Un réseau télécom, quel que soit la technologie de commutation utilisée, n’est généralement pas conçu pour écouler normalement du trafic dans les situations de crises. Avant l’avènement de la commutation de paquet et notamment dans les années 80, on utilisait la loi mathématique d’Erlang pour dimensionner un réseau télécom basé sur la commutation de circuit. Pour protéger les réseaux contre les tentatives d’appels, on utilisait le critère de « BHCA ». Ce critère, qui est l’acronyme de « busy hour call attempts » en anglais, définit les tentatives d’appels à l’heure chargée (TAHC), qui est l’unité désignant la capacité d’un réseau télécom à supporter les appels, notamment en période de crise.
Cette modélisation d’Erlang a été longtemps adoptée pour le calcul de la charge des réseaux téléphoniques, et qui reste toujours valable dans certains cas pour les communications de type voix. Mais, depuis l’avènement de la commutation de paquet, cette modélisation n’est plus valable, surtout quand il s’agit aussi de la transmission des données.
Selon les organismes de normalisation dans le domaine, on assure le dimensionnement d’un réseau télécom, aujourd’hui, on décomposant l’ensemble des services en quatre classes : classe des services conversationnels, classe des services à flux continu ou Streaming, classe des services interactifs, classe des services en mode téléchargement. Les deux premières classes sont prévues pour les services du type temps réel alors que les deux autres classes concernent les applications non temps réel, se caractérisant par une tolérance aux délais de transmission. Dans le cas des services à flux continu ou Streaming, le dimensionnement est géré par le processus mathématique dit « de Markov ».
Pour la classe des services interactifs, tel que le service de la consultation des pages Web, le dimensionnement se base sur le processus mathématiques dit de poisson. Pour la classe des services en mode de téléchargement, le trafic de cette classe est insensible au délai, il est considéré de type « Best Effort ». Les téléchargements sont normalement transmis en dehors des périodes chargées du réseau cœur, c’est-à-dire au cours des périodes d’inactivités des autres classes de services. D’une autre manière, ces services ne contribuent pas à la charge du réseau.
Donc dès qu’il y a une situation anormale, on doit prendre les mesures nécessaires pour bien gérer les réseaux télécoms et éviter leurs arrêts, comme c’est le cas avec la pandémie du Covid-19 et particulièrement dans les pays en voie de développement.
D’après mon expérience personnelle dans ce domaine, quand je travaillais, dans la signalisation et dans le dimensionnement des réseaux durant les années 80, les réseaux des pays développés sont relativement bien dimensionnés et sont moins exposés aux surcharges de trafic que ceux des pays en voie de développement. On peut considérer cette différentiation dans la qualité du dimensionnement du réseau comme un autre type de fracture numérique invisible, entre les pays riches et ceux en voie de développement,
Les acteurs sollicités pour prendre les mesures qui s’imposent pour répondre aux besoins, en évitant l’encombrement des réseaux :
Dès le début des confinements, un peu partout à travers le monde, début mars 2020, les différents acteurs télécoms et numériques au niveau mondial ont anticipé les effets sur les réseaux télécoms, en entreprenant, pour cette finalité, un ensemble d’actions. Pour ce faire, les politiques, les régulateurs et les opérateurs télécoms, tout comme les industriels, les fournisseurs de solutions et d’équipements se sont mobilisés pour bien gérer le trafic des différents usagers et concilier entre les activités de télétravail et de télé-enseignement, d’une part, avec celles de communication et de divertissement, d’autre part. Ainsi, en Europe à titre d’exemple, dès le début du confinement, le commissaire européen Thierry Breton a sollicité des mesures aux acteurs télécoms pour éviter l’encombrement des réseaux. Il a ainsi demandé aux plates-formes de streaming de faire diligence pour assurer le bon fonctionnement d’Internet, pendant l’épidémie du Covid-19. Dans cette envolée, le débit vidéo a été adapté, en offrant temporairement une définition standard, plutôt que la haute définition, notamment lors des heures de pointe.
Au Sénégal, le trafic internet sur les mobiles a augmenté de 42% entre février et mars 2020. La demande de la bande passante a poussé par exemple les opérateurs comme Orange Maroc et Orange Sénégal à accroitre, entre autres, les capacités louées chez les divers détenteurs de câbles sous-marins. Le Groupe Orange, présent dans 18 pays en Afrique, a pris note de cette augmentation du trafic et de la modification dans les nouveaux besoins de ses clients. Ce groupe a aussi constaté une forte demande sur l’internet fixe, dont notamment la FTTH (fiber to the home). La pandémie a même permis à ce groupe d’accroître son segment de marché de 5%. Comme en Europe, les opérateurs africains ont aussi mené des négociations avec les plateformes numériques internationales, qui consomment plus de bande passante, pour ajuster la qualité de leurs offres. Par exemple, en Afrique du Sud, Netflix a consommé plus de 65% de bande passante en avril 2020.
Les régulateurs ont été aussi sollicités par les opérateurs pour plus de fréquences afin d’augmenter la capacité des sites radios. A titre d’illustration et devant la hausse exponentielle du trafic avec l’épidémie du Covid-19, le régulateur américain (La FCC), a pris des mesures exceptionnelles. Cet organisme a ainsi accordé aux opérateurs télécoms américains, un accès temporaire et en urgence à un plus grand nombre de fréquences, afin de renforcer la bande passante des opérateurs à l’échelle des USA. Cette manipulation du spectre de fréquences avait pour objet d’enrichir la bande passante proposée par les opérateurs, au cours de la période de confinement.
Netflix et YouTube on réduit la qualité des vidéos pour laisser la bande pour le télétravail et le télé-enseignement :
En raison du confinement de la population et de la hausse du volume du télétravail, les plateformes numériques internationales ont réduit la qualité de leurs vidéos, là où les réseaux Internet sont les plus sollicités, pendant le confinement et ce, à partir du mois de mars 2020. Confinées chez elles afin de limiter la propagation de la pandémie de la Covid-19, des centaines de millions de personnes ont utilisé Internet pour travailler à distance, s’occuper ou divertir leurs enfants ne pouvant plus aller à l’école. Notons qu’à eux seuls, Netflix et YouTube représentent chacun 12 % de la consommation de données.
Pour lutter contre la propagation des fausses informations et pour limiter l’encombrement en temps de charge, Facebook a décidé depuis mi- avril 2020 jusqu’à présent, la mise en place immédiate d’un nouvel outil pour limiter les possibilités de partage. Avec la pandémie, il n’est possible de partager un fichier que limitativement sur WhatsApp, en temps de charge élevé.
Les télécoms en 1918 et en 2020, un siecle d’évolution.
La dernière fois où un virus a été aussi ravageur que le Sars Cov 2 remonte à 1918, lors de la grippe dite « espagnole ». En effet, cette grippe a tué presque 5% de la population mondiale, soit 70 millions de victimes et elle a touché plusieurs pays dont la Chine et les USA.
On l’a appelée « grippe espagnole » car l’Espagne, n’ayant pas été engagée dans la guerre 14-18, était la seule à pouvoir communiquer sur cette pandémie. En 1918, on comptait à peine 13 millions de postes téléphoniques fixes dans le monde, dont 9 millions aux États-Unis. Aucune chaine de télévision n’existait à l’époque. Coté radio, seule la ville de Montréal était dotée d’une station-radio dont l’inauguration a été justement faite en 1918. Alors qu’aujourd’hui, en 2020, presque 70% de la population mondiale est équipée d’un téléphone mobile et plus 40% de cette population est dotée d’un smartphone, avec accès aux divers services de l’internet, dont notamment les réseaux sociaux et Whatsapp.
Presque 3 milliards d’ordinateurs sont fonctionnels, dont la plupart sont connectés à l’internet au niveau de la planète. On compte aussi plusieurs stations-radio, chaines de télévision et plates-formes de vidéo à la demande, sans compter le nombre incalculable de vidéo sur YouTube notamment !
Quand on voit le rôle joué par les divers réseaux télécoms et numériques depuis le début de la pandémie début 2020, jusqu’à nos jours, on ne peut que rendre un vibrant hommage à tous les acteurs concernés, à savoir les régulateurs, les opérateurs télécoms, les scientifiques, les ingénieurs, les techniciens, les gestionnaires, les juristes, les financiers et les divers industriels, pour les efforts louables qu’ils ont déployés. Grands efforts entrepris particulièrement durant ces moments difficiles pour entretenir l’ensemble des réseaux de communication à distance et permettre aux usagers de continuer à communiquer et à entretenir virtuellement nos divers liens sociaux. Ces efforts seront certainement poursuivis pour assurer la connectivité universelle et planétaire, utile en cette période de crise, et ce, en dépit des diverses divergences observées, dont notamment celle existant entre les opérateurs télécoms et les géants de l’internet !
Par Ahmed Khaouja Directeur de PTT Maroc (www.ptt.ma).
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