jeudi , 28 mars 2024
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Hammourabi, le code et la Blockchain

Hammourabi, le code et la Blockchain

Code

Un code se lit : le code génétique. Un code se lit et se respecte c’est-à-dire on s’y plie : le code pénal, le code civil ou celui du travail… mais également le code de la route. Un code facilite la vie en société : le code de bonne conduite… Et surtout, et de nos jours plus que jamais, un code s’écrit et s’exécute tout seul : algorithme mathématique et informatique ; ou le fameux code algorithmique.

Un code se compose, à l’abri des indiscrétions, et ouvre des accès ou des passages : le code PIN, le code bancaire, le code de messagerie… Pour ces derniers, on les appelle même des mots de passe, car ils autorisent des passages à travers des fenêtres (ou Windows) pour dialoguer avec des proches ou lointains et pour échanger avec des professionnels. On les appelle également des mots de passe car ils accordent le droit de pousser des portes pour bénéficier de services proposés par des plateformes, de plus en plus, éloignées. Enfin, on les appelle des mots de passe car ils permettent d’enfoncer des portails pour remplir, à distance toujours, des déclarations et satisfaire aux obligations. Puisqu’il permet d’ouvrir, un code est donc une clé, non physique mais virtuelle. Un code étant propre à chaque individu et, par son authenticité, ou, plus exactement par son unicité, il garantit ainsi l’identité physique de la personne. Enfin, un code est un gage de valeur et de validité, comme le code composé de lettres et de chiffres visibles et lisibles sur les billets de banque.

D’une manière générale, pour qu’il se lise et se laisse comprendre, un code doit se dé-crypte-r et se dé-code-r. Même s’il n’est composé que de lettres, on dit qu’il faut le dé-chiffre-r pour espérer lire et saisir le secret qu’il scelle. Mais, il en est un qui est à la fois « langage secret » car écrit dans une langue qui n’est plus véhiculaire, et « ensemble de lois » ; il est, en même temps, code linguistique et code juridique : le code des lois d’Hammourabi.

Hammourabi

A l’entrée de Babylone, il y a 4000 ans environ, devant chaque porte de la ville, les textes de lois de ce code étaient gravés sur des colonnes, en basalte noir, dressées comme des stèles ou comme des clous. Comme des clous, qui une fois travaillés, deviennent des clés ; clou et clef renvoient à la même origine. Des piliers donc, tatouées de codes et de lois qui étaient accessibles à tout le monde et à tout moment de la journée comme de la nuit, été comme hiver. Car si, pour lire de l’écrit imprimé sur du papier ou projeté sur écran, la lumière et la vue sont, certes, indispensables, l’écrit gravé sur du dur, par bonheur, se passe du soleil, de la bougie et de l’énergie : pour le lire, le contact suffit. Dans tous les cas, en semant partout des distributeurs de lois, rendant ainsi le droit la chose la plus partagée entre tous les citoyens, Hammourabi voulait s’assurer que, pour accéder à Babylone, les citoyens ou les visiteurs devaient d’abord s’informer, librement et gratuitement, de la vie de la cité par lecture des lois. Il avait tout simplement fondé les piliers de la citoyenneté participative, de la décentralisation juridique et de la démocratie horizontale : le droit n’était plus confisqué entre quelques rares mains notables de la ville, avocats, magistrats ou notaires. Un autre détail plus frappant encore : ces fontaines à code représentaient une merveille inégalable, puisque quiconque, c’est-à-dire tout le monde, voyant ou non, pouvant lire les lois, jour comme de nuit, grâce au toucher, n’était plus pardonnable ou amnistiable en cas d’infraction. Ce qu’on pourrait appeler, à notre époque, : « personne n’est censé ignorer la loi ». Est-ce que c’est Hammourabi qui serait le pionnier ou le premier précurseur de ce préambule juridique qui avertit tout citoyen vis-à-vis de tout code ?

Autre chose intéressante : nous parlons aujourd’hui d’échange et de partage, de forum et de plateforme, de toile et de réseaux… mais il nous a devancé cet Hammourabi quand il a installé, à l’entrée de chaque cité de son empire, des stèles qui rappelaient les lois en vigueur ou dictaient une charte de bonne conduite ! Comme si, à l’époque déjà, quiconque souhaitant sillonner les rues de Babylone, devait d’abord être au courant des lois en vigueur : on y entrait en connaissance de cause, ou plus exactement en connaissance de droit. Nous y voilà. Car ce droit, exposé au vu au su de tout le monde, doit nous rappeler nos ruelles d’informations formant la toile planétaire. Autrement dit, servi par des télécommunications qui ne connaissent pas de pause temporelle aucune et recouvre la terre sans lacune, internet est l’endroit où le droit est omniprésent jour comme de nuit. Et quiconque souhaitant alors surfer sur internet doit d’abord s’informer des règles en vigueur puisque les télécoms veillent sur nous ou nous sur-veillent, depuis le ciel des satellites, par différents contacts virtuels.

D’autre part, déjà à l’époque toujours, tous les citoyens, en partageant les mêmes règles du vivre ensemble, relevées sur des colonnes à l’entrée de la ville, se côtoyaient paisiblement et en toute confiance. Cette même confiance sans laquelle, d’abord, pas la moindre vie en couple n’est envisageable, ensuite, nulle transaction n’est concevable et enfin et plus largement encore, aucune société n’est imaginable. Cette même confiance qui, autrefois, se traduisait par la poignée de mains serrée entre commerçants et troqueurs, et qui, aujourd’hui, est cristallisée dans un billet de banque. Toujours la même confiance qui supervise et gouverne, comme une main invisible, tous nos échanges et toutes nos transactions au quotidien. Bref, il s’agit de cette même confiance qui fonde tous nos moyens de paiement, physiques ou virtuels, papiers ou crypto-monnaies comprises.

La Blockchain.

Nous avons tous appris, depuis quelque temps déjà, que la Blockchain est une crypto-monnaie ou une monnaie virtuelle. Et qu’est-ce qu’une monnaie ? Rappelons-le à nouveau : une confiance matérialisée dans un billet de banque dont la seule identité est le code unique composé de lettres et de chiffres imprimés sur son revers. C’est ce même billet qui est le gage d’authenticité de la banque signataire et donc du pays émetteur.  On y rajoute un tatouage numérique pour éviter toute falsification. Autrement dit, tout billet de banque quelle que soit sa valeur, est réduit à un code qui l’authentifie.

Et sans reprendre les détails, très utiles et profondément intéressants, déjà abordés lors du numéro 26 de LTE magazine, on peut dire que la Blockchain est une monnaie virtuelle basée sur la confiance et la sécurité qui sont garanties par un protocole de lois, le fameux « Code is Law » introduit par le juriste Larry Lessig.

Retour à Babel

Pour finir, et je ne fais que le rappeler, Babylone d’Hammourabi renvoie à la ville où fut interrompue la construction du fameux édifice resté à jamais inachevé. Monument nommé, justement, Tour de Babel. Babel donc ou Babylone est un nom ambivalent car, d’une part, Bab-El qui est une variante de Bab-Elie ou bab-Allah, désignait donc « porte qui mène à Dieu » ou « porte du ciel », et d’autre part, Babel révèle « un lieu rempli de confusion ».  Commençons d’abord par « porte du ciel » : porte c’est-à-dire portail, matériel et physique, était accessible, hier, à l’aide de clé. Et, de notre temps, cette porte est davantage une fenêtre virtuelle que seul le code ouvre. Et de quel ciel s’agissait-il, il y a presque 4000 ans? De la coupole qui envoyait éclairs d’orages ou de tonnerres, des averses et des météores… Et de quel ciel s’agit-il actuellement ? Incontestablement du ciel d’où nous recevons des ondes, des pixels et des bandes passantes !

Ensuite, « lieu rempli de désordre » en références aux différentes langues ou plus exactement au chaos créé par toutes les langues parlées et qu’on jugeait responsables de l’inachèvement de la construction de ladite Tour : à cause de la multiplicité des langues, la Tour est restée à moitié bâtie. Et de quel « lieu rempli de confusion » s’agit-il alors actuellement ? De toutes ces localités virtuelles et de tous ces espaces numériques dont nous sommes de plus en plus addictifs, dans lesquels nous vivons sans imaginer un seul instant que nous aurions le choix ou l’alternative de s’en séparer. Donc, Babel comme « lieu rempli de confusion », est synonyme de ce brouhaha numérique où nous surfons, et dont nous sommes complètement dépendants… Une Babel-Porte-Physique qui a engendré une Babel-Portail-Numérique : internet où bruissent toutes les langues des humains.

Le « Lieu rempli de confusion » d’hier nous a servi, tel un exemple ou plus exactement tel un retour d’une expérience vieille de quasi quatre millénaires, à forger une seule langue, celle de la science, et à la parler comme langue commune : elle a été par moment grecque-hellénique, latine-romaine, arabe-andalouse… A chaque fois donc, à travers l’histoire, depuis cette époque babylonienne, une seule langue, celle de la raison et du savoir, qui a facilité des projets grandioses et a permis des réalisations énormes. Aujourd’hui, c’est en langue anglaise, partagée entre différentes nations, qu’une véritable tour s’est érigée et s’est étirée jusqu’au ciel : un équipage, composé de plusieurs nationalités, a mis en orbite la Station Spatiale Internationale, (SSI). Une véritable tour de Babel achevée et concrétisée dont les fondations, situées aux pieds des fameux centres de contrôle de mission, sont réparties autour du Globe et dont les paliers sont assurés par les différentes bandes passantes approvisionnant les liaisons jusqu’à quelques 400 km loin dans le ciel. Elle n’est que station, c’est-à-dire qu’une halte. S’étirera-t-elle encore au-delà de l’orbite actuelle, par les générations futures dans une autre langue scientifique, peut-être en chinois, en indien… A qui le tour ?

Pour finir, et toujours à propos de la confiance, mais cette fois-ci en regardant de plus près et au cœur du nom même d’Hammourabi : « L’oncle est guérisseur », voilà ce que signifierait ce nom : alors quel patient ne ferait pas confiance à son médecin vertueux surtout quand celui-ci est un parent formé à la médecine et au virtuel ?

Par Ata-Ilah Khaouja

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