Par Ata-Ilah Khaouja
Fréquentation humaine
Alejandra et Mauricio LOPEZ, avaient préparé, depuis bien longtemps, le voyage de leur vie qui les mènera de Paris, comme première station, à d’autres villes européennes. Mariés depuis 1994, sans le moindre trouble sérieux et menant une vie de couple sans nuage majeur, ils viennent de se libérer de leurs attaches professionnelles pour découvrir, enfin, la vie de retraités heureux durement méritée. Elle a cessé, après 35 années de missions à l’aéroport de Caracas, puisqu’elle était médecin urgentiste au service des passagers transitaires en quête de soin ; il a rendu le képi de chef d’escale au même aérodrome laissant derrière lui ce qu’il estime avoir été plus de trois décennies de loyaux services. Après avoir vu le monde entier défiler entre ses mains à elle et devant ses yeux à lui, ils ont décidé de découvrir et parcourir le monde.
Un tel voyage ne se prend pas à la légère, au contraire, il exige organisation et impose élaboration. Alors, ils ont tout prévu et sont partis sans laisser aucune décision en suspens : factures payées, comptes apurés, enfants prévenus, petits enfants avisés… rien n’a été oublié. Le rêve de deux vies sur le point de se réaliser. Et le projet est sérieux : plus de cinquante jours passés à prévoir les détails des étapes, les déplacements et les séjours entre les étapes… arrêts, sites à visiter ; hôtels où se reposer ; les spécialités à déguster ; les achats à ne pas manquer…
La destination parisienne en cette période de mi-juillet n’a pas été choisie tant pour les festivités liées aux JO 2024, que plutôt, pour fêter leur union et marquer le début d’une tournée qui les amènera à parcourir toutes les capitales européennes jusqu’à Helsinki au Nord, Athènes au Sud, Bucarest à l’Est et Lisbonne à l’Ouest. Bref, après une préparation dont la minutie est digne de la gestion d’une expédition à bord d’un sous-marin nucléaire, le voyage peut enfin commencer : le vol ORY-M-235, qui a emprunté un A380 ce lundi 20 juillet, vient de se poser à 19h32, après 12h56 de vol, sur le tarmac Terminal 2. Impressionnés par la vue de la Tour Eiffel alors qu’ils étaient encore suspendus dans le ciel, basculant la tête vers l’arrière en lançant un de ces soupirs qui rappellent l’aboutissement à un sommet après une ascension longue d’une dizaine d’heure. Deux soupirs suivis de : finies les auscultations urgentes, pour elle ! Lui : adieu inspections de bagages, de papiers, d’appareils et de voyageurs !
Arrivés devant la police de l’air et croyant à une formalité d’usage de paperasse policière et douanière, ils se voient invités à suivre l’autorité dans un bureau où les attendait le premier interrogatoire de leur vie commune. Ahuris et ébahis tous les deux, en réalité elle plus que lui ; pensifs et soucieux tous les deux, plutôt lui plus qu’elle, ils se demandaient ce qui se passait.
Comme tous les interrogatoires bien préparés, menés par des douaniers professionnels et conduits par des agents expérimentés, allant d’interrogations rassurantes en questionnements intrusifs, la révélation tombe : monsieur était, dans le passé, au cœur de plusieurs affaires criminelles à ramifications internationales entre la Colombie, Panama, Brésil et le Venezuela. Des informations confirmées par les échanges d’information entre police des airs et des frontières de la France et du Venezuela, le jour même, alors que les deux voyageurs étaient encore en vol. La femme criait à l’usurpation d’identité de son mari qu’elle connait bien depuis trente ans de mariage. En tout cas qu’elle croit bien connaître ! Pendant ce temps, Monsieur suffoque devant des agents fossoyeurs et étouffe face à des automates de la machine administrative qui exécutent ce que l’outil informatique dicte sans la moindre considération à sa femme à qui il a voué toute une vie et avec qui il veut terminer les derniers kilomètres de son existence.
Fréquences démoniaques
Pendant que Monsieur répondait à des questions bien précises qui démontraient que l’agent en face connaît plus de choses sur des faits survenus une dizaine d’années avant la constitution du couple. Ce que Monsieur LOPEZ a déjà lui-même oublié, l’officier en face déroule dans les plus fins détails des faits que Monsieur confirme. Les choses commencent à paraître claires pour Madame qui voit ses trente années de mariages réduites à un vide vertigineux.
Bref et merci l’informatique, un passé triste, passé sous silence et enterré par Monsieur, vient d’être exhumé par la police de l’air. Du fait de l’informatique qui ne connait pas l’oubli, à cause certainement d’une erreur car les faits sont prescrits par la justice, du fait des fréquences qui ont permis d’accéder aux différents échanges et aux réseaux sociaux probablement, à cause d’exécution machinales c’est-à-dire inhumaines, le voyage vient de changer de destination.
A cause d’une informatique diabolique, Alejandra et Mauricio qui s’apprêtaient à visiter les hauts lieux de la culture européenne et à vivre des moments de bonheur, vont devoir revoir tous leurs projets ; finis les plats savoureux rêvés, adieu les visites insolites et merveilleuses programmées, au revoir les cadeaux déjà listés ; voilà qu’ils volent maintenant vers le divorce et la séparation.
La véritable erreur reprochée à Monsieur aujourd’hui, vue la prescription dictée par les dates des faits, ce n’est pas tant les délits criminels passés que d’avoir dissimulé tout cela à celle qui est censée tout connaître sur son fidèle de mari. D’avoir négligé de parler à sa femme de ce qui s’était passé avant de la connaître. Jamais le mot diabolique n’a pris son véritable sens comme dans cette situation : étymologiquement, en effet, le mot diable composé du préfixe dia qui veut dire « à travers » et diable qui vient du grec « bellein » qui signifie la parole. Le diable étymologiquement, c’est la parole qui se jette à travers, c’est-à-dire c’est le mot qui sépare deux ou plusieurs personnes. C’est exactement ce que fait cet agent qui jette des paroles tirées de l’inhumaine informatique, des impardonnables réseaux sociaux, du cruel et ineffaçable internet. Bref, dit autrement, des paroles tirées des fréquences informatiques et de la mémoire de la machine et jetées en pâture à travers des humains arrivés unis et qui, après, devraient maintenant repartir séparés à cause de l’œuvre des fréquences entièrement démoniaques !
Pour conclure
Ainsi, en une fraction de seconde, le temps qu’a pris le clic informatique pour partager les informations entre le Venezuela et la France, Paris s’est transformée en la capitale de l’abominable, de la discorde et de la désunion. La faute n’est pas due à Paris, bien évidemment, ni même au Monsieur car, comme déjà dit, les faits sont prescrits, c’est-à-dire pardonnés par la justice mais, le drame de l’informatique diabolique c’est qu’elle ne connait ni oubli ni amnistie, et avec elle, tout est éternisé, chaque geste est immortalisé, tout souffle est perpétué.
Chers voyageurs, avant de décoller vers vos prochaines destinations, vers vos noces à célébrer ou vos divers anniversaires à fêter, assurez-vous, juste entre les préparatifs du voyage et les valises soigneusement bouclées, assurez-vous que l’informatique classique vous a oubliés. En attendant l‘informatique quantique qui dévoilera demain, peut-être, ou bien l’année prochaine, surement, dans les détails, tout ce que l’informatique classique aurait omis, par exemple : comment Monsieur a réussi à intégrer une fonction sensible, chef d’escale tout de même, après quelques mois uniquement de faits criminels sur lesquels il est interrogé aujourd’hui ?
Par Ata-Ilah Khaouja