mercredi , 16 octobre 2024

Entretien avec M. Alain Grandjean (*) grand expert en matière de lutte contre le réchauffement climatique

1-Tout d’abord voulez-vous donner aux lecteurs de Lte magazine en quelques mots la situation du réchauffement climatique de notre planète terre.

La planète se réchauffe progressivement depuis le milieu du XIXème siècle, sa température moyenne a augmenté d’environ 1 degré Celsius. Le climat se dérègle et les conséquences en ont été visibles dans toutes les régions du monde : importants épisodes caniculaires, gigantesques incendies, pluies diluviennes et inondations, montée des eaux, submersions marines, décalage des saisons et des productions agricoles, etc. On connaît la cause principale de ce changement climatique : ce sont les émissions d’origine anthropique de gaz à effet de serre (GES), comme le gaz carbonique ou le méthane. Nous émettons aujourd’hui chaque année environ 50 milliards de tonnes (en équivalent CO2). Le pire est à venir si l’on ne change pas la trajectoire actuelle, qui pourrait conduire à des augmentations de température de 3 à 6 degrés d’ici la fin du siècle. Or 5 degrés c’est la hausse que la température a subie depuis la dernière période glaciaire. C’est donc suffisant pour changer d’ère climatique. Les impacts en seraient dévastateurs pour les hommes comme pour les écosystèmes

2- Les dernières conférences des parties dites COP sur le climat a fixé entre autres, comme objectifs une limitation du réchauffement mondial entre 1,5 °C et 2 °C d’ici 2100. Peut-on réaliser ces objectifs sachant que le temps du politique est différent de celui de ceux qui défendent la nature. En effet le temps de la démocratie est un temps à court terme, lié généralement aux élections.

Ces objectifs sont vitaux ; si on ne les atteint pas les conséquences pour des milliards d’êtres humains vont être tragiques, tout comme pour l’économie mondiale. L’économie ne peut pas prospérer sur une planète à un climat qui serait si déréglé. Les investissements à réaliser pour s’y adapter seront considérables mais seront purement défensifs et ne créeront pas de valeur. Ces effets deviennent visibles et nécessitent dès maintenant une forte implication du politique. Le temps certes court du politique va être rattrapé par l’accélération des événements extrêmes. Mais par ailleurs les solutions pour atténuer le changement climatique existent, elles génèrent des emplois et sont source d’innovations. L’image du politique peut bénéficier de ces progrès, s’il en a conscience et les fait valoir.

3- Comment rendre la réalisation de ces objectifs contraignante dans le cadre d’une écologie compétitive. Surtout à un moment où certaines applications technologiques résultant du temps moderne sont consommées en un temps largement inférieur au temps qu’il faut pour réduire leurs effets polluant en amont et en aval.

Le climat est un bien public mondial ; sa préservation nécessite une coopération internationale comme il y en a dans d’autres domaines. Qu’on pense par exemple à la lutte contre les épidémies où l’OMS joue un rôle clef.  Autre exemple, il a été possible de stopper la destruction de la couche d’ozone, dès qu’on a su qu’elle était due à des produits chimiques (les chlorofluorocarbones). La coopération internationale sur le climat a produit des effets : les Etats se sont tous engagés à maîtriser puis réduire leurs émissions d’origine anthropique de gaz à effet de serre (GES). Des mécanismes de solidarité internationale sont en cours de négociation. Mais, en effet, il est clair que la crise écologique que nous subissons, nécessite une remise en cause du modèle consumériste qui domine en Occident. On ne pourra pas indéfiniment se battre pour consommer plus sans tenir compte du fait que la planète est finie. Si l’émulation a du bon dans la vie économique, elle devrait se mettre au service de l’innovation qui permet simultanément d’améliorer le sort de chacun et de réduire la destruction de ressources naturelles.

4- On sait que certains pays déploiement des efforts pour aller dans le sens écologique. Mais la plupart font semblant de le faire. Ne faut-il pas inventer d’autres modèles politico-économiques ou d’autres indicateurs qui intègrent la dimension sauvegarde de notre écosystème.

A l’ONU, les États membres ont adopté un nouveau programme de développement durable, qui comprend un ensemble de 17 objectifs mondiaux pour mettre fin à la pauvreté, lutter contre les inégalités et l’injustice, et faire face au changement climatique d’ici à 2030.

Il faut maintenant que ces objectifs soient pris au sérieux par tous les dirigeants du monde, vus comme plus importants que la croissance du PIB, qui n’a pas de sens si ces objectifs ne sont pas atteints. Il faut ensuite qu’ils soient déclinés dans chaque pays et simultanément suivis par les grandes instances internationales (le G20, le FMI, les banques multilatérales, et toutes les instances de coordinations des pays émergents et en développement).

5-Que pensez-vous de la citation de Feu M. Michel SERRES philosophe français, tiré de son livre « Le Contrat Naturel » : «S’il existe une pollution matérielle, qui expose le temps du climat à des risques, il en existe une deuxième, invisible, qui met en danger le temps qui passe et coule, la pollution culturelle. Sans lutter contre la seconde, nous échouerons dans le combat contre la première ». ?

En effet Nous ne nous sortirons pas de cette crise majeure sans remettre en cause la culture qui en est la source profonde. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », disait déjà Rabelais. On voit d’ailleurs venir ici et là dans le monde, cette « révolution culturelle », souvent à l’échelon local. De nombreuses initiatives naissent qui visent à augmenter les temps de partage réels et à réduire la consommation matérielle : moins de biens, plus de liens. Mais ceci ne concerne pas les habitants de notre planète qui vivent dans la misère et pour lesquels notre impératif moral commun est de les aider à en sortir. Et si l’on pense que la planète comptera plus de 9 milliards d’habitants en 2050 (dans 35 ans, c’est très court), on ne peut malheureusement pas parier sur le changement culturel des habitants les plus aisés, qui prendra deux ou trois générations au moins. Les élites du monde entier doivent prendre leurs responsabilités, les opinions publiques avancées de tous les pays doivent faire pression. L’avenir de la planète et de ses habitants se joue maintenant.

(*) Alain Grandjean est un ingénieur français polytechnicien (promotion de1975), un économiste lauréat de l’Ecole Nationale de la Statistique et de l’Administration économique (1980). Il est associé-fondateur de Carbone 4, cabinet de conseil et d’études spécialisé dans la transition énergétique. Depuis janvier 2019, il est également président de la fondation écologie en France. Co-président de la mission « Mobiliser les financements pour le climat », commandée par le président français.  Il a co-présidé la « mission sur le prix du carbone au niveau européen», commandée par le ministre de l’Environnement français.

Entretien réalisé par Ahmed Khaouja

LTE.ma 2024 - ISSN : 2458-6293 Powered By NESSMATECH