jeudi , 28 mars 2024
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Et pourtant Elle apprend !

Et pourtant Elle apprend !

Serions-nous ce que nous sommes aujourd’hui si nous étions parfaits ? Nous apprenons pour corriger nos imperfections et améliorer nos réalisations. Serions-nous ce que nous sommes actuellement si nous étions satisfaits de notre première invention? Nous apprenons pour dépasser nos frustrations et l’emporter sur nos déceptions. Enfin, serions-nous ce que nous sommes à présent si nous n’avions pas délégué la première tâche pénible et corvéable ? Nous apprenons pour mandater nos pénibles activités et pour externaliser nos fonctions.

Un parfait imparfait !

Tout d’abord, nous sommes nés inachevés, capables de rien. Les animaux sortent des ventres maternels équipés et doués d’activités qui exigent, à l’humain, des mois ou des années pour les accomplir : le cheval par exemple, une heure après sa naissance, se lève, marche et fait le tour de l’étable sans être accompagné, et dans la semaine, le voilà dehors en train de gambader et de sauter dans les champs avec ou sans la présence de ses parents. Le cheval, parfait qu’il est dès sa naissance, n’a aucun besoin de s’initier ni à la position debout ni à s’entraîner à la marche. L’homme, quant à lui, a besoin de deux mois rien que pour tenir sa tête droite, et ne mange pas seul avant 5 ou 6 mois. Et pour marcher, il doit d’abord vaincre, après plusieurs tentatives échouées, le vertige de la position debout. Ensuite, après des chutes bien douloureuses des fois, il commence enfin à peine à marcher, c’est-à-dire pas avant un an. Et, enfin, il ne vit pas sans ses parents avant l’âge de … 20 … 30 ans !

Si les bébés des tortues marines, à peine sortis  des œufs enfouis dans le sable, prennent sans le moindre apprentissage la direction de l’océan, et non celle de la terre ferme, cela prouve leur perfection dès leur naissance. Ces bébés tortues prouvent également leur avancée gigantesque par rapport à l’espèce humaine : il nous a fallu, à nous les humains, combien de millénaires pour qu’enfin nous soyons équipés de GPS, faillible par moments ?

Aucun animal, ni le cheval ni la tortue marine ne vivront cette aventure unique, exceptionnelle et exclusivement humaine : pour se mettre à marcher, l’Homme a d’abord essayé sans succès, il a multiplié les chutes, les pleurs… il a appris à marcher ! Et pour s’orienter, il a erré et tournoyé d’abord, il s’est égaré et s’est perdu, ensuite il s’est référé, tout au début, aux étoiles avant d’inventer la boussole et les cartes géographiques… et avant de découvrir, enfin, tout récemment, le fameux GPS, dont certains animaux sont équipés dès leur arrivée au monde.

Nous sommes complètement démunis et sans aucune connaissance à la naissance mais nous devenons au fil des âges ce que nous sommes grâce à nos imperfections. C’est parce que nous sommes imparfaits que nous sommes condamnés à évoluer et à actualiser sans cesse notre intelligence. Les animaux sont programmés à rester encagés dans leur première investiture naturelle, parfaite et instinctive, alors que l’Homme, lui, il est programmé à vivre entièrement déprogrammé hors de toute cage instinctive.

Mais toutes ses aventures, à travers les temps et les lieux, que l’humain va vivre se déduisent et se déroulent, comme d’un dévidoir, des premiers pas hésitants et douloureux vécus dans un logis très étroit : toutes les expéditions et tous les voyages s’étirent des premiers pas appris par le petit homme, dans le salon en tenant à ses parents. Tous les livres écrits sortent de la toute première lettre alphabétique écrite grossièrement ou gravée maladroitement. Tous les bavardages aboutis et bien soignés qui sont racontés sur le Globe doivent leur mérite à ces premiers balbutiements hésitants et bégayants qu’un tout petit bonhomme s’exerçait à répéter pour plaire à ses parents. Bref, tous les succès que l’être humain collectionnera à travers les âges vont se succéder, par alternance, aux erreurs qui servent de guides et où les victoires prennent appui sur l’échec. Comme deux sœurs siamoises, l’erreur et la victoire sont inséparables et la chute instruit et éclaire le  chemin à la victoire, comme un phare dans l’océan des possibles. C’est l’imperfection qui est féconde et porteuse de succès.

L’infatigable insatisfait.

C’est parce qu’il est tout le temps insatisfait de ses réalisations que l’homme passe continuellement d’une innovation à l’autre. Si la première invention était parfaite, pourquoi serait-elle remplacée par une autre. Entre la toute première pratique, fondatrice certes, des communications réalisée à l’aide de partage de signaux de fumée et la première expérience du transport de la voix se trouve un fossé énorme à peine croyable.

Et entre cette même expérience et le smartphone en passant par le téléphone filaire en bakélite noire, s’est creusé un gouffre vertigineux dont seule l’histoire des sciences est témoin et dont seuls quelques musées à travers le monde gardent des traces.

Mais si le premier téléphone filaire en bakélite noire attaché, comme un animal domestique, à une prise a satisfait des générations, il a poussé les générations suivantes insatisfaites à passer du noir au gris, au vert… Et la bakélite, lourde a été remplacée par une matière légère et on a rajouté un écouteur pour une troisième personne… Et un répondeur a été installé à côté pour prendre des messages en cas d’absence… Et de proche en proche, chaque insatisfaction a participé de son mieux à produire du nouveau provisoire avant d’être démodé et, ce, jusqu’à la 5G qui nous guette et qui, à son tour trouvera, des insatisfaits qui vont pousser la recherche à la remplacer.

Un autre exemple hors télécoms : tous les avantages de la découpe laser ont pour origine la première pierre taillée. Ou plus précisément, tous les bénéfices et tous les privilèges qu’offre la découpe laser, elle les doit aux défauts de la première pierre mal taillée. Si l’Homme était totalement satisfait de sa pierre taillée, la toute première, aurait-il jamais cherché à atteindre la découpe laser ? C’est l’insatisfaction qui crée du nouveau.

L’éternel délégataire

A chaque découverte, nous confions les tâches répétitives aux produits de nos découvertes et nous externalisons ainsi de plus en plus nos fonctions.

Le premier coup de poing donné par le premier homme dans le tronc d’un arbre ou contre le crane d’une quelconque bête a dû lui faire mal, tellement mal qu’il a vu l’os de sa main se briser. Pour préserver son os de toute fracture, l’Homme va alors continuer à s’empoigner mais en externalisant son squelette d’abord dans une pierre, ensuite dans le fer du javelot ou de son armure, dans le métal du char et ainsi de suite jusqu’au nucléaire. Quand une forteresse de technologie bombarde les terres dites ennemies, c’est pour éviter le face à face squelettique entres les armées adverses. Première révolution : nous avons externalisé l’ossature dure.

Même s’il vivait loin de toute idée de confort, le premier effort musculaire a été tellement éprouvant pour l’homme qu’il a songé à le déléguer à la machine…. à vapeur : l’homme, en inventant la thermodynamique, a délégué aux machines le travail de ses muscles et ce qu’ils permettent. Et c’est la deuxième révolution : nous avons externalisé la musculature douce. Bref, dès que nous répétons des gestes, manuels ou mécaniques nous robotisons : nous déléguons à des machines l’ennui de la répétition.

Et depuis peu, nous ne cessons de parler d’Intelligence Artificielle qui ne cesse de visiter tous les domaines : médecine, justice, jeu d’échec… et qui se prépare à prendre en charge une partie de nos pensées rationnelles. Et cette fois-ci, ce sont nos talents cognitifs répétitifs, qui sont confiés à des algorithmes qui continueront le travail à notre place. Dès que nos tâches, mêmes si elles sont intelligentes, se réduisent à la comparaison, nous déléguerons aux programmes qui vont réussir là où nous nous ennuyons. Tel l’exemple de cette intelligence Artificielle qui a défié toutes les chroniques ces derniers jours à propos d’un tableau d’art très célèbre de Rubens. Estimé à presque 8 millions d’€, toujours accroché à National Gallery de Londres, le fameux tableau, selon l’Intelligence Artificielle Art Cognition, ne serait pas authentique à 91,8%… Troisième révolution : nous avons externalisé notre virtuel.

Le mot de la fin.

Le titre et pourtant Elle apprend, calquée sur le cri de Galilée, « et pourtant elle tourne » au sujet de notre Terre nourricière, marque une constance : comme la terre qui continue de tourner, les jeunes générations apprennent malgré tout ce qu’on pourrait en penser. L’intelligence naît des regards frais et des idées nouvelles apportées par les moins âgés d’entre nous. Le « Elle » c’est la terre entière de Galilée, c’est-à-dire notre humanité : l’humanité ne cesse d’apprendre car elle chemine vers sa destinée sans GPS ni instinct. Elle est programmée pour rester toujours en dehors de tout programme.

Par Khaouja Ata-Ilah

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