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Synthèse critique du livre « La nouvelle société du coût marginal zéro l’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs, et l’éclipse du capitalisme » de l’auteur Jeremy Rifkin

Synthèse critique du livre « La nouvelle société du coût marginal zéro l’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs, et l’éclipse du capitalisme » de l’auteur Jeremy Rifkin

La version française du livre de M. Jeremy Rifkin (J.R) a été publié le 24 Septembre 2014, aux Editions « Les Liens » avec le titre « La nouvelle société du coût marginal zéro, l’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs, et l’éclipse du capitalisme ». J.R qui est né le 26 janvier 1945, est un écrivain américain, spécialiste de la prospective  économique et scientifique. Son travail consiste, en partant des tendances scientifiques actuelles, à explorer les potentialités technologiques et de leurs impacts socio-économiques dans le futur. J.R est également auteur de plusieurs livres, président de la Fondation USA des tendances en économie et conseiller de certains décideurs politiques comme Angela Merkel d’Allemagne. Le livre de J.R décrit l’impact de l’internet sur l’économie et sur certaines certitudes et règles qu’on pensait acquises pour toujours. Si, avec internet, la valeur d’usage est en train de s’imposer par rapport à la propriété, la coopération humaine tente d’éliminer la concurrence. Ces nouvelles tendances sont, entre autres, encouragées par les diverses applications développées sur internet. Pour J.R, le capitalisme miné par sa logique de productivité extrême, grâce aux nouvelles technologies de communication et de l’internet, va rendre le coût marginal quasi nul. J.R dessine dans ce livre un nouveau paradigme de collaboration entre les divers usagers, qui mènerait à une société plus efficiente et où le capitaliste devrait apprivoiser l’économie de partage au risque de disparaitre. J.R prévoit, d’ici 2050, une configuration où les « communaux collaboratifs » s’imposeraient en tant qu’arbitres suprêmes de la vie économique.

 Le livre de 295 pages est rédigé en cinq parties et 16 sous parties (voir Tableau 1).  Tout d’abord, J.R commence dans son essai par affirmer que l’économie de partage est en train de remplacer partiellement l’économie de l’échange qui prévaut actuellement. J.R s’appuie sur les faits qui font, qu’actuellement, un peu partout dans le monde plusieurs milliers de producteurs et de consommateurs collaborent souvent gratuitement sur internet. Ce phénomène de partage a commencé au début des années 2000 avec les logiciels libres dits « open source » et avec le partage des morceaux de musique.

J.R soutient le fait que réellement depuis le début du 18ème siècle la main invisible d’Adam Smith et les mécanismes du marché ont contribué à aller dans le sens de la recherche d’un coût marginal tendant vers zéro. En effet, la réduction du coût marginal a été toujours l’une des préoccupations des entreprises industrielles qui cherchaient à augmenter les profits et ce, dans le cadre de la modernisation des outils de travail. Mais pour J.R, la recherche des rendements par une modernisation permanente du processus industriel et qui a été l’une des motivations de l’économie de marché, semble se retourner contre le capitalisme. J.R évoque ce constat dans le cas où la technologie va aller dans le sens d’une ultra- productivité, permettant de rapprocher le coût marginal de production de zéro. J.R, affirme dans son livre que pour la première fois dans l’histoire, l’humanité s’éloigne d’une économie de pénurie vers une économie d’abondance durable.

Pour illustrer ces constats, J.R donne l’exemple de l’enseignement à distance avec l’avènement des MOOCs « Massive Open Online Course » que l’on peut traduire par « cours en ligne ouvert et massif » ou l’exemple du transport avec les applications Uber. Pour mémoire, le coût marginal de production est classiquement défini comme étant le coût supplémentaire induit par la dernière unité produite.

Ensuite, J.R, qui essaye de démontrer que le principe du coût marginal zéro va aller au-delà du monde numérique, il estime que le partage sera diffusé mondialement grâce la volonté d’aller vers la recherche d’une énergie renouvelable décentralisée et moins chère. Car l’un des principaux secteurs économiques, concerné par le coût marginal zéro, est celui de l’énergie. Les structures de production d’énergie décentralisées, qui sont en train de naitre, vont certainement retirer du pouvoir aux grandes entreprises classiques de production, de transport et de distribution de l’énergie.

Puis selon  J.R, les réseaux sociaux sur internet ne vont pas uniquement contribuer à la conception de nouvelles technologies informatiques et de nouveaux logiciels, mais ils vont aussi participer à la conception de nouveaux médias, de nouveaux produits fabriqués par impression 3D et de nouveaux outils pédagogiques. Ces évolutions sont dues à la mise en œuvre d’une infrastructure intelligente, grâce notamment à des capteurs de plus en plus nombreux permettant de prendre des décisions en temps réel. D’après J.R, il existe actuellement près de 30 milliards de capteurs installés un peu partout. Dans dix ans ce chiffre serait porté à 1000 milliards de capteurs qui seront installés à travers le monde, dans le cadre ce qu’on appelle « l’internet des objets ».

Selon J.R, avec les imprimantes 3D, il est possible de produire à un coût marginal faible et constant des objets dessinés et conçus sur des logiciels open source, par des créateurs à travers le monde entier.

Enfin, J.R évoque un avenir où il y aurait un développement des « communaux sociaux ». Il s’agit d’un ensemble très varié d’associations, de forums, de coopératives regroupant producteurs et consommateurs, de fondations caritatives. Si au XXème siècle, la société civile s’est institutionnalisée sous forme d’associations dites à but non lucratif, la nouvelle génération préfère parler de « communaux sociaux » et de « prosommateurs » comme membres. Les « prosommateurs », pour J.R, sont une nouvelle catégorie de membres qui remplacent au même temps les consommateurs et les producteurs dans ces « communaux sociaux ». J.R affirme que si le marché capitaliste a pour fondement l’intérêt personnel, ces « communaux sociaux » sont motivés par les intérêts collaboratifs et un désir profond de relation avec les autres et de partage. Si le marché promet les droits de propriété, les seconds privilégient l’innovation ouverte, la transparence et la recherche de la communauté. D’ailleurs, M. Habib Ghériri, qui est professeur à l’Université Paul Cézanne Aix-Marseille où il enseigne les relations internationales, a confirmé en partie cette tendance de J.R dans son livre « les relations internationales » publié en janvier 2010 aux éditions LGDJ, en affirmant que « le XXIème sera le siècle des groupements et des forums ».

Mais J.R n’a pas que des adeptes, il est critiqué pour ses prédictions par certains intellectuels, dont notamment l’auteur américain M.Eric Raymond et l’écrivain français Jean Paul Baquiast, tous les deux spécialistes des technologies de l’information et de la communication. Eric Raymond reproche à J.R de ne pas tenir compte de tous les éléments dans ses analyses. Selon Eric Raymond, l’impression 3D demande du personnel et des matières premières, qu’on doit acheminer vers les imprimantes 3D. Ce qui implique, pour ce cas précis, un coût marginal de production supérieur à zéro. Par ailleurs, la même critique a été adressée par l’auteur américain en ce qui concerne le secteur économique primaire. Ainsi et à titre d’exemple, il évoque le cas de l’alimentation où la plupart des facteurs qui entrent dans la fabrication des produits alimentaires que nous consommons, comme le cas du transport, ont un coût marginal supérieur à zéro.

S’il est vrai que l’internet a permis à plusieurs individus,  de s’exprimer, il a en même temps permis à des entreprises, comme Google, Apple, Facebook et Amazon, de réaliser des chiffres d’affaires croissants et des capitalisations boursières importantes. En effet, aujourd’hui les géants américains de l’internet dominent le marché mondial du numérique et sont les plus gros utilisateurs de bande passante au monde. Quant à Jean Paul Baquiast, spécialiste des technologies de l’information et de la communication en France,  il affirme notamment que partout, dans les pays dits riches, comme dans les pays émergents et même les pays pauvres, l’on observe l’existence d’associations puissantes et ayant de moyens financiers importants pour renforcer le contrôle sur le pouvoir médiatique et politique. Cette catégorie d’associations ne renoncerait pas aux modes de production et de consommation traditionnels et capitalistes, dont J.R prévoit la disparition spontanée. Mais J.R semble oublier aussi que les liens sociaux entre les membres de ces « communaux sociaux » qu’ils évoquent, resteront qu’on le veuille ou pas, matériels, car l’homme, par nature est motivé par les écosystèmes qui lui rapportent plus ! Philippe Escande et Sandrine Cassini, journalistes français, ont précisé dans leur livre « Bienvenue dans le capitalisme 3.0 » publié en aout 2015 aux éditions Albin Michel, que le capitalisme est un système adaptable et qu’il n’est pas sûr qu’il va disparaitre avec l’internet comme l’imagine J.R.

Jean Paul Baquiast ajoute que, Google, suivie de quelques autres firmes, ambitionnent à terme, non seulement de monopoliser tous les usages imaginables, mais de mettre en place une base mondiale de la connaissance auquel nul n’échapperait. Les objets connectés, quant à eux, très bien appréciés par J.R, seraient très vite détournés, afin de se donner des moyens d’intrusion dans la vie quotidienne des utilisateurs. A tel point que J.R semble omettre que l’emballement pour les objets connectés pourrait bel et bien se révéler comme étant un narcotique aussi puissant que le soma l’était pour les habitants du « Meilleur des mondes » de Aldous Huxley, roman paru en 1932, si une régulation adéquate n’est pas conçue pour protéger au mieux nos données personnelles.

Si le livre de J.R gagnerait à être amélioré par des éléments de réponse aux questions soulevées dans cette fiche de lecture, cela ne veut pas dire que tous les apports et les idées qui sont rapportés par ce livre ne sont pas pertinents et utiles. Le livre de JR est intéressant à lire en dépit de ces critiques, et malgré le fait qu’il a négligé certains points pertinents, comme la lutte contre le chômage ou le conflit qui oppose les géants de l’internet et les opérateurs télécoms. En effet, M.J.R semble oublier que pour faire fonctionner son « économie de partage » et ses « communaux sociaux » et connecter « les milliards de capteurs » dont il parle, on aura besoin de réseaux télécoms plus performants. Or pour que les opérateurs télécoms continuent à investir dans les infrastructures télécoms on aura besoin d’un modèle de partage des revenus adéquat et légitime entre ces opérateurs et les géants de l’internet.

Par Imane Khaouja Doctorante à L’Ecole Mohammadia d’Ingénieurs, Rabat.

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