vendredi , 29 mars 2024
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Interview sur «Gouvernance et régulation » avec M. Eustache EBONDO

Interview sur «Gouvernance et régulation » avec M. Eustache EBONDO

Interview effectué par Lte magazine (Khaouja) avec M. Eustache EBONDO WA MANDZILA, professeur de Gouvernance des organisations et auteur de nombreux ouvrages et articles dans le domaine. Retrouvez sa brève bio à la fin de l’interview. Nous le remercions d’avoir accepté cet entretien malgré son agenda très chargé en France et à l’international.

  1. En tant qu’organe de gouvernance quel est le rôle du Conseil d’Administration d’un établissement public en charge de la régulation ?

 La régulation consiste à assurer le respect de la réglementation par les opérateurs de réseaux et les fournisseurs de service du secteur des communications électroniques.
Chaque pays s’est doté d’une autorité de régulation indépendante (établissement public en charge de régulation) de toute influence des entreprises dont elle doit réguler le fonctionnement, et qui doit être autonome par rapport au Gouvernement pour éviter des conflits d’intérêt par rapport à la mission de cette autorité. C’est le cas notamment :

  • Au Maroc de L’Agence Nationale de Réglementation des Télécommunications(ANRT), est un établissement public institué auprès du Premier Ministre, doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière ;

  • en Algérie de l’Autorité de Régulation de la Poste et des Communications Électroniques(ARPCE)

  • Sénégal : Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP)

  • Mauritanie : Autorité de Régulation de la Mauritanie (ARE)

Le rôle du conseil d’administration est de s’assurer que les objectifs fixés au régulateur à savoir s’assurer que le secteur fonctionne correctement et que les intérêts des consommateurs et des autres parties prenantes sont protégés de manière juste et équitable et que les moyens mis à sa disposition sont efficacement gérés.

2-Dans ce cas quelles sont les frontières entre les missions de l’organe de gouvernance et celles de l’établissement public en charge de la régulation afin de garantir notamment l’indépendance de prise de décisions au niveau du régulateur ? 

La régulation des communications électroniques doit être distinguée de la réglementation des communications électroniques qui consiste à définir, dans le domaine des communications électroniques, les lois qui sont du ressort du Parlement et les décrets, les arrêtés qui sont du ressort du Gouvernement.

Pour garantir toute indépendance dans la prise de décision du régulateur, la régulation doit reposer sur des principes de base claire :

  • Le principe de l’indépendance structurelle du régulateur qui est une contrainte forte et rigoureuse à destination de tous les pays ayant souscrit aux accords de l’OMC datant du 24 avril 1996 relatifs aux services de télécommunications de base. Le document rédigé par un Groupe de négociation sur les télécommunications de base porte sur les rapports entre les autorités de régulation en matière de concurrence. La Section 5 de ce document, intitulée « Indépendance des organes réglementaires » est ainsi rédigée : L’organe réglementaire est distinct de tout fournisseur de services de télécommunications de base et ne relève pas d’un tel fournisseur. Les décisions des organes réglementaires et les procédures qu’ils utilisent seront impartiales à l’égard de tous les participants sur le marché.

–  Le principe de la consultation préalable est une règle qui oblige les juridictions à écouter le point en vue de toutes les parties prenantes avant de prendre une décision. Faute de prendre en considération les points de vue de toutes les parties intéressées, les régulateurs courent le risque de prendre des décisions qui ne tiennent pas compte de certains facteurs importants. La prise en compte de ces facteurs peut conduire à des décisions différentes et plus satisfaisantes. L’application de cette règle concourt à la transparence du processus de prise de décisions

Ne pas être juge et partie : Selon ce principe, les personnes travaillant dans une autorité de régulation ne doivent avoir aucun intérêt personnel (directement ou par l’intermédiaire d’un parent proche) dans toute entreprise ou organisme ayant des relations avec les activités concernées par cette autorité de régulation. Ils ne doivent pas non plus avoir travaillé dans ces entreprises afin de ne pas être suspecté de favoritisme.

  • La transparence : Elle est nécessaire pour s’assurer du bon usage de l’indépendance accordée au régulateur. La transparence aide le régulateur à être perçu comme équitable. La transparence peut être obtenue en incorporant, dans la législation, le mécanisme qui permet une large diffusion des décisions proposées et à venir.

  • Un système national d’information sur les TIC : Les autorités de régulation doivent gérer toutes les données utiles au suivi de la mise en œuvre de la politique sectorielle et de la régulation du secteur des TIC. Cela demande de collecter un grand nombre d’information sur les réseaux et services des TIC en anticipant les besoins en information pour prendre des décisions appropriées. Ces informations sont gérées dans un Système d’Information National des TIC qui contient par exemple la publication de tous les textes réglementaires, publications des décisions prises par le régulateur avec une justification de ces décisions ; la publication des consultations publiques appels à commentaires sur les travaux de mise à jour des textes réglementaires et publication des réponses reçues

Le respect de ces principes devrait garantir l’indépendance dans la prise de décision du régulateur. Il s‘agit là d’un « code de bonne conduite » qui peut comporter des limites quant à son effectivité.

Parallèlement à ces principes, les autorités de régulation sont dotées des pouvoirs suivants :

  • Pouvoir d’octroyer les licences qui échappe au ministère. L’objectif étant de développer une saine concurrence pour stimuler les investissements dans les infrastructures tout en veillant à une utilisation efficace de ces infrastructures dans une perspective à long terme. La tendance depuis une décennie dans la plupart des pays est de faciliter les procédures d’octroi des licences et d’autorisations générales pour faciliter le développement d’entreprises locales capables de développer des services et des contenus adaptés aux populations locales ;

  • Pouvoir d’inspection: Une loi sur l’Autorité de Régulation doit établir des procédures très précises sur les inspections pour donner aux inspecteurs de l’Autorité de Régulation le pouvoir nécessaire. En effet, l’expérience montre que les opérateurs profitent parfois des insuffisances des textes réglementaires pour empêcher ces inspections de façon à ne pas subir de pénalités. Les obligations de qualité de service sont très difficiles à faire respecter si les inspections ne sont pas effectuées avec rigueur.

  • Pouvoir de règlement des litiges: Les décisions prises par l’autorité de régulation peuvent faire l’objet d’appel à un tribunal qui doit être défini en fonction du pays.

3-Quelle différence existe entre le management et la gouvernance ?

La Gouvernance d’entreprise fait référence aux relations entre la direction d’une entreprise, son conseil d’administration, ses actionnaires et les autres parties prenantes à ses activités. Généralement, le terme gouvernance est associé davantage au conseil d’administration tandis que le management est un terme associé aux employés de niveau exécutif et de direction dans une organisation.

C’est le conseil d’administration qui contrôle l’action du dirigeant ou du management. A ce titre, il nomme et révoque le personnel de direction si ses décisions sont contraires aux intérêts de la société. On peut dire que la gouvernance établit la « bonne » politique et les bonnes procédures pour s’assurer que les choses s’exécutent normalement. Au contraire, le management consiste à faire les choses correctement, à prendre des décisions pour la mise en œuvre des politiques définies par le conseil d’administration.

4- Quel est l’impact de la transformation numérique sur la gouvernance en général ?  

La transformation numérique ou digitale d’une organisation est une initiative du conseil d’administration qui est lui-même impacté par les effets de cette digitalisation. En effet, l’appropriation des technologies d’information et de communication par des métiers de vente, marketing, ressources humaines, innovation industrielle modifie considérablement les rapports que l’entreprises entretient avec ses partenaires internes et externes. Cette transformation numérique va impacter la gouvernance notamment dans l’approche de création de valeur et des risques, dans les relations du conseil d’administration avec le la direction générale et les parties prenantes.

  • Transformation numérique et création de valeur dans l’entreprise : vers un changement de paradigme !

La transformation numérique en rendant les communications organisationnelles plus transparentes permet de partager une vision stratégique et de mettre par conséquent en place un mode de gouvernance fondé sur la concertation et l’implication de tous les acteurs de la chaîne de valeur. Il s’agit désormais d’une logique de co- création de valeur entre l’organisation et le management induite par la transformation numérique.

  • Transformation numérique, formes organisationnelles, conseil d’administration et apparition de nouveaux risques

L’une des caractéristiques de la transformation numérique est l’accélération (et la vitesse) de l’évolution des business models. Cette accélération bouleverse non seulement toutes les parties prenantes de l’entreprise mais aussi les formes organisationnelles de celle-ci y compris avec dans sa relation avec le client. La modification de la relation avec le client et la dématérialisation (factures, commandes, flux, physiques) entrainent l’émergence de nouveaux risques tels que la fragilité de l’écosystème, l’é réputation, les enjeux de sécurité qui constituent des sujets préoccupants pour la gouvernance et plus précisément du conseil d’administration.

  • Transformation numérique, Conseil d’administration et les autres parties prenantes

La transformation numérique nécessite de lourds investissements majeurs et une remise en cause des relations traditionnellement établies jusqu’ici. A ce titre, le conseil d’administration doit questionner les grandes directions opérationnelles les autres acteurs de l’entreprise impactés par la transformation numérique sur un certain nombre de projets de vigilance tout en considérant la transformation numérique comme un enjeu technologique autant qu’un enjeu d’affaires. C’est la prise en compte de toutes les parties prenantes dans le processus de transformation qui conditionne le succès du projet.

Il est attendu des conseils d’administration, à l’origine des décisions stratégiques dans une entreprise, d’être en capacité de saisir tous les enjeux en termes de modifications de modèles de travailler, d’échanger, de communiquer et de formation afin de mieux accompagner la transformation digitale au sein de leurs entreprises. Concrètement, la création d’un comité de numérique au sein des autres comités spécialisés est la traduction concrète par du conseil d’administration de l’importance accordée aux enjeux du numérique dans l’organisation.,

5– Existe il des organisations internationales de normalisation en matière de la façon de réaliser la gouvernance ? On évoque souvent par exemple l’OCDE ou l’OHADA ?

La normalisation consiste à définir des caractéristiques techniques ou des méthodes qui vont être unifiées et qui sont applicables à l’ensemble d’une profession, dun pays ou de plusieurs pays. La norme est un document qui réunit les caractéristiques unifiées relatives à un domaine d’activité. C’est une volonté d’appliquer les mêmes règles selon les domaines identifiés dans un souci généralement de qualité. Les organisations internationales de normalisation visent à élaborer et à faire adopter et donc appliquer par les pays signataires des règles communes spécifiques à une activité, à un secteur ou à une profession. Il en existe ainsi au niveau mondial des normes internationales comptables élaborées par l’IFAC ((International Federation of Accountants) à l’intérieur duquel agit l’IAASB:l’International Auditing and Assurance Standards Board) pour les normes internationales d’audit.

Au niveau africain, c’est l’OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des affaires) qui est en charge de l’élaboration des normes en matière de droit des affaires tandis que le Syscohada élabore les normes comptables applicables au sein des pays membres.

En matière de gouvernance outre les codes élaborés par les associations professionnelles de chaque pays, l’OCDE a élaboré les principes de bonne gouvernance qui ont été repris sur certains points par certains pays.

Les réseaux de télécommunications n’ont pas échappé à ce souci de normalisation internationale. En effet, pour fonctionner à travers le monde entier, les réseaux de télécommunications répondent aujourd’hui à des normes internationales. Ces règles sont mises en place grâce à l’Union Internationale des Télécommunications (UIT). Chaque année, L’UIT produit plus de 150 normes locales ou internationales. Ces normes concernent aussi bien les transmissions de données par le réseau téléphonique que les réseaux informatiques, les radiocommunications. Ces normes structurent le fonctionnement des télécommunications. Elles permettent d’harmoniser les protocoles techniques entre les différents pays et de faciliter les échanges. L’évolution des installations téléphoniques, de l’accès à internet ou de la qualité des transmissions doit beaucoup à l’action de normalisation de l’UIT.

Il convient de signaler que dans le domaine des télécommunications, un groupe de négociation sur les télécommunications de base a été constitué au sein de l’Organisation du commerce mondiale et a produit un document de référence qui contient des définitions et des principes concernant le cadre réglementaire pour les services de télécommunications de base.

(*) Eustache EBONDO WA MANDZILA est Professeur d’Audit, Contrôle interne et Gouvernance des organisations, Directeur académique du Mastère spécialisé en Audit et Pilotage de la performance à KEDGE BUSINESS SCHOOL, Marseille – France

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