mercredi , 11 décembre 2024

ENTRETIEN AVEC M. MOUNIR KALAM

Mounir Kalam a plus de 30 ans d’expérience, comme manager de grands projets, dans les télécoms. Récemment il a eu un Master en Développement Durable et économie circulaire. Nous le remercions d’avoir accepté de nous accorder cet entretien en dépit de son agenda chargé.

  • Lte magazine : Jusqu’aux années 90, en plus des divers branchements aux réseaux des compagnies de distribution de l’énergie électrique on avait besoin en plus pour les commutateurs ou les centre de transmission : des batteries, des redresseurs, des onduleurs et souvent aussi des groupes électrogènes. Aujourd’hui tout semble changer avec l’apparition de nouveaux équipements comme les routeurs, les data centres, les énergies renouvelables et les équipements associés. Comment on peut synthétiser l’évolution de la fonction énergie télécom ?

Réponse de M. Mounir Kalam : Comme vous l’avez si bien décrit dans votre question, la fonction énergie dans le domaine des télécommunications peut être synthétisée en plusieurs phases distinctes, reflétant les avancées technologiques et les changements dans les besoins des infrastructures de communication. En quelques mots, voici une synthèse de cette évolution depuis plus d’un quart de siècle.

Avant les années 90, les équipements de télécommunication nécessitaient des sources d’énergie diverses pour fonctionner de manière fiable. Outre la connexion aux réseaux de distribution d’énergie électrique, les commutateurs et les centres de transmission dépendaient également de plusieurs dispositifs pour assurer la continuité de l’alimentation, tels que les batteries, redresseurs : convertissaient, onduleurs et groupes électrogènes.

A partir des années 90 jusqu’au début des années 2000, il y a eu l’intégration progressive de nouvelles technologies dans le secteur des télécommunications. Les équipements sont devenus plus efficaces sur le plan énergétique, ce qui a réduit la dépendance aux systèmes de sauvegarde. Les avancées comprennent les éléments suivants :

Optimisation énergétique : Les équipements ont été conçus pour consommer moins d’énergie tout en maintenant des performances élevées.

Miniaturisation : Les composants électroniques sont devenus plus petits, ce qui a réduit la consommation d’énergie et la taille des équipements.

Transition numérique : Les technologies numériques ont permis une gestion plus précise de l’alimentation et des systèmes de surveillance à distance.

L’ère actuelle se caractérise elle par des changements significatifs dans la manière dont l’énergie est gérée dans les infrastructures de télécommunication. L’arrivée de la virtualisation et du Cloud, avec des centres de données et les services qui sont de plus en plus virtualisés, ce qui permet une utilisation plus efficiente des ressources énergétiques.

L’adoption croissante des sources d’énergie renouvelable, comme l’énergie solaire, éolienne et autres, réduisant l’impact environnemental et diversifie les sources d’alimentation versus les énergies fossiles.

Les solutions de stockage d’énergie, telles que les batteries haute capacité, sont utilisées pour lisser la demande énergétique et répondre aux fluctuations.

L’avenir pourrait être caractérisé par une gestion encore plus intelligente de l’énergie dans le secteur des télécommunications grâce à l’intelligence artificielle (IA), l’internet des objets (IoT) et l’automatisation, les dispositifs IoT, par exemple, pourraient surveiller et ajuster automatiquement la consommation d’énergie en fonction des besoins réels.

Les réseaux intelligents devraient permettre d’optimiser en temps réel l’allocation de l’énergie en fonction des charges et des sources disponibles.

Les équipements pourraient devenir encore plus efficaces sur le plan énergétique grâce à l’adoption de technologies avancées telles que l’informatique quantique.

En résumé, l’évolution de la fonction énergie télécom montre une transition progressive vers des solutions plus intelligentes, durables et adaptées aux nouvelles technologies. Les télécommunications modernes intègrent de plus en plus les principes de l’efficacité énergétique, de la gestion intelligente et de la diversification des sources d’énergie. Pour preuve quelques grands groupes tels que Vodafone, Orange ou NTT ont intégrer une stratégie net zéro pour 2050.

2- Lte.ma : On sait que les télécoms consomment beaucoup d’énergie. Par exemple en France selon l’ARCEP la consommation électrique télécom en France représente presque 1 % du total consommé en France. Cette consommation toujours selon l’ARCEP progresse de 5 % par an et les réseaux mobiles en consomment presque 60%. Pouvez-vous nous donner une idée sur l’évolution de ces consommations avec les réseaux très haut débit tel que 5G par exemple ? et comment on compte faire pour réduire cette consommation d’énergie ?

Réponse : L’introduction de technologies telles que la 5G dans les réseaux de télécommunication a le potentiel d’apporter des avantages considérables en termes de connectivité, de vitesse, de latence et de capacité, mais cela peut également avoir un impact sur la consommation d’énergie.

L’introduction de la 5G entraînera une augmentation de la consommation d’énergie pour plusieurs raisons que je vais décrire succinctement dans les prochaines.

La 5G nécessite un déploiement plus dense d’antennes et de stations de base pour offrir des performances élevées, ce qui pourrait augmenter la consommation d’énergie globale du réseau.

La 5G offre des débits plus élevés, ce qui peut entraîner une augmentation de la consommation d’énergie, en particulier lors des pics de trafic. Les fonctionnalités avancées de la 5G, telles que le traitement en temps réel et le réseau à faible latence, peuvent nécessiter une puissance de calcul plus élevée, augmentant ainsi la consommation d’énergie des équipements de réseau.

Pour atténuer l’impact de la consommation d’énergie accrue liée à la 5G et aux réseaux très haut débit, plusieurs stratégies peuvent être mises en œuvre. Il faudra concevoir et déployer les infrastructures de manière à minimiser les pertes d’énergie et à maximiser l’efficacité énergétique. Cela peut inclure des technologies de refroidissement plus efficaces et une disposition optimale des équipements.

Bien que la 5G exige une densification du réseau, il est important d’équilibrer cette densification avec une planification minutieuse pour éviter la surutilisation d’énergie.

Utiliser la virtualisation des fonctions réseau (NFV) et le cloud computing pour centraliser certaines fonctions réseau, ce qui peut réduire le nombre d’équipements physiques et donc la consommation d’énergie associée.

Il faudra aussi mettre en place des mécanismes de mise en veille intelligente pour les équipements lorsque leur utilisation est réduite, ce qui permet d’économiser de l’énergie pendant les périodes de faible activité.

Il faudra continuer à intégrer davantage de sources d’énergie renouvelable pour alimenter les infrastructures de télécommunication afin de réduire au maximum l’impact environnemental.

Il faudra aussi utiliser des systèmes de gestion intelligente pour surveiller et ajuster la consommation d’énergie en temps réel en fonction de la demande.

Conception Éco-Efficace : les opérateurs devront imposer aux équipementiers l’écoconception des équipements de manière à maximiser leur efficacité énergétique tout en maintenant des performances élevées et permettre le recyclage de ces derniers.

En combinant ces stratégies et en continuant à investir dans la recherche et le développement de technologies économes en énergie, il est possible de minimiser l’impact de l’adoption de la 5G sur la consommation d’énergie tout en bénéficiant des avantages de cette nouvelle technologie.

3- Lte.ma : Avec ces consommations en énergie, la connectivité télécom contribue malheureusement aussi aux impacts CO2 sur l’environnement. Sachant que le numérique représente 3 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Existe-t-il des objectifs à terme pour réduire ces impacts CO2 ? Par exemple à l’horizon 2050 ?

Réponse : Oui, il existe des initiatives et des objectifs à long terme pour réduire les impacts environnementaux, y compris les émissions de gaz à effet de serre, associés à la connectivité télécom et au numérique en général. Ces objectifs visent à rendre les technologies de l’information et de la communication (TIC) plus durables et à minimiser leur empreinte carbone. Cependant, il est important de noter que les objectifs spécifiques peuvent varier en fonction des pays, des entreprises et des organisations impliquées. Voici quelques exemples d’initiatives et d’objectifs :

L’Union Internationale des Télécommunications (UIT) a lancé l’initiative Green ICT Initiative, visant à réduire l’impact environnemental des TIC, y compris les télécoms. Des normes et des recommandations sont élaborées pour encourager l’efficacité énergétique et la durabilité.

Comme indiqué plus haut, de nombreuses grandes entreprises du secteur des TIC, telles qu’Apple, Google, Microsoft et d’autres, ont annoncé des objectifs de neutralité carbone ou d’utilisation d’énergie 100 % renouvelable pour leurs opérations, y compris les centres de données et les réseaux.

Au-delà des initiatives pour atteindre le net-zéro, il y a aussi l’aspect de la pollution générer par le secteur qui est en très fortes croissances et créent des dégâts très importants et parfois irréversible.

Dans ce cadre, il est important d’introduire des logiques de développement durable et économie circulaire et ce afin de réduire au maximum les déchets des équipements électroniques.

L’accent doit être mis sur la conception de produits et d’équipements durables et modulaires, favorisant la réparation, la mise à niveau et le recyclage.

Il faut encourager la collecte et le recyclage appropriés des équipements électroniques en fin de vie, ainsi que la réutilisation des composants pour minimiser les déchets. Certains opérateurs ont commencé de tels programme à l’instar du groupe Orange avec le programme Re sur les smartphones et CPE HD et THD.

Nous en avons déjà parlé, la transition vers les énergies vertes sera une des clés de l’atteinte des objectifs. La prise de consciences part les opérateurs de télécommunications et des centres de données par l’augmentation drastiques de leur utilisation d’énergies renouvelables pour alimenter leurs infrastructures, réduisant ainsi leur empreinte carbone.

L’autre aspects est la mise en place de normes d’émission et de durabilité par les autorités et gouvernements pour obliger l’industrie à l’imiter les émissions de gaz à effet de serre et promouvoir l’efficacité énergétique.

Les normes et les labels tels que l’ISO 14001 et l’écolabel européen encouragent les entreprises à adopter des pratiques durables dans leurs opérations.

En ce qui concerne l’horizon 2050, certains objectifs à long terme visent à atteindre la neutralité carbone ou à réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre associées aux opérations des TIC. Cependant, la réalisation de ces objectifs dépendra de nombreux facteurs, notamment les innovations technologiques, les investissements dans les infrastructures durables, les politiques gouvernementales et la sensibilisation du public.

Il est important de souligner que la collaboration entre les gouvernements, les entreprises, les chercheurs et la société civile sera essentielle pour atteindre ces objectifs et minimiser l’impact environnemental du secteur des TIC.

4- Lte.ma : Pour permettre de donner une note aux opérateurs télécoms, pouvons-nous connaitre le taux d’énergie renouvelable utilisée par un opérateur télécom donné un instant donné en utilisant par exemple l’intelligence artificielle ?

Réponse : Oui, il est possible d’utiliser des techniques d’intelligence artificielle (IA) pour estimer ou prédire le taux d’énergie renouvelable utilisée par un opérateur télécom à un instant donné. Cependant, il convient de noter que cette tâche peut être complexe et nécessite l’accès à des données pertinentes, telles que les niveaux de production d’énergie renouvelable et les besoins énergétiques en temps réel.

Pour estimer le taux d’énergie renouvelable, il serait nécessaire de collecter des données en temps réel sur la production d’énergie renouvelable (par exemple, énergie solaire, éolienne, hydraulique, etc.) et la consommation d’énergie par l’opérateur télécom.

Les techniques d’apprentissage automatique et d’IA peuvent être utilisées pour développer des modèles de prédiction. Ces modèles prendraient en compte les données historiques de production et de consommation d’énergie, ainsi que d’autres variables pertinentes, pour prédire le taux d’énergie renouvelable utilisée à un instant donné.

Les modèles de prédiction pourraient être mis en œuvre pour effectuer des prédictions en temps réel. Les données en cours de collecte (par exemple, les niveaux actuels de production d’énergie renouvelable) pourraient être alimentées dans le modèle pour ajuster les prédictions.

La précision des prédictions dépendra de la qualité des données d’entrée et de la complexité du modèle. Les modèles devraient être validés par rapport aux données réelles pour évaluer leur précision et les ajuster si nécessaire.

En plus de la production d’énergie renouvelable, d’autres facteurs peuvent également influencer la consommation d’énergie par les opérateurs télécoms, tels que la demande des utilisateurs, la maintenance des équipements, etc. L’intégration de ces données peut améliorer la précision des prédictions.

Cependant, il y a plusieurs défis à relever lors de la mise en œuvre de cette approche, notamment l’accès aux données en temps réel et leur qualité, la complexité de modélisation en fonction des systèmes d’énergie et des opérations spécifiques de chaque opérateur télécom, ainsi que la variabilité des conditions météorologiques pour les sources d’énergie renouvelable.

En fin de compte, si la technologie d’IA peut jouer un rôle dans la surveillance et la prévision de l’utilisation d’énergie renouvelable par les opérateurs télécoms, cela nécessitera une approche soigneusement élaborée, une collaboration avec les opérateurs et l’accès à des données fiables et en temps réel pour obtenir des résultats précis.

5- Lte.ma : Vous avez déjà beaucoup travaillé sur les impacts CO² des télécoms ces dernières années. Pouvez-vous nous résumer votre travail en quelques lignes et nous donner quelques recommandations utiles pour l’écosystème télécom ?

Réponse : Je voudrais tout d’abord exprimer le fait que les sujets environnementaux m’ont toujours tenu très à cœur !

C’est dans ce cadre que je suis reparti, dernièrement, sur les bancs de l’école pour intégrer plus profondément les sciences de développements durables et de l’économie circulaire pour les intégrer dans une réflexion plus large au secteur des TICs et des télécommunications.

En effet, j’ai contribué à de nombreuses études concernant les impacts environnementaux des TIC et des télécommunications en particulier. Mon travail consiste à analyser les émissions de CO2 liées aux opérations des réseaux de télécommunication et à identifier des stratégies pour réduire leur empreinte carbone. Mes humbles recommandations, non exhaustives, suive un peu les éléments que nous avons analysés plus haut dans cette interview pour réduire l’impact des télécommunications, c’est-à-dire :

5-1. Accélérer la transition vers les énergies renouvelables : Les opérateurs de télécommunications devraient prioriser l’utilisation d’énergies renouvelables pour alimenter leurs infrastructures et leurs centres de données, réduisant ainsi considérablement leur empreinte carbone.

5-2. Optimisation de l’infrastructure : Les opérateurs pourront améliorer l’efficacité énergétique de leurs équipements en optimisant la gestion thermique, en adoptant des technologies plus économes en énergie et en mettant en œuvre des architectures réseau intelligentes.

5-3. Gestion du trafic et de la congestion : Une gestion efficace du trafic peut réduire la demande d’énergie du réseau. Cela peut inclure des stratégies de mise en veille intelligente, de routage optimisé et de gestion de la congestion.

5-4. Promotion de l’utilisation responsable des utilisateurs : Sensibiliser les utilisateurs aux comportements en ligne éco-responsables, tels que la réduction de la résolution vidéo lors de la diffusion en continu, peut contribuer à réduire la demande d’énergie du réseau.

5-5. R&D pour des technologies plus efficaces : Investir dans la recherche et le développement de technologies innovantes, telles que les réseaux 5G et les protocoles de communication plus efficaces, pourra permettre des opérations plus durables à long terme.

5-6. Recyclage et gestion des déchets électroniques : les autorités gouvernementales et les entreprises télécoms devraient encourager le recyclage approprié des équipements électroniques obsolètes pour réduire les déchets et la demande de matières premières de plus en plus difficile à extraire.

5-7. Collaboration et sensibilisation : les gouvernements, l’industrie des télécommunications et les organisations environnementales devraient mieux collaborer pour élaborer des normes et des politiques favorisant une infrastructure télécom durable.

En adoptant ces principales recommandations, l’écosystème télécom pourra jouer un rôle essentiel dans la réduction des émissions de CO2 et la promotion de pratiques commerciales plus respectueuses de l’environnement.

En conclusion, la consommation croissante d’énergie dans le secteur des télécommunications, notamment avec l’essor actuel de la 5G, soulève des préoccupations environnementales.

Cependant, des efforts concertés visant à améliorer l’efficacité énergétique, à augmenter l’utilisation d’énergies renouvelables et à utiliser l’IA pour évaluer l’utilisation d’énergie renouvelable offrent des pistes pour minimiser l’impact écologique des télécoms.

La transition vers une connectivité plus durable et respectueuse de l’environnement nécessitera une approche globale et des partenariats entre les acteurs clés pour atteindre des objectifs de durabilité à long terme.

(*) :  Mounir Kalam :

  • A 30 ans d’expérience dans des postes de cadre dirigeant avec des fournisseurs de télécommunications mondiaux et des fournisseurs de services de télécommunications régionaux.

  • Depuis 2000 il a contribué à la Gestion et à la mise en place de projets stratégiques au Maroc.

  • Il possède une expérience principale dans la gestion et le déploiement d’opérations commerciales au sein de start-ups et de restructuration de fournisseurs de services en place.

  • Il a contribué à développer et à déployer des partenariats entre des entreprises locales et internationales dans le secteur des télécommunications en Europe, Asie, Moyen-Orient et Afrique

  • Tout dernièrement; il a terminé un Master en Développement Durable et économie circulaire

  • Il a aussi co-fondée une société dédiée aux activités de développement durable et économie circulaire dénommée NOV8 ( Noveigth : Novate).

Cet entretien a été conduit par Ahmed Khaouja en français.

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