Après plus de trois mois d’État d’Urgence Sanitaire, l’heure est au déconfinement et au redémarrage de l’activité économique. Chaque secteur se cherche une voie de sortie pour renouer avec un monde qui était lui-même en état de dormance à cause du Covid-19. L’esprit d’anticipation, de cohésion et de motivation affiché durant la pandémie reste toujours de mise. Tous les acteurs de l’économie national cherchent, chacun à sa manière, d’apporter son petit grain de sable pour remettre la machine en marche. L’état lui-même a joué un rôle primordial dans ce processus, d’abord à travers les programmes de lutte contre la pandémie avec tous les supports financiers mis en place, puis à partir des orientations et des prospections de créneaux spécifiques à la situation. Les opérateurs économiques se préparent donc à aborder un marché dont les règles ont été complètement bouleversées suite à l’arrêt imposé par la pandémie depuis plus de trois mois (demande, offre, prix, qualité, concurrence). Toutes les prévisions à court ou moyen terme concernant ces marchés sont empreintes d’incertitude et de manque de visibilité. D’où l’intérêt de réagir, avec célérité certes, mais aussi avec beaucoup de prudence, d’objectivité et de sélectivité, car les différents marchés se comporteront différemment selon les régions, les pays et leurs états sanitaires. Cependant, et compte tenu de l’efficacité et le professionnalisme avec lesquels a été géré (et continue à l’être) cette pandémie, le Maroc saura entreprendre cette phase de relance économique en usant de ses compétences techniques et ses capacités institutionnelles, pour démontrer sa résilience à faire face à des crises d’envergure comme celle-ci.
ACTIVITES LIEES AU MARCHÉ INTERNATIONAL :
La majorité de nos grandes entreprises qui constituent le premier peloton chargé de tirer notre économie vers le haut, sont celles dont les activités sont orientées vers le marché extérieur. Les secteurs qui s’inscrivent dans cette logique et qui sont tributaires du redémarrage de l’activité à l’international sont notamment, l’industrie aéronautique, l’industrie automobile, l’industrie textile, le tourisme (international), le trafic aérien, l’agriculture, les phosphates, etc.
Le secteur automobile tiré par les deux grandes entreprises Renault et Peugeot, ont déjà amorcé la reprise de leurs activités et les exportations ont repris à partir de la fin du mois de mai. Mais d’ores et déjà les professionnels de ce secteur annoncent une baisse des exportations d’environ 39% par rapport à la même période de l’année 2019, soit un différentiel de plus de 11 milliards de DH. Cependant, il est permis d’envisager l’avenir de ce secteur avec optimisme pour deux raisons principalement. D’une part, on peut noter que l’ensemble de l’écosystème automobile marocain, grâce à sa connexion avec le marché international, sera impacté positivement par le redémarrage de cette branche d’activité à travers le monde. D’autre part, et selon les données disponibles actuellement, le vent de relocalisation qui plane actuellement sur l’industrie automobile européenne en particulier, ne touchera pas le Maroc.
De la même manière, l’industrie aéronautique, dont le redémarrage est intimement lié à celui du trafic aérien, connaîtra en 2020 une baisse d’activité notable. Selon l’IATA (Association Internationale du Transport Aérien) , les compagnies aériennes accusent déjà des pertes évaluées à 314 milliards de dollars, et le maintien des 25 millions d’emplois générés par ce secteur au niveau mondial, est fortement compromis. Malgré les tentatives entreprises par les grandes compagnies internationales, l’activité du trafic aérien n’est pas prête de redémarrer de sitôt. Il est fort probable que ce secteur connaisse des mutations profondes, à l’instar de ce qui s’est produit suite aux événements du 11 septembre 2001. Pour la compagnie nationale Royal Air Maroc (RAM) , l’arrêt de l’activité a été brutal, et selon les responsables de cette entreprise, les pertes en chiffre d’affaires se sont élevés à 50 millions de dirhams par jour durant la pandémie. Le contrat programme de cette entreprise avec l’Etat qui était en phase de finalisation devra être revu en profondeur à la lumière de la nouvelle situation consécutive au Covid-19. Sa mise en application constitue aujourd’hui une issue de secours pour faciliter la remise en activité de cette entreprise.
Au final, deux points essentiels devront être pris en considération après le Covid-19, au sujet des branches d’activité de l’aéronautique et de l’automobile. D’une part, il est impératif d’assurer le maintien et la sauvegarde de l’expertise et des compétences accumulées au cours des dernières années et la notoriété acquise auprès des partenaires et clients des pays occidentaux.
D’autre part, et afin de consolider leur position dans la nouvelle configuration du marché international, ces deux secteurs (aéronautique et automobile) seront appelés à accélérer l’amélioration de leurs taux d’intégration qui se situent encore à des niveaux assez bas( 55% pour l’automobile et 40% pour l’aéronautique). Cette démarche permettrait à ces deux secteurs de se réinventer pour mieux s’intégrer dans le nouvel environnement économique mondial.
Quant au secteur du textile, il a réussi, sous l’impulsion de l’Etat et avec son appui, à maintenir une partie de son activité pour répondre aux besoins urgents en masques et habillement de protection pour le personnel de la santé d’abord, ensuite pour l’ensemble de la population. Après avoir couvert la demande intérieure, ce secteur industriel a initié des opérations à l’exportation pour une grande partie de sa production. Ce créneau lui assure un certain niveau d’activité en attendant que la situation à l’international se clarifie. Ça sera peut-être l’occasion pour ce secteur de découvrir d’autres orientations ou vocations dans un avenir proche.
La reprise du tourisme international, fortement secouée par cette pandémie, sera lente et aucune perspective dans un avenir proche, n’est envisageable. Plusieurs destinations nationales (Agadir, Casablanca, Fès, Essaouira, Marrakech, Ouarzazate, Tanger) seront dans l’obligation de se réadapter à la situation actuelle et réfléchir très sérieusement à des formules de rechange. Pour le moment on ne peut que relater le constat des pertes attendues au niveau des recettes touristiques qui se chiffrent à plus de 34 milliards de dirhams en 2020 selon les professionnels du secteur. À ce stade de la situation, toutes les mesures en relation avec les flux humanitaires doivent être analysées avec beaucoup de réserve et de prudence.
Le secteur agricole semble par contre bien tenir la route. En effet selon le département en charge de ce secteur, les exportations agricoles ont enregistré au cours des premiers mois de cette année, un accroissent substantiel par rapport à la même période de l’année dernière. Par contre, la sécheresse qui a sévi durant les premiers mois de cette année est un phénomène climatique habituel que le Maroc a l’habitude d’affronter à travers des programmes bien rodés. Par ailleurs le démarrage du programme » Génération Green 2020 /2030″ permettra de créer une nouvelle dynamique dans ce secteur.
En définitive, le redémarrage d’une grande partie de notre production orientée vers le marché international, sera fortement tributaire de l’appui que l’Etat serait disposé à mettre en place, à travers des supports financiers, pour renflouer la trésorerie des entreprises et inciter les investisseurs nationaux à s’impliquer d’avantage dans le processus de relance de l’activité économique. Le projet de loi de finances rectificative en cours d’élaboration, serait en mesure d’apporter des réponses concrètes à ce sujet.
ACTIVITES LIEES AU MARCHÉ NATIONAL.
Pour le moment, le principal objectif, consistera d’abord à relancer les activités à l’intérieur du pays, afin d’éviter une récession prolongée, une hausse du chômage et des faillites d’entreprises.
Avec l’extension de l’État d’urgence sanitaire au 10 juillet 2020, le Maroc semble avoir pris une décision sage et prudente, en mettant en avant la sécurité de la population.
Cependant, il est important de tenir compte des échéances événementielles qui marquent la période estivale de juillet août pour relancer notre commerce intérieur (période de congés pour les salariés, la fête d’aid al adha, vacances scolaires et rentrée scolaire). En effet, cette période est d’habitude caractérisée par une grande affluence des consommateurs sur le marché national.
Par rapport à cette logique, le tourisme intérieur peut participer activement pour atténuer le manque à gagner engendré par ce secteur à l’international. Le potentiel disponible à ce niveau permet de réaliser de bonnes performances durant la saison estivale, à travers la
confection de produits ou de packages axés sur le tourisme culturel et l’écotourisme et qui tiennent compte de la baisse du pouvoir d’achat des Marocains à cause de la pandémie, tout en intégrant plusieurs services (hôtels, maisons d’hôtes, restaurants, moyens de transport).
L’artisanat fortement liée au tourisme, peut également espérer s’accrocher à ce dernier pour relancer son activité.
Il faut cependant signaler le caractère informel que revêt la grande majorité des activités liées à ces deux secteurs (tourisme intérieur et artisanat) et qui nous interpelle en ce moment précis à plusieurs titres.
Ce secteur de l’économie souterraine ( ou l’informel) connaît actuellement un développement fulgurant, et a pris des dimensions incommensurables. Il absorbe une grande partie de la population active et constitue un véritable réservoir de qualifications techniques dans divers disciplines et un véritable générateur de revenus. Il rassemble une infinité de petits métiers (artisanaux et autres) qui constituent une richesse considérable non comptabilisé par notre économie.
Ce secteur est devenu un véritable phénomène de société dans le paysage des grandes villes, et malgré les avantages qu’il recèle en matière de résorption du chômage, son développement anarchique cache les véritables valeurs culturelles et traditionnelles de notre société et ternir notre réputation vis-à-vis de l’extérieur.
Durant ces moments difficiles de la relance des activités, la mise à niveau de ce secteur, et son insertion dans l’économie organisée, donnera un signal fort de la volonté de l’Etat à mettre l’élément humain au centre du processus de développement. Par ailleurs cette démarche peut s’inscrire naturellement dans le cadre de la mise en œuvre du nouveau modèle de développement économique actuellement en cours d’élaboration. Elle permettra de rétablir la dignité d’une grande partie de la population active et l’inciter à contribuer d’avantage à la création de richesse.
LE RÔLE DE L’ETAT.
Cette relance suggère de la part de l’Etat l’adoption d’une véritable politique volontariste visant en premier lieu une nouvelle redistribution budgétaire en plaçant les secteurs de l’enseignement et de la santé parmi ses priorités. Orienter une partie des investissements vers ces secteurs à travers des mesures réactives et inclusives, participera à la création de conditions socio-économiques favorables pour l’émancipation et la promotion de l’élément humain. Pour éviter toute déperdition des moyens déployés, il faut surtout tenir compte de la situation sanitaire et des besoins réels en moyens d’enseignement et de formation de la population.
L’appui de l’Etat et des institutions financières seront indispensables pour mettre à la disposition des opérateurs les liquidités nécessaires pour renflouer leurs fonds de roulement et favoriser le redémarrage de leurs activités. L’appui de Etat aidera également à déclencher un processus de création d’emplois, en augmentant le volume de la commande publique, surtout au niveau local et régional, d’une part, et en accélérant le règlement des arriérés des administrations et des organismes publiques, d’autre part.
A l’occasion de cette relance, l’activation des mécanismes concernant les contrats programmes qui lient l’Etat à certains organismes publics et certaines branches de l’économie, peut apporter un souffle complémentaire à certains secteurs très affectés par la pandémie. La révision de ces contrats programmes, à la lumière de la nouvelle situation engendrée par cette pandémie, et leur mise en application durant la phase post Covid-19, permettront d’apporter un appui fondamental à la nouvelle dynamique de relance.
Toujours dans le même esprit, cette période de redémarrage de l’activité économique constitue une bonne occasion pour accélérer la mise en œuvre du contrat programme avec le secteur agro-industriel.
Concernant le secteur informel, la mesure relative à l’institution d’une contribution professionnelle unique (CPU) prévue dans le projet de loi de finances rectificative 2020, si elle est adoptée, constituera un pas déterminant vers l’assainissement de ce secteur. Ce nouveau régime prévu à l’adresse des personnes physiques dont le revenu professionnel est déterminé selon le régime du bénéfice forfaitaire (BF), est conçu de manière à englober plusieurs impôts et prélèvements obligatoires à la fois : IR, Taxe professionnelle, Taxe des services communaux et cotisations sociales. Il présente l’avantage de simplifier les démarches vis à vis du fisc d’une part, et de favoriser la généralisation du système de protection sociale d’autre part. Cette mesure permettra à une infinité de petites activités professionnelles d’exercer dans le formel et de bénéficier d’un système de protection médico-sociale.
Pour l’instant, la principale urgence à traiter dans le cadre de l’élaboration de cette loi de finances rectificative, consistera tout d’abord à prospecter et mobiliser les fonds nécessaires pour répondre aux besoins budgétaires exprimés par cette relance. Par ailleurs, notre pays doit rester attentif à l’évolution de l’activité économique au niveau mondial après cette pandémie, et se préparer à réagir dès que l’environnement sera propice.
(*) EL HANAFI AHMED Ancien Chargé de Mission Auprès du Premier Ministre
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