jeudi , 28 mars 2024
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Le secteur postal Marocain à la croisée des chemins

Par Noureddine Moulahid

Par Noureddine Moulahid

De nos jours, la baisse structurelle du courrier  fragilise le modèle postal traditionnel. En effet, le développement du commerce en ligne et des moyens de communications par internet ont fait apparaître de nouveaux besoins en matière de rapidité et de fiabilité de livraison, ou encore de variété dans les modes de distribution. Mais le segment de marché le plus exposé à la substitution est celui de la transmission des messages, qui chancèle sous l’effet de la concurrence directe des nouvelles technologies de communication. Ceci a induit à une chute des volumes de trafic de courrier qui a  ébranlé la situation économique et financière de l’opérateur postal officiel, dont la baisse des recettes destinées à financer ses coûts d’exploitation entraînera des déficits de plus en plus importants.

                L’opérateur postal public auquel incombe d’assurer le service postal universel doit à la fois desservir les zones où il intervient à perte, et maintenir ouverts des points de contact en assurant des prestations non rentables. De plus, l’opérateur officiel doit puiser dans ses recettes pour entretenir ou développer son réseau de distribution, ce qui se répercute sur divers éléments de sa structure de coûts. Le gouvernement, qui était propriétaire/gestionnaire, devait  donc assurer dans de nombreux pays le financement nécessaire à l’équilibre du budget et au maintien de la viabilité économique et financière de ce dernier. Cependant la spirale à la baisse a provoqué une crise dans le secteur postal et a attiré, au bout du compte, l’attention des responsables gouvernementaux qui ont entamé des reformes. Ceux-ci ont procédé à la mise sur pied d’un programme d’action bien structurées avec la participation active de l’opérateur postal officiel en  s’efforçant de développer un nouveau modèle à même de répondre aux besoins des clients et de soutenir les efforts de développement du pays à court, à moyen et à long terme.

Globalement, l’industrie postale se trouve actuellement marquée  par deux grandes tendances ; la libéralisation du marché et la constitution de partenariats entre les opérateurs de services publics et privés.

Au Maroc, le secteur postal évolue lentement en raison d’une part du retard de la réforme et d’autre part de la multiplicité des opérateurs combinée avec un cadre réglementaire désuet qui ne répond plus aux exigences actuelles du marché.

                   En effet la réglementation postale existante est ancienne ; le premier texte  remonte à 1926. Il définit un monopole postal à l’opérateur historique jusqu’à 1kilo des envois ordinaires, en introduisant les  colis et journaux excepté les envois expédiés à découvert, sous bande ou sous enveloppe ouverte. Il définit ensuite les contraventions et fixe les amendes correspondantes. Il spécifie aussi les modalités de contrôle en habilitant les agents de la poste, en coordination avec les services de l’autorité publique, à établir des perquisitions et éventuellement procéder à des saisies. Les textes promulgués par la suite ne concernaient pas le secteur postal mais essentiellement l’opérateur historique avec un ajustement de son statut visant la modernisation et le développement des services en favorisant sa contribution à la politique d’aménagement du territoire du Royaume. (Transformation de Poste Maroc en Société Anonyme Loi N° 07-08). Ces textes visaient aussi à favoriser sa restructuration organisationnelle et managériale en l’incitant à renforcer son action commerciale, innover ses produits et prestations à valeur ajoutée et développer ses capacités compétitives. (Contrats programmes).  La loi 24-96 relative à la poste et aux télécommunications et l’arrêté de 1998 ont ouvert une brèche dans le monopole en autorisant des sociétés étrangères spécialisées dans le courrier express international à opérer sur le marché national sous conditions.

                       L’objectif principal  de toutes ces actions entreprises était de moderniser  les structures de l’operateur principal pour le préparer à la réforme attendue.

Voyant se développer  rapidement les nouvelles  technologies de communication et de nouveaux besoins chez les clients, l’Etat lance la mise en place d’une réglementation en vue de concilier l’intérêt des consommateurs et la pérennité financière des opérateurs.

L’avant-projet  de Loi 88-18  qui a été soumis en novembre 2018 au Secrétariat Général du Gouvernement constitue le point nodal de maturation d’un processus engagé depuis une décennie. Ce nouveau texte vise à mettre en place un cadre équitable en ouvrant progressivement le marché postal à la concurrence et en définissant le service universel qui doit être simple, de qualité et abordable, répondant aux besoins des clients et apte à tenir compte de leur évolution. Un arrêté des autorités compétentes précisera probablement  la densité des points de contact, et d’accès, le nombre de jours ouvrables, le nombre de levées et la fréquence de la distribution à domicile. En tant que prestataire du service universel, Barid Al- Maghrib S.A doit établir et tenir à jour le catalogue des prestations relevant du service universel ainsi que des tarifs en vigueur. Barid Al Maghrib S.A sera désigné pour une durée de dix ans à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi en question en vue de fournir le service universel tel que défini en répondant aux exigences d’accès, de qualité, d’information des utilisateurs, de transparence, de traitement des réclamations et de séparation des comptes  conformément au cahier des charges.

                    Pour financer les obligations du service universel, le projet de loi prévoit le fonds du service universel postal qui est alimenté par des contributions des prestataires de services postaux (excepté Barid Al Maghrib). Parallèlement, le texte prévoit la possibilité de réserver à l’opérateur en charge du service universel un secteur d’activité appelé « services réservés »  qui constitue la contrepartie des obligations particulières et des charges que le prestataire supporte au titre du service universel postal. La liste de ces services sera définie par arrêté.

Par ailleurs, et conformément au projet de loi en question, le Maroc se dotera d’une autorité de régulation nationale pour le secteur postal, juridiquement distincte et fonctionnellement indépendante des opérateurs postaux.

           Le texte marque une nuance entre les missions de réglementation dévolues à l’autorité gouvernementale chargée de la poste et les missions de régulation  postale, qui seront désormais de la compétence de l’Agence nationale de règlementation des postes et des télécommunications (ANRPT). L’Etat Marocain semble avoir opté pour le modèle en cours chez certains pays européens comme la France, la Suède…qui ont hébergé les deux instances de régulation télécoms et les services postaux, au sein d’une seule et même entité. Cela permettra probablement de tirer des leçons des expériences des deux secteurs.

L’ANRPT sera appelée à jouer un rôle essentiel dans le contrôle de la prestation du service universel. Elle sera investie à cet égard de trois missions principales : suivi de la qualité du service ; veille tarifaire, afin que les prix demeurent abordables et orientés  sur les coûts ; et contrôle de l’affectation des coûts, dans le cadre, notamment, du calcul du coût net éventuel du service universel.

Par ailleurs, les prestations du service universel seront probablement exonérées de TVA, tandis que les services hors service universel y seront assujettis à l’instar de ce qui a été adopté par certains pays dont la France.

        En somme, il est nécessaire de rompre avec les pronostics alarmistes qui  sont véhiculés concernant l’avenir du secteur postal. Il est vrai qu’au regard des effets cumulés de la crise économique et de la concurrence des médias électroniques, les perspectives de ce secteur peuvent paraître bien sombres mais d’importantes niches restent encore non exploitées et le marché postal reste porteur. C’est bien évidemment pour cela  que la réforme postale a été qualifiée par le Congrès de Bucarest (et confirmée par celui de Beijing), d’objectif prioritaire et  nécessaire afin de garantir le développement des services postaux et d’aller au-devant des changements technologiques, réglementaires, socioéconomiques et écologiques.

Le cadre réglementaire doit rendre aussi bien, le prestataire du service public que les opérateurs, bien performants, capables d’offrir une qualité de service élevée et mener des stratégies de gestion modernes, leur permettant de s’intégrer de manière appropriée dans un marché de plus en plus concurrentiel.

(*) : M. Moulahid Noureddine est un expert en régulation postale

Contact : « [email protected] ».

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