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De l’impact du Covid -19 sur l’économie marocaine

De l’impact du Covid -19 sur l’économie marocaine

Nul ne pourra nier que les suites de la crise du Covid-19 seront tous azimuts. Elles le sont déjà. Elles n’ont épargné ni

(*) Par Mohammed Taher SBIHI,

région du globe, ni secteur. La raison en est la virulence et la forte mobilité du virus, conjuguée à la forte contagiosité de la pathologie. Mais la raison en est aussi que l’économie mondiale est devenue fortement mondialisée, sous l’effet de la délocalisation de la production et de la globalisation des échanges. Les flux des hommes, des marchandises et des capitaux n’ont plus de frontières. En fait, L’incidence de cette pandémie dépasse largement la grande récession de 2009 et la grande dépression des années 30. Tous les économistes, spécialistes et analystes s’accordent à dire que les effets du Covid-19 seront particulièrement profonds, douloureux, durables et en cascades. Ils conviennent que ces répercussions se traduiront in finé par une grande récession économique. Les premières prémisses de celle-ci apparaissent déjà au niveau du secteur secondaire et du secteur tertiaire, y compris les professions libérales. Elles retentissent tant sur le secteur officiel que sur le secteur informel et la perte de confiance a sérieusement gagné les marchés de capitaux et de valeurs mobilières.

Si la crise du Covid-19 ne fait que commencer, son impact économique se fait déjà sentir. Personne ne sait quand la situation «se normalisera», si le qualificatif de «normal» revêt encore une signification. En tout cas, ce ne sera pas pour demain!

L’impact de cette pandémie à l’échelle mondiale, régionale et nationale demeure très difficile à cerner, mais apparaitra probablement à tous les niveaux et notamment sur les plans économique, financier et social. Quant à la reprise économique, elle nécessitera partout beaucoup de temps et ne pourra être que progressive.

Elle ne sera vraisemblablement pas possible sans des programmes d’assistance et de soutien étatiques. Bien plus, cette reprise exigera aussi et surtout la conjugaison des efforts de l’ensemble des acteurs du système (pouvoirs publics, opérateurs économiques, banques, compagnies d’assurance et société civile). Le maître mot étant la solidarité, la synergie de groupes au sein de chaque communauté et entre les nations. Aux grands maux les grands remèdes ! La guerre au Covid-19 requerra donc, et pendant une longue période, une « économie de guerre ».

Des retombées macro-économiques du Covid-19

Le Maroc n’échappe pas à la règle. Ironie du sort, les contreperformances de la  campagne agricole 2019-2020 (comptant à peine 30 millions de quintaux, soit – 42% en volume), viendront s’ajouter à la pandémie, laquelle semble lui avoir volé la vedette !!

Les effets de la catastrophe sanitaire au Maroc sont certes endogènes, mais aussi exogènes, vu que l’économie nationale est fortement indexée sur les économies de l’Europe occidentale, sur lesquelles elle est ouverte.

L’analyse des derniers indicateurs conjoncturels disponibles, quoique provisoires, a permis de révéler que le comportement des différents secteurs de l’économie marocaine, face à la crise sanitaire, n’a pas été homogène. En effet, certaines branches d’activité, particulièrement celles qui dépendent de la demande étrangère, ainsi que celles à l’arrêt, par décision des pouvoirs publics, ont été lourdement impactées, alors que d’autres l’ont été à des niveaux plus ou moins déplorables.

Vu le contexte, l’évaluation chiffrée et objective de l’impact de la pandémie ne peut s’appuyer, à l’heure qu’il est, que sur des estimations très approximatives et partielles, lorsqu’elles existent, faute de données exhaustives et fiables. Ces chiffres ne pourront être cernés avec précision, qu’avec une meilleure visibilité prospective, sur les dégâts réels de l’épidémie et sur ses dommages collatéraux. A juste titre, le Haut-Commissariat au Plan marocain a lancé une étude nationale de prospection de l’impact économique, social et psychologique du Covid-19.

Tous les agrégats macro-économiques affichent, au Maroc, des niveaux prévisionnels en nette régression qui, probablement, demeurent sujets à une détérioration encore plus prononcée à l’avenir :

– Le PIB accuserait une baisse prévisionnelle estimée à -3,8 points, correspondant ad valorem à 10,9 milliards de DH au second trimestre 2020.

– Le taux de croissance économique ne devrait pas dépasser, dans les meilleurs cas 0,8%, sous l’effet combiné de la sécheresse, du Covid-19 et des mesures de confinement, et ce, au lieu d’une croissance initiale moyenne estimée à  +2,5%. Le Centre Marocain de Conjoncture (CMC) n’exclue pas que ce chiffre soit même négatif.

– Les exportations se solderaient, au terme du premier trimestre, par une baisse de 22,8%, au lieu d’une performance attendue de 1,1% pour la même période.

– Les prix à la consommation auraient accusé une augmentation estimée à  + 1,4% au premier trimestre 2020, au lieu d’une prévision initiale de + 0,7%.

– La demande étrangère au Maroc présenterait un fléchissement significatif. Elle passerait de +1,3 % à – 3,5 %, conséquence directe de la régression vertigineuse des commandes en provenance de l’Europe occidentale.

– Le déficit de la balance commerciale aurait grimpé de 23,8% à la fin du premier trimestre 2020, impliquant une baisse du taux de couverture de 11,6 points pour atteindre 49,7%.

Selon une approche sectorielle, la situation n’est pas moins inquiétante.

Tertiaire : Globalement, le rythme de croissance de ce secteur est voué à s’établir uniquement à 2,7 % au terme du premier trimestre, au lieu de 3,1 % prévu initialement.

Transport : Le chiffre d’affaires du secteur des transports tant terrestre, maritime, ferroviaire et aérien laisse présager, dans sa globalité, une baisse conséquente, tant pour le transport des voyageurs que pour le fret.

Tourisme : Toutes les branches d’activité affiliées à ce secteur vital (hôtellerie, restauration, agences de voyage et location de voitures) sont en détresse. En termes de chiffre d’affaires, la perte du secteur est estimée à 34 milliards de dirhams en 2020, toutes branches confondues. Le nombre des touristes régresserait de 90%, soit 6 millions de touristes, correspondant à 11, 6 millions de nuitées.

Textile et Habillement : Les turbulences que traversent les grands groupes internationaux impacteraient les entreprises marocaines du secteur. Selon les opérateurs, le secteur connaît une série de perturbations dans les commandes et même des annulations. Cela aurait une incidence inévitable sur les chiffres d’affaires et par conséquent sur les commandes. Les exportations en valeur des produits textiles, qui représentent 11% des exportations totales, auraient reculé de 4,3% en valeur annuelle, au terme du 1èr trimestre de l’année 2020.

Phosphates et dérivés : Considéré comme l’un des fleurons de l’économie marocaine et l’un des principaux pourvoyeurs de fonds, le groupe OCP n’a pas été épargné par le Covid-19, dans la mesure où les exportations des phosphates et de ses dérivés vont se replier de 40,1 % en valeur d’après les prévisions.

Automobile : Le secteur représente 27% des exportations totales. 97 % des voitures nationales, exportées vers le monde, sont destinées aux marchés français, espagnol et allemand. Les répercussions de la crise ont touché 18 000 employés et 250 équipementiers. L’objectif de production annuelle tant scandé de 1 million de véhicules d’ici l’an 2022 et d’un chiffre d’affaire à l’exportation de 100 milliards de DHS sont fortement compromis.

Hydrocarbures : Sous l’effet de l’arrêt de l’activité économique, des mesures de confinement et de la forte contraction de la demande qui s’en est suivie, les cours du brut sur le marché international ont essuyé des baisses spectaculaires. Le prix du baril s’est effondré à 11 dollars vers la 3ème  semaine d’avril 2020, se retrouvant ainsi à son niveau du milieu des années 80. Au Maroc, les prix à la pompe se sont ainsi repliés à 20-25 %. Ils devraient baisser davantage vers la fin du mois d’avril, avec l’effondrement du prix du baril à – 37 dollars.

Immobilier : La combinaison de plusieurs facteurs a fait que ce secteur connaissait déjà un marasme depuis 2010. Le Covid-19 n’a fait qu’enfoncer le clou, à telle enseigne qu’il est permis de dire que le secteur ne verra plus le bout du tunnel avant longtemps !!

Offshoring : Considéré comme l’un des métiers phares du Royaume, l’offshoring semble ne pas échapper aux lourdes conséquences de la pandémie. Si ce secteur a réussi en 20 ans à briller de mille feux, avec un développement exponentiel, illustré par une croissance à deux chiffres (28% en 2019), la crise sanitaire risque de le tirer brutalement vers le bas. Le chiffre d’affaire du secteur a régressé de 10 à 15 % au mois de mars 2020. Les professionnels pensent que cette régression passerait à une fourchette de 35 à 45%, d’ici le mois de juin prochain.

Finances publiques : Les répercussions internationales de la pandémie et le gel de l’activité économique, se traduiraient inéluctablement par un manque à recouvrer pour le Trésor Public, au titre des recettes fiscales et douanières.

Ce manque à gagner concernerait aussi bien les impôts directs qu’indirects (IS,IR,TVA et droits de douane). D’où les mesures d’austérité prises par l’Etat en ce qui concerne les dépenses publiques. Ces mesures ont été aussi étendues aux établissements et entreprises publics, ainsi qu’aux collectivités territoriales.

Activité  boursière : Le marché des actions aurait connu, au premier trimestre 2020, l’une des plus grandes baisses enregistrées au cours des 20 dernières années. L’indice boursier et la capitalisation boursière aurait accusé des baisses respectives de 11% et 10,5%.

Transfert de devises : A l’image de plusieurs pays du globe, la pandémie va avoir raison de trois principales sources de devises pour le Maroc, qui vont tarir pour une longue période, au moins pour deux années. Il s’agit en l’occurrence des recettes touristiques, des rapatriements des marocains résidents à l’étranger (MRE) et des investissements directs de l’étranger (IDE).

Main d’oeuvre : S’agissant du volet social, pas moins de 726 000 employés ont été mis au chômage, des suites des difficultés ou de la cessation d’activité de 142 000 entreprises. Cette population, qui s’est retrouvée brusquement désœuvrée, est à ajouter aux 1 100 000 chômeurs recensés à fin 2019, soit un total de 1 826 000 chômeurs permanents et partiels. Ces effectifs ne tiennent pas compte, bien entendu, du chômage conjoncturel observé dans le secteur informel, par suite de la pandémie. Compte tenu de ces chiffres, le taux de chômage au secteur formel passe de 9,2 % en 2019 à 15%.

Demande : «Sans pouvoir d’achat, point d’économie ». Les 1 826 000 de chômeurs recensés, correspondent en fait à plus de 1,8 million de ménages (soit 9 millions de consommateurs environ), qui n’ont pas de pouvoir d’achat. Cette situation, conjuguée à la baisse tendancielle de la consommation en général, qui sera observée comme réaction logique des ménages au lendemain de la crise, rejaillira inéluctablement sur la demande intérieure, et partante sur la production.

Banques et assurances : Il va sans dire que ces deux secteurs, en particulier, ont toujours connu des périodes d’expansion continue en période normale. Aussi, vu la nature de leurs activités, sont-ils plutôt épargnés par un impact direct du Covid-19. Enregistrant tout au plus un certain manque à gagner, dû à la crise que connaissent leurs clients, lesdits secteurs sont, aujourd’hui plus que jamais, les mieux indiqués pour venir à la rescousse de l’appareil productif, dont ils dépendent pourtant fortement.

Télécommunications : A quelque chose malheur est bon! Le secteur des télécommunications semble être le rescapé de la crise pandémique, dans la mesure où il aurait réalisé globalement une envolée en termes de chiffre d’affaires, pendant la période de confinement. Les appels téléphoniques et l’internet auraient servi en effet comme refuge salutaire pour bon nombre de gens, dans ces moments difficiles. L’alimentaire et les produits de consommation courante semblent aussi avoir tiré leur épingle du jeu, en maintenant leurs ventes à des niveaux élevés.

Des mesures économiques prises par les pouvoirs publics au Maroc pour combattre le fléau

L’opinion publique internationale a salué les mesures proactives prises par le Maroc pour anticiper les effets de la pandémie. Ces mesures, qui sont déclinées sur la base d’un plan d’action intégré, sont nombreuses et se situent dans plusieurs domaines. On peur en citer notamment :

La création du Comité de Veille Economique (CVE) : Cette cellule interministérielle, placée sous la présidence du ministre chargée des finances, a été chargée du suivi des répercussions économiques de l’épidémie Covid-19 et de la définition des mesures à prendre en vue d’en atténuer l’impact. Les principales mesures prises par le CVE se résument comme suit :

– Indemnisation de 700 000 employés salariés en arrêt d’activité et déclarés à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS). Ce personnel peut également bénéficier du report du remboursement des échéances des crédits bancaires, jusqu’au 30 juin 2020. Des mesures de soutien et d’aide ont été aussi prises à l’adresse des ouvriers et artisans du secteur informel ;

– Pour les PME, TPME et les professions libérales en difficulté: Suspension du paiement des charges sociales jusqu’au 30 juin 2020 ; mise en place d’un moratoire pour le remboursement des échéances des crédits bancaires jusqu’au 30 juin, sans paiement de frais ni de pénalités ; activation d’une ligne supplémentaire de crédit de fonctionnement octroyée par les banques et garantie par la CCG ; Possibilité du bénéficie d’un report du dépôt des déclarations fiscales jusqu’au 30 juin 2020 pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 20 millions de DH ; Suspension des contrôles fiscaux et des ATD jusqu’au 30 juin 2020.

Mise en place d’un crédit à taux zéro pour les auto-entrepreneurs impactés par la crise du Covid-19, pouvant atteindre un montant de 15.000 dirhams.

  • Traitement comptable dérogatoire pour étaler les dons et les charges relatives à la période de l’Etat d’urgence sanitaire, sur 5 ans.

– Assouplissement des procédures de déclaration des salariés affiliés à la CNSS qui sont en arrêt provisoire. Les déclarations peuvent être faites sur une fréquence hebdomadaire, à compter de ce mois d’avril 2020.

La Création d’un fonds national de solidarité pour la gestion de l’épidémie (compte d’affectation spéciale) : Ce fonds est dédié à la gestion de la pandémie du Covid-19. Doté d’un montant initial de 10 milliards de dirhams, imputé sur le budget général, ce fonds sera consacré à la prise en charge des dépenses de mise à niveau du dispositif médical, en termes d’infrastructures adaptées et de moyens supplémentaires à acquérir dans l’urgence.

Il servira aussi au soutien de l’économie nationale, à travers une batterie de mesures qui seront proposées par le gouvernement et par le CVE, notamment en termes d’accompagnement des secteurs touchés par la crise sanitaire. Le fonds interviendra aussi en matière de préservation des emplois et d’atténuation des répercussions sociales de cette crise.

Le montant total des dotations, cotisations et participations de l’Etat de l’ensemble des organismes publics et privés, y compris le grand public, avoisinerait au 20 avril 2020, les 37 milliards de DH.

Le tirage sur la Ligne de précaution et de liquidité (LPL) : Pour ce qui est de la balance des paiements en particulier et dans une approche purement préventive, le Maroc a effectué ce type de tirage pour la première fois en avril 2020. Ledit tirage porte sur un montant de 2,9 milliards de dollars et est destiné à consolider le stock de réserves,  à assurer la stabilité du marché des changes et à renforcer la confiance des investisseurs et partenaires étrangers dans notre économie. La décision du tirage sur la LPL, ainsi que son niveau ont été basés sur un scénario de choc extrême où la crise du Covid-19 durerait au-delà du mois de juin et affecterait l’ensemble de l’année 2020, avec une reprise attendue à partir de 2021.

Mesures en relation avec les finances publiques : Comme suite à la baisse prévisionnelle de ses recettes fiscales et douanières et en vue d’adapter ses prévisions de finances publiques aux impératifs du contexte pandémique, l’Etat s’est attelé à réviser en baisse, pour l’année budgétaire 2020, les crédits ouverts et autorisés au titre de la loi des finances en vigueur. Cette mesure a été également étendue aux budgets des établissements et entreprises publics et des collectivités territoriales. L’objectif consiste à ne retenir, désormais, que les crédits correspondant aux dépenses réputées urgentes, nécessaires et prioritaires, avec réduction du train de vie de l’Etat et de ses démembrements.

Dans le même sillage, la commission des finances à la Chambre des représentants a  adopté un décret-loi, autorisant le dépassement du plafond des emprunts extérieurs, initialement fixé à 31 milliards de dirhams au titre de la loi de finances 2020.

Gouvernance des sociétés anonymes : Adoption par le gouvernement du projet de loi n° 27-20, portant promulgation de dispositions particulières d’assouplissement des formalités de tenue des réunions des organes délibérants, notamment la tenue à distance des séances de travail, en cette période d’état d’urgence sanitaire.

Suivi des marchés publics : Qualification de la pandémie de « cas de force majeure », en vue d’éviter aux entreprises titulaires de marchés publics de supporter des pénalités pour des retards d’exécution, qui ne leur sont pas imputables. Sur le même registre, d’autres mesures non négligeables ont été prises pour assouplir les modes de passation des marchés publics de l’Etat et des établissements et entreprises publics, pendant l’état d’urgence sanitaire; et ce, par dérogation aux dispositions réglementaires en vigueur.

Adoption du télétravail et du télé-enseignement, comme mesures d’assouplissement et de prévention, respectivement pour les personnels public et privé et le monde scolaire et universitaire.

Quleques pistes de réflexion pour l’après Covid-19

La pandémie du Covid-19 aura été l’occasion pour le Maroc de divorcer avec certains complexes qui l’inhibaient par le passé. Il est parvenu en effet à relever, en cette période et en peu de temps, des défis grandioses dont on ne le soupçonnerait pas capable en période normale. Par ailleurs, il est permis d’espérer que le Covid-19 serait l’occasion de renouer avec une matrice de huit paradigmes, qui ne sont en fait que d’anciens postulats, tombés dans les oubliettes des annales, à savoir :

– Penser à bâtir le nouveau modèle de développement sur une vision plus sociale de l’économie, à donner une nouvelle impulsion au secteur de la santé, aux activités génératrices d’emploi et de revenus (PME, PMI, TPE et start up et auto-entrepreneuriat) et à l’éducation nationale, parents pauvres des politiques publiques.

– Prendre conscience de la nécessité de repenser la politique de désengagement systématique de l’Etat, particulièrement dans les secteurs à vocation sociale. Les modes de gestion actuels, donnant plus de pouvoirs aux marchés qu’à l’Etat, se sont traduits par des dysfonctionnements et des dérapages manifestes. Il est temps d’opter pour une nouvelle forme d’interventionnisme étatique, plus intelligent, pour une meilleure dynamique à travers les instruments budgétaire et fiscal notamment. Le temps est aussi à une régulation étatique plus appropriée des marchés, dominés par les cartels, les monopoles de fait et les pratiques anti-concurrentielles.

– Pour le commerce extérieur, prôner un certain protectionnisme pour relancer l’industrie locale. Donner, autant que possible, la priorité à la production nationale et à la souveraineté économique. Etant donné les limites des exportations nationales, les flux d’importations massifs, outre qu’ils amenuisent nos réserves en devises, aggravent les déficits de la balance commerciale et de la balance des paiements, ainsi que le taux d’endettement. L’excès d’importations inhibe aussi notre capacité d’entrepreneuriat et accentue notre dépendance via à vis de l’étranger.

– Le budget de l’Etat (loi des finances), tout comme ceux des EEP et des collectivités territoriales, ne doivent plus être considérés comme de simples actes de prévision et d’autorisation de crédits. Ils devraient traduire la déclinaison technique des politiques publiques et sectorielles et constituer un moyen décisif, pour élaborer des choix économiques plus judicieux, sur la base de programmes pluriannuels de développement inclusifs, cohérents et intégrés.

– L’outil fiscal n’est pas du reste. Il doit moduler sa fonction de simple pourvoyeur de fonds à l’Etat et renouer avec la plénitude de ses fonctions classiques. La fiscalité est censée constituer un instrument privilégié au service de l’Etat, en vue d’encourager certaines branches d’activité créatrices de richesses et de valeur ajoutée. Or, le constat est que la fonction économique de l’outil fiscal, en tant que vecteur d’incitation et de résorption du secteur informel, à travers l’élargissement de l’assiette et la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, a été sacrifiée à l’autel de l’équilibre budgétaire. Il en est tout aussi bien de sa fonction sociale de redistribution des revenus et de justice sociale. Il est tout à fait possible de concilier entre un niveau acceptable de pression fiscale, un financement optimum des dépenses publiques, et un déficit budgétaire soutenable. Les dernières Assises fiscales regorgent d’idées et de propositions novatrices en la matière.

– Relativement à la gouvernance des organismes publics, il appartiendrait à l’Etat, actionnaire et stratège, de redéfinir le rôle des Etablissements et Entreprises Publics, en tant que levier de  croissance économique. Le nouveau rôle à assigner au portefeuille de l’Etat devrait s’aligner sur les nouvelles priorités nationales, en intégrant systématiquement les préoccupations sociales, outre les exigences conventionnelles de rentabilité économique et financière.

La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) est un autre domaine d’action, qui vient à point nommé avec la résurgence des valeurs morales en matière économique, en ce temps de pandémie et bien après. Elle présente un intérêt économique indéniable, car demeurant un atout pour la pérennité de l’entreprise et de sa rentabilité. La RSE est aussi importante en ce qu’elle constitue un vecteur d’attrait des investisseurs étrangers et un facteur clé pour les entreprises marocaines désireuses d’opérer à l’étranger.

Conclusion

Pris dans le creux de la vague de la pandémie, l’Homme a soudainement pris conscience de sa vulnérabilité et des limites de son action, de ses connaissances et de son intelligence. Il a réappris à faire la distinction entre l’important et l’accessoire, entre le nécessaire et le superflu.

Il a réappris à nouveau à vivre en communauté et à renouer avec les vertus de solidarité et d’entraide, qui, depuis des générations, semblent avoir pris le dessus sur les pulsions d’individualisme et d’égoïsme.

Au-delà d’une simple crise, la pandémie du Covid-19 est un choc foudroyant à l’échelle planétaire, une rupture franche et étanche avec les paradigmes et les modèles actuels. On parle déjà d’un nouvel ordre mondial qui se profilerait à l’horizon et qui se distinguerait, entre autres, par une meilleure solidarité intercommunautaire, par la protection de l’écosystème, à travers un meilleur équilibre entre l’Homme et la nature, par l’apaisement des foyers de tensions régionaux, par le repositionnement de la place de l’Homme dans l’équation de développement, par l’annihilation des fractures sociales et enfin, par l’encouragement des efforts de recherche et de développement, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation. Tout cela devant en principe converger sur un objectif prioritaire et inébranlable, au-delà des clivages politiques, à savoir l’amélioration des conditions de vie de l’Homme sur terre. D’aucuns diraient que c’est une vision surréaliste, je répliquerais alors en disant qu’ «entre possible et impossible, il y a deux lettres et un état d’esprit » Charles de Gaule.

(*) Par Mohammed Taher SBIHI, universitaire, économiste et  chercheur en gestion financière.

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