Serions-nous ce que nous sommes aujourd’hui si nous étions parfaits ? Nous apprenons pour corriger nos imperfections et améliorer nos réalisations. Serions-nous ce que nous sommes actuellement si nous étions satisfaits de notre première invention? Nous apprenons pour dépasser nos frustrations et l’emporter sur nos déceptions. Enfin, serions-nous ce que nous sommes à présent si nous n’avions pas délégué la première tâche pénible et corvéable ? Nous apprenons pour mandater nos pénibles activités et pour externaliser nos fonctions.
Un parfait imparfait !
Tout d’abord, nous sommes nés inachevés, capables de rien. Les animaux sortent des ventres maternels équipés et doués d’activités qui exigent, à l’humain, des mois ou des années pour les accomplir : le cheval par exemple, une heure après sa naissance, se lève, marche et fait le tour de l’étable sans être accompagné, et dans la semaine, le voilà dehors en train de gambader et de sauter dans les champs avec ou sans la présence de ses parents. Le cheval, parfait qu’il est dès sa naissance, n’a aucun besoin de s’initier ni à la position debout ni à s’entraîner à la marche. L’homme, quant à lui, a besoin de deux mois rien que pour tenir sa tête droite, et ne mange pas seul avant 5 ou 6 mois. Et pour marcher, il doit d’abord vaincre, après plusieurs tentatives échouées, le vertige de la position debout. Ensuite, après des chutes bien douloureuses des fois, il commence enfin à peine à marcher, c’est-à-dire pas avant un an. Et, enfin, il ne vit pas sans ses parents avant l’âge de … 20 … 30 ans !
Si les bébés des tortues marines, à peine sortis des œufs enfouis dans le sable, prennent sans le moindre apprentissage la direction de l’océan, et non celle de la terre ferme, cela prouve leur perfection dès leur naissance. Ces bébés tortues prouvent également leur avancée gigantesque par rapport à l’espèce humaine : il nous a fallu, à nous les humains, combien de millénaires pour qu’enfin nous soyons équipés de GPS, faillible par moments ?
Aucun animal, ni le cheval ni la tortue marine ne vivront cette aventure unique, exceptionnelle et exclusivement humaine : pour se mettre à marcher, l’Homme a d’abord essayé sans succès, il a multiplié les chutes, les pleurs… il a appris à marcher ! Et pour s’orienter, il a erré et tournoyé d’abord, il s’est égaré et s’est perdu, ensuite il s’est référé, tout au début, aux étoiles avant d’inventer la boussole et les cartes géographiques… et avant de découvrir, enfin, tout récemment, le fameux GPS, dont certains animaux sont équipés dès leur arrivée au monde.
Nous sommes complètement démunis et sans aucune connaissance à la naissance mais nous devenons au fil des âges ce que nous sommes grâce à nos imperfections. C’est parce que nous sommes imparfaits que nous sommes condamnés à évoluer et à actualiser sans cesse notre intelligence. Les animaux sont programmés à rester encagés dans leur première investiture naturelle, parfaite et instinctive, alors que l’Homme, lui, il est programmé à vivre entièrement déprogrammé hors de toute cage instinctive.
Mais toutes ses aventures, à travers les temps et les lieux, que l’humain va vivre se déduisent et se déroulent, comme d’un dévidoir, des premiers pas hésitants et douloureux vécus dans un logis très étroit : toutes les expéditions et tous les voyages s’étirent des premiers pas appris par le petit homme, dans le salon en tenant à ses parents. Tous les livres écrits sortent de la toute première lettre alphabétique écrite grossièrement ou gravée maladroitement. Tous les bavardages aboutis et bien soignés qui sont racontés sur le Globe doivent leur mérite à ces premiers balbutiements hésitants et bégayants qu’un tout petit bonhomme s’exerçait à répéter pour plaire à ses parents. Bref, tous les succès que l’être humain collectionnera à travers les âges vont se succéder, par alternance, aux erreurs qui servent de guides et où les victoires prennent appui sur l’échec. Comme deux sœurs siamoises, l’erreur et la victoire sont inséparables et la chute instruit et éclaire le chemin à la victoire, comme un phare dans l’océan des possibles. C’est l’imperfection qui est féconde et porteuse de succès.
L’infatigable insatisfait.
C’est parce qu’il est tout le temps insatisfait de ses réalisations que l’homme passe continuellement d’une innovation à l’autre. Si la première invention était parfaite, pourquoi serait-elle remplacée par une autre. Entre la toute première pratique, fondatrice certes, des communications réalisée à l’aide de partage de signaux de fumée et la première expérience du transport de la voix se trouve un fossé énorme à peine croyable.
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