicité des acteurs sur les marchés commerciaux est associée à la possibilité d’émergence de plusieurs aspects de la déviation, dont la collusion commerciale nuisible à la concurrence, l’entente illicite, la concentration économique de nature monopolistique « Cartel », l’émergence d’un acteur dominant qui impose son hégémonie aux dépens d’autres concurrents, etc.

Afin d’éviter ce qui précède et d’autres manifestations de déviation, les pays ont créé des organes de régulation en vue de mettre en place les conditions appropriées pour la pratique d’une concurrence loyale sur le marché. Aux États-Unis d’Amérique la régulation est passée du contrôle d’un seul acteur, en l’occurrence l’ATT, au contrôle de plusieurs acteurs ce qui a constitué un changement fondamental dans la fonction de « FCC ».

Par ailleurs, la Hisba en Islam a connu des évolutions parallèles à celle de la société musulmane et à la complexité de ses relations. La base juridique de la Hisba se trouve dans le Saint Coran, de sorte que tous ceux qui ont traité le sujet conviennent que son origine est incarnée par le principe de « l’ordonnance du bien et l’interdiction du mal », qui est l’un des principaux fondamentaux caractérisant la religion de l’Islam.

Ce principe est mentionné et exhorté dans le Saint Coran, comme indiqué au verset 157 de la sourate al-A’raf, qui déclare explicitement que le prophète Mohamed, que Dieu le bénisse et lui accorde la paix, ordonne le bien et interdit le mal, comme le dit ce verset : « Ceux qui suivent le Messager, le Prophète illettré qu’ils trouvent écrit (mentionné) chez eux dans la Thora et l’Évangile. Il leur ordonne le convenable, leur défend le blâmable, leur rend licites les bonnes choses, leur interdit les mauvaises ».

La Hisba trouve sa source directe dans le Saint Coran à travers de nombreux versets, que certains ont tenté d’appréhender, comme l’a souligné l’auteur Abi al-Rahman Sadiq ben Mohamed al-Hadi, dans son ouvrage intitulé «Contemplation des versets de Hisba» Riyad 1433 de l’hégire, et la mention de la Hisba dans le Saint Coran au niveau de dix-huit versets.

La contemplation de ces versets et d’autres note que leur objectif, comme indiqué précédemment, est d’encourager le bien et d’interdire le mal, ce qui ne peut se produire qu’avec l’instauration d’une nation prospère comme indiqué dans le Saint Coran. Le verset 110 de la sourate Al Imran dit explicitement : (Vous êtes la meilleure communauté qu’on ait fait surgir pour les hommes vous ordonnez le convenable, interdisez le blâmable.) Il n’est pas possible de parler d’une nation meilleure que les autres, à moins que celle-ci ne jouisse d’un équilibre dans ses relations religieuses, sociales et économiques. Des versets traitant des transactions commerciales et financières ont été mentionnés dans le Saint Coran, y compris ce qui a été cité à plusieurs reprises, comme les Madianites du peuple du Messager Chouaib, qui ne donnaient pas la pleine mesure. Le Messager Chouaib leur a alors interdit cela, s’adressant à eux : (Donnez donc la pleine mesure et le poids et ne donnez pas aux gens moins que ce qui leur est dû. Et ne commettez pas de la corruption sur la terre après sa réforme…) verset 85 de la sourate Al-A’raf. La sourate Al-Mutaffifin, l’explique d’ailleurs clairement dans les versets 1, 2 et 3 : (Malheur aux fraudeurs qui, lorsqu’ils font mesurer pour eux-mêmes exigent la pleine mesure, et qui lorsqu’eux-mêmes mesurent ou pèsent pour les autres, [leur] causent perte).

Dans le domaine financier, l’Islam a interdit l’usure et prohibé son utilisation. Les versets qui traitent du sujet de l’usure dans le Saint Coran sont divers et nombreux. Afin d’apporter la preuve sur cette interdiction, nous nous limiterons au verset 29 de la sourate al-Nisa qui dit: (O les croyants! Que les uns d’entre vous ne mangent pas les biens des autres illégalement. Mais qu’il y ait du négoce (légal), entre vous, par consentement mutuel), ce qui indique l’existence du dol, de la fraude et autres pratiques nuisibles si les biens sont pris injustement, d’autant plus que ces pratiques ne résultent pas d’un consentement mutuel, même en droit positif.

Certes le mot Hisba n’est pas mentionné dans le sens qu’il a pris avec le développement de l’État dans le monde musulmane, mais force est de constater qu’en tant qu’activité visant à protéger le consommateur ainsi que les pratiques honnêtes et la morale publique, la Hisba était pratiquée à l’époque du prophète Mohamed, que la Paix et la Bénédiction d’Allah soient sur Lui. Le prophète avait interdit à l’un des vendeurs de produits alimentaires du marché de la Médina de placer le contenu mouillé en bas et celui sec sur le dessus, en l’ordonnant de montrer les produits aux acheteurs, ce qui prouve le respect qu’accord l’Islam à cette éthique dans toutes les transactions.

Cet exemple est la preuve sur l’engagement du Messager, que la Bénédiction et la Paix d’Allah soient sur lui, quant au concept de transparence tel qu’il est connu aujourd’hui. Dans ce contexte, il y a lieu de citer que le Prophète Mohamed, que la Bénédiction et la Paix d’Allah soient sur lui, avait chargé Omar et d’autres personnes de pratiquer la Hisba sans que cela ne s’arrête depuis lors.

À l’ère de l’État abbasside, le Calife al-Mamoun avait nommé une personne pour s’acquitter exclusivement de cette tâche, en raison de sa connaissance jurisprudentielle et de sa rigueur dans le travail. Lorsqu’il avait constaté que l’un des vendeurs du marché de la Médina mettait le produit mouillé au-dessous et celui sec au-dessus, il lui avait ordonné de mettre le produit mouillé visible aux acheteurs, ce qui qui constitue un engagement envers ce qu’on appelle aujourd’hui la transparence même dans la période après la mort du Messager, que la Bénédiction et la Paix d’Allah soient sur lui.

La Hisba a été pratiquée dans toutes les régions du monde, y compris au Maroc. De nombreux juristes et savants ont écrit de centaines d’ouvrages sur le sujet. Parmi les plus importants, il y a lieu de citer l’ouvrage du savant et érudit Ibn Khaldoun intitulé «Al Muqaddima» ainsi que celui de l’Imam Al-Ghazali. De nombreux juristes andalous ont traité du sujet de la Hisba, pour ne citer que l’Imam Al-Saqati qui a pratiqué cette discipline, et a publié un ouvrage intitulé «L’éthique de la Hisba» dans lequel il a compilé les subterfuges frauduleux qui étaient pratiqués par certains marchands et artisans comme les bouchers et autres.

Au Maroc, avant le protectorat, toutes les villes du pays avaient un Mohtassib, tel qu’il résulte de l’ouvrage : (La Hisba au Maroc : hier et aujourd’hui, Michel Zirari Devil)[2]

Pour de nombreuses raisons, y compris d’ordre économique et sociétal, la pratique de la Hisba et du Mohtassib a baissé au cours de la période susmentionnée, jusqu’à la Loi 82-02 promulguée par Dahir 1-82-70, datée du 28 chaâban 1402 (21 juin 1982) publiée au Bulletin Officiel n°3636 du 7 juillet 1982. Cette loi a spécifié certaines attributions du Mohtassib dans les articles 1 et 6 qui s’est vu conférer d’autres compétences en vertu des articles 7 et 8.

Il est à noter que le champ d’intervention du Mohtassib n’est plus aussi large qu’il l’était auparavant. Il semble que le développement des produits commerciaux, les avancées technologiques et les complexités économiques aient eu un impact majeur sur le déclin de l’utilisation du calcul comme concept et comme transaction.

Avant l’avènement de la loi 82-02 promulguée en 1982 relative aux attributions du Mohtassib et des oumana des corporations, d’autres textes sont apparus qui ont ôté certaines attributions du Mohtassib au profit des agents d’autorité, ce qui a abouti à la limitation de l’étendue de son intervention. Cependant, la législation qui a réduit le champ d’intervention de la Hisba et du Mohtassib consiste dans les dispositions établissant les attributions du président de la commune locale. Au début, il y a eu la promulgation de la loi de 1976 relative aux communes locales, suivie par les dispositions de la loi organique n°113-14 promulguée par Dahir n°1-15-85du 20 ramadan 1436 (7 juillet 2015) publiée au Bulletin Officiel n° 6440 du 18 février 2016.

L’article 100 de cette loi stipule que le président du conseil de la commune exerce la police administrative, par voie d’arrêtés réglementaires et de mesures de police individuelles, portant autorisation, injonction ou interdiction, dans les domaines de l’hygiène, la salubrité, la tranquillité publique et la sûreté des passages. L’article 101 y ajoute d’autres attributions dans le domaine de l’urbanisme. Cependant, l’article 110 de la même loi exclut plusieurs attributions importantes au profit du Gouverneur de la Province ou de la ville ou de son représentant, mais le Mohtassib reste dans tous les cas à l’écart de ces domaines.

Par ailleurs, les dispositions de la loi 99-6 sur la liberté des prix et de la concurrence, promulguée par le Dahir n° 1-00-225 du 2 rabiâ I 1421 correspondant au 5 juin 2000, dont de nombreux articles ont été abrogés en vertu de la loi 104/12 sur la liberté des prix et de la concurrence promulguée par Dahir n° 1-14 116 du 2 ramadan 1435 correspondant au 30 juin 2014. L’abrogation en question a été spécifiquement mentionnée à l’article 110.

Ainsi, si l’institution du Mohtassib est restée établie, ses attributions en vertu des dispositions légales successives, se sont limité au contrôle de la qualité et des prix des services et produits de l’artisanat et/ou des produits agricoles. Les produits alimentaires, les boissons et les produits hygiéniques, sont restés semble-t-il l’apanage du champ d’intervention du président du conseil de la commune.

Parmi les résultats de ces développements législatifs, il y a lieu de citer la réduction du rôle et du champ d’intervention du Mohtassib. De nouvelles institutions et instances ont vu le jour, dont le plus important est le Conseil de la Concurrence en tant qu’organisme jouissant d’attributions générales, qu’il exerce aux côtés d’instances privés, tel est le cas pour le secteur des communications et des technologies de l’information, qui est supervisé par l’Agence Nationale de Réglementation des Télécommunications, instituée conformément à la loi 24-96 précitée.

(*) M. Benhmida Ahmed, enseignant et juriste ayant pratiqué le droit chez un opérateur télécom est titulaire d’un DES en droit sur le sujet « Le patrimoine commun de l’humanité dans les Télécommunications spatiales ». Mémoire soutenu 1989 à la faculté des sciences Juridiques, Economiques et sociale de l’Université Hassan II.

[1] American Telephone& Telegraph

[2] Disponible sur internet

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