Les deux espaces pédagogiques
juillet 3, 2024
tribune libre
Par Ata-Ilah Khaouja
De quoi s’agit-il ?
Nous vivons sur un radeau qui tire sa subsistance de la vague aquatique terrestre et son énergie de l’espace atmosphérique grâce au cordon ombilicale solaire. Tout naturellement. Mais cet espace atmosphérique est naturellement identique à celui de nos ancêtres et en même temps et paradoxalement, il en est culturellement complètement distinct et différent. Hier, nos aïeuls vivaient dans une biosphère naturelle sans le moindre soupçon de culture. Aujourd’hui, nous nous activons dans une atmosphère culturelle oppressante et étouffante. Les lignes ci-dessous proposent de voyager, à bord du mot “ pédagogie ”, du passé naturel au présent culturel.
La pédagogie à l’ère de l’espace naturel
A l’image de l’homme, composé d’une partie naturelle et d’une autre culturelle, la pédagogie qui est aujourd’hui plongée dans un espace totalement culturel, a été d’abord noyée durant des millénaires dans un milieu purement naturel. En ces temps pourtant pas aussi reculés, tout était nature : la force se tirait des bestiaux, l’habitat se montait de pierre et de chaume, l’habit se confectionnait de soie ou de coton…
Et le mot pédagogie, qui signifie l’instruction des enfants, se nommait “ paideia ”, et le préfixe “ paida ” qui veut dire tout simplement enfant, se laisse voir facilement dans certains mots comme pédiatrie ou pédologie qui s’écrit également paidologie. Présent dans toutes les langues, le mot “ pédagogie ” est un trésor linguistique rare et confirmé, justement, par son histoire.
En effet, la légende précise que le pédagogue, à l’origine, c’est-à-dire à l’époque de la Grèce de Platon, était tout simplement, l’esclave qui conduisait un enfant, en général fils du noble, pour aller assister aux leçons du sage et pour apprendre des enseignements donnés, au forum, par Socrate ou par d’autres. L’histoire de cette définition, semble tellement scintiller d’actualité, qu’on dirait qu’elle date fraîchement de ce matin. Elle ne paie pas de mine, certes, mais son récit recèle des secrets profonds et magiques, qui sont : “enfant”, “esclave”, “ sage” et enfin “ conduite ”, ou accompagnement à travers conduire.
Premièrement, le mot “ enfant ”, nous venons de le voir, est traduit par le préfixe “ paida ”. Ensuite, passons à “ esclave”, personne privée de liberté et d’autonomie et à qui étaient confiées des tâches habituelles, et qui était, surtout et essentiellement, contrainte d’exécuter des ordres. Que des détails troublants, car se retrouver obligé de répéter des tâches identiques, c’est devoir exécuter des missions décidées auparavant. Ce qui annonçait, déjà, le début d’une certaine idée de “ programme ” et de “ programmation ”. Exactement et scrupuleusement, esclave était une personne programmée à reproduire les mêmes actions, comme conduire un enfant, matin et soir, à l’instruction.
Reprenons la “ conduite ”. L’accompagnement est, en effet, introduit par le suffixe “ gogia ” qui apporte l’idée de “ conduire et pousser l’enfant ” sur le chemin de la connaissance. Au vrai sens : éduquer. Il y avait de quoi, car emprunter des parcours entre le foyer familial et le centre du savoir, relevait de l’aventure et exigeait qu’on y soit accompagné d’une personne plus expérimentée. Le pédagogue, à cette lointaine époque, où la nature avait tous les droits, était un véritable aventurier, car, aller apprendre, sous un ciel qui, quand il ne pleuvait pas des averses d’eau, des éclairs d’orages, des grondements de tonnerres… il était peuplé de griffes de vautours et autres rapaces volatiles… ou enfin de temps à autres des météores ou astéroïdes : aller apprendre était donc une péripétie périlleuse et nécessitait un accompagnateur tout le long du parcours. Parcours, donc déplacement et mouvement. Donc mobilité. Soit moteur.
Enfin, et pour clore cette partie, terminons par le mot “ sage ”. A l’époque, doué d’une faculté de mémoire phénoménale, et avant de devenir une véritable bibliothèque beaucoup plus tard, le sage était un authentique et infaillible réservoir de textes et de récits.
Résumons : avant, la pédagogie se résumait à un serf ou esclave, condamné à faire des allers-retours et conduire, matin et soir, sous un ciel dégagé ou couvert, cent pour cent naturel, un enfant pour aller apprendre auprès d’un sage qui incarnait une encyclopédie incontestable.
Pédagogie à l’ère de l’espace culturel
Qu’en est-il de nos jours, où, le ciel, en plus du naturel, pleut des pixels, des bandes passantes et des fréquences … ? Où le ciel, en plus des nuages, est couvert de satellites, de Stations Spatiales et de télescopes…
Posée autrement, la question est : que ferions-nous, aujourd’hui, si nous étions confrontés à un apprentissage nouveau qui exigerait pédagogie ? Sous notre mouchoir, via notre smartphone, par exemple, nous interrogerons un moteur de recherche qui se chargera d’aller chercher dans une encyclopédie, Wikipédia, par exemple, contenus, définitions, explications, le tout, accompagnée d’exemples visuels et auditifs : écrits, images et vidéos ! Retenons de cette dernière phrase, qu’il s’agit d’un “moteur de recherche” qui permet d’“aller chercher” un savoir dans une “ encyclopédie”.
Or, à la différence d’une machine qui ne bouge pas, un moteur, au sens thermodynamique ou mécanique, transforme une ou plusieurs énergies en mouvement. Et où nous retrouvons les pas de l’esclave de départ. D’autre part, on définit un “ moteur de recherche“ comme un ensemble d’“algorithmes” à la recherche d’informations logées dans un “ serveur “. Or, encore une fois, le mot “algorithme” veut dire programme, donc à nouveau exécution automatique. Et “ serveur ”, vient du mot “ serf ”, qui signifie exactement esclave ! On dit bien servilité et asservir, servant, servante et servitude… En un mot : un“ moteur de recherche” est un esclave programmé pour aller chercher une information, bien précise, logée quelque part, dans un lieu de savoir, appelé justement “ encyclopédie ”. Ainsi, par miracle, nous y reconnaissons la définition de l’esclave de tantôt.
Et, aujourd’hui, qui sommes-nous quand nous interrogeons la toile ? Nous sommes tous aujourd’hui, tout naturellement, des enfants, nos mains tenues par un esclave-moteur-virtuel à destination du sage-savoir-Wikipédia logé précieusement dans une encyclopédie virtuelle ! Par bonheur, remarquons ces deux petites merveilles : dans le mot “ Wikipédia ” comme dans “ encyclopédie ”, l’instruction de la jeunesse, c’est-à-dire la pédagogie se trouve à leur fin. Ou à leur finalité, en réponse à pour quoi aller rendre visite à un sage, comme cela se passait hier, ou comme c’est le cas aujourd’hui, pour quoi aller surfer sur la toile : pour apprendre ! D’autre part, et curieusement, nous lisons vitesse dans Wikipédia, car, “ Wiki ” tiré du langage hawaïen, signifie rapide et vite.
Subsistent, tout de même, quelques questions au sujet de notre petite histoire du pédagogue. Celui-ci, en accompagnant le jeune, le devançait-il pour mieux lui montrer le chemin : orientation scolaire ? L’interrogeait-il en fin de journée, lors du retour, le long du parcours, sur ses acquisitions : travaux dirigés et partiels ? Prenaient-ils des pauses fréquentes durant le trajet : vacances scolaires ? Changeaient-ils de chemins régulièrement : diversifications des méthodes ? Peu importe, ce qui compte et mérite d’être retenu, c’est que l’enfant ait quitté l’appartenance à sa classe pour la connaissance et la sagesse. Sans le pédagogue, nous serions probablement encore à l’archaïsme des castes et à l’injustice de l’esclavage, et certainement, sans ce noble pédagogue, nous ne serions pas ce que nous sommes aujourd’hui.
Pour finir
Le pédagogue a toujours accompagné l’humanité, qu’elle ait habité, autrefois, un espace purement naturel ou qu’elle soit envahie, comme de nos jours, par des signaux culturels de toutes sortes. Et le pédagogue a toujours été un intermédiaire entre un savoir et un public, entre du nouveau et des curieux. A l’époque grecque, l’humanité se déplaçant à la vitesse du pas du randonneur, avait besoin d’un pédagogue humain, trainant les pieds, pour accompagner l’Homme assoiffé d’apprendre. A notre époque, où le ciel est couvert de satellites, de stations spatiales, de télescopes… où tout s’accélère et où les télécoms nous transportent à la vitesse de la lumière, alors le véritable pédagogue, cette fois-ci, se métamorphose en moteur de recherche purement virtuel un clico-gogue. Pour le dire autrement : grâce à la pédagogie, grâce à l’éducation, la jeunesse a quitté, à pied, l’appartenance à la caste de noblesse grecque pour prendre la direction de la noblesse du savoir. Grâce aux télécoms, nous y allons, tous, jeunes et moins jeunes, à la vitesse inouïe de la lumière !
Par Ata-Ilah Khaouja